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Du Paléolithique au Mésolithique

Le Paléolithique est la première période de la Préhistoire et la plus longue. Il commence avec l’apparition de l’Homme, il y a environ 2,6 millions d’années en Afrique et s’achève vers 10 000 ans avant J.-C.

Les hommes sont des chasseurs-cueilleurs nomades, qui tirent parti des ressources disponibles dans la nature.

En Europe, le Paléolithique est divisé en trois sous-périodes, correspondant à une évolution biologique, technique et culturelle :

  • le Paléolithique inférieur (de – 800 000 à – 300 000 ans), avec Homo erectus. Les premiers outils en pierre sont le galet taillé et le biface. Domestication du feu vers – 400 000 ans.
  • le Paléolithique moyen (de – 300 000 ans à – 40 000 ans), avec l’Homme de Néandertal. Les principaux outils en pierre sont les éclats, les racloirs, les pointes. Premières sépultures.
  • le Paléolithique supérieur (de – 40 000 ans à – 10 000 ans) avec Homo sapiens, qu’on appelle aussi « Homme de Cro-Magnon ». Les principaux outils en pierre sont les lames, les grattoirs et les burins. Apparition des outils et des armes en os et en bois de renne : sagaies, harpons, propulseurs… Premières manifestations artistiques.

On parle d’art pariétal pour les parois des grottes et d’art mobilier pour les objets. Appronfondir le sujet en consultant la collection Grands sites archéologiques : Paléolithique 
Les collections paléolithiques du musée d’Archéologie nationale sont parmi les plus riches au monde, notamment dans le domaine de l’art mobilier.

Les objets

Statuette
Media Name: PAL_MAN47019_F_Brassempouy
© RMN-GP/MAN/ Jean-Gilles Berizzi
La "Dame à la capuche"

Grotte du Pape, (Brassempouy, Landes)

Vers 28 000 ans av. J.-C.

La « Dame de Brassempouy » ou « Dame à la capuche » est une des plus célèbres œuvres d’art paléolithiques. Sans être un portrait fidèle, elle nous donne une image étonnamment moderne et émouvante de la femme préhistorique.

UN ENSEMBLE DE STATUETTES

La « Dame à la capuche » est découverte en 1894 par Édouard Piette et Joseph de Laporterie, avec quatre autres statuettes en ivoire de mammouth, dans la grotte du Pape à Brassempouy (Landes). Au total, dix statuettes et un grand fragment de cette même matière sont mis au jour dans ce gisement entre 1892 et 1897. Dans ses publications, Édouard Piette indique précisément à quelle couche archéologique les statuettes appartiennent. L’on sait aujourd’hui que ce niveau contenait une industrie en silex taillé attribuable au Gravettien, caractérisée notamment par des pointes à dos abattus, nommées « pointes de la Gravette ». Édouard Piette mentionne également à quel endroit de la grotte il découvre les statuettes. La plupart proviennent de l'entrée de la cavité, le fond étant beaucoup trop humide pour permettre la conservation de l’ivoire de mammouth. Le préhistorien décrit même de l’ivoire tellement décomposé qu’il en est liquéfié. C’est d’ailleurs probablement juste après la fouille que la petite tête en ivoire de mammouth se fissure sur toute la longueur de la joue droite. En effet, ce matériau extrêmement fragile et particulièrement sensible aux différences d’humidité, a dû se dessécher trop vite, une fois sorti de la grotte, et se déliter.

UNE PETITE TÊTE FÉMININE

Cette petite tête féminine est façonnée dans de l’ivoire de mammouth, matière première difficile à travailler et précieuse. Elle est sculptée en ronde-bosse, c’est-à-dire en trois dimensions, et soigneusement polie. De plus, elle possède de nombreux détails finement gravés, à la pointe du burin de silex taillé. Au-dessus d’un cou long et gracieux, la tête triangulaire, avec son front large et son menton pointu, est encadrée par une coiffure quadrillée, interprétée comme une chevelure tressée, une résille de coquillages ou encore une capuche. On retrouve ce quadrillage sur plusieurs têtes et statuettes de la même époque. Les traits du visage sont simplifiés et très stylisés. Les yeux sont absents, mais il semble tout de même y avoir un regard sous les arcades sourcilières. Sous le nez long, étroit et aplati, la bouche n’est pas figurée. L’expression du visage est énigmatique et véritablement unique dans l’art préhistorique. Les préhistoriens ont longtemps pensé que cette petite tête appartenait à une statuette entière. Ils ont alors espéré retrouver le corps de cette dame et l’ont même parfois imaginé. Mais la petite tête est pratiquement intacte : il ne lui manque qu’un éclat d’ivoire sur le côté droit du cou et en bas des cheveux.

LES "VÉNUS" GRAVETTIENNES

La « Dame de Brassempouy » appartient à un groupe de près d’une centaine de statuettes féminines, surnommées « Vénus ». Découvertes dans toute l’Europe, des Pyrénées à la Sibérie, elles sont, à l’exception de deux statuettes plus anciennes, attribuées au Gravettien, période qui s’étend de – 34 500 à – 25 000 ans. Ces statuettes font appel à des matières très variées : différentes pierres, allant du calcaire blanc à la calcite ambrée ou à la stéatite verte, de l'os, du bois de renne et de l'ivoire de mammouth. Quelques rares figurines moraves (République tchèque) ont même été modelées dans de l'argile avant d'être cuites ! Les statuettes féminines gravettiennes montrent une grande uniformité stylistique et probablement symbolique. Elles représentent des femmes nues, aux caractères sexuels et maternels accentués : poitrine, cuisses, ventre, fesses et pubis. Par contre, les bras, les jambes et la tête sont très réduits voire absents. Certaines statuettes représentent clairement des femmes enceintes ou parturientes, c’est-à-dire en train d’accoucher. Plus que des figurations de femmes, il semble que ce soient des évocations de la féminité et de la sexualité, de la fécondité et de la maternité. Elles possèdent peut-être des vertus protectrices...

BIBLIOGRAPHIE

CHOLLOT, Marthe. Musée des Antiquités nationales. Collection Piette. Art mobilier préhistorique. Paris : Musées nationaux, 1964, 447 p.

DELPORTE, Henri. Édouard Piette, histoire de l’art primitif, précédé de Piette, pionnier de la Préhistoire. Paris : Picard, 1987, 276 p.

PIETTE, Édouard. La station de Brassempouy et les statuettes humaines de la période glyptique. L’Anthropologie 1895, t. VI, fasc. 2, p. 129–151.

PIETTE, Édouard. L’art pendant l’âge du renne. Paris : Masson, 1907 †, 112 p.

SCHWAB, Catherine. La réouverture de la salle Piette : histoire d’une restauration. Antiquités nationales, 2008, 39, p. 9-24.

SCHWAB, Catherine. La Collection Piette. Musée d’Archéologie nationale, Château de Saint-Germain-en-Laye. Paris : Réunion des Musées nationaux, 2008, 126 p.

SCHWAB, Catherine. MELARD, Nicolas. CATRO, Philippe. Coup de projecteur sur la Dame de Brassempouy : de la fouille ancienne à l’étude par imagerie 3D. Antiquités nationales, 2021, 50-51, p. 88-99.

SCHWAB, Catherine. VERCOUTÈRE, Carole. Les statuettes en ivoire gravettiennes d’Europe occidentale. In : VERCOUTÈRE, Carole. WOLF, Sybille. Objets d’ivoire – Archives de vie, L’Anthropologie, 2018, 122, p. 469-491.

SIMONET, Aurélien. Brassempouy (Landes, France) ou la matrice gravettienne de l’Europe. Liège : ERAUL, 2012, 133, 140 p.

THIAULT, Marie-Hélène. L’exploitation et la transformation de l’ivoire de mammouth. Une étude technologique d’objets gravettiens de la grotte du Pape à Brassempouy (Landes). Gallia Prehistoire, 2001, 43, p. 153–174.

 

Dame de Brassempouy à la capuche by Musée d'Archéologie Nationale on Sketchfab

 

Sculpture
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© RMN-GP Jean-Gilles Berizzi
La "Vénus" de Tursac

Abri du Facteur, Tursac (Dordogne)

Paléolithique supérieur, Gravettien, vers – 30 000 ans

La « Vénus » de Tursac, associée à un contexte archéologique clair, est une des rares statuettes gravettiennes bien datées (vers – 30 000 ans). C’est aussi un chef-d’œuvre de l’art préhistorique, d’une modernité qui nous étonne.  

UN CONTEXTE ARCHEOLOGIQUE CONNU

Cette statuette est découverte dans l'abri du Facteur à Tursac (Dordogne) en 1959, lors des fouilles dirigées par Henri Delporte, qui deviendra conservateur des collections paléolithiques au musée d'Archéologie nationale. C'est la première statuette féminine française découverte dans un contexte archéologique connu. Elle provient d’une couche clairement attribuée à la période gravettienne et, plus précisément, au Gravettien moyen, caractérisé par de petits outils de silex taillé, les burins de Noailles (vers – 30 000 ans). D’autres statuettes féminines, découvertes lors de fouilles anciennes, semblent dater de la même période. En plus des indications stratigraphiques (niveaux archéologiques), les fouilles donnent des informations topographiques intéressantes. La statuette se trouve près de la paroi de l'abri, dans une zone périphérique de l'habitat, loin du foyer et des autres vestiges, tels que les outils, les armes ou les restes de faune. Les hommes préhistoriques voulaient-ils protéger ou éloigner la « Vénus » de leurs activités quotidiennes ? Seuls deux os longs de bison ou d’aurochs sont découverts près de la statuette. Il semble que les Gravettiens aient déposé là une patte de boviné, peut-être pour une offrande, un repas rituel ou un sacrifice…

UNE STATUETTE TRES STYLISEE

La « Vénus » de Tursac est sculptée dans de la calcite ambrée, une pierre dure, de couleur brune et translucide. Elle est probablement façonnée à partir d'un galet, qui évoquait peut-être la forme de la figurine. La statuette a été soigneusement polie et il ne reste que quelques traces de percussion sur l’arrière. La représentation, très stylisée, se regarde de profil et comprend trois parties : le tronc, les jambes et le pédoncule. La tête, les épaules et les bras ne sont pas figurés. Les seins sont également absents, ce qui est surprenant pour une « Vénus ». Les jambes sont seulement esquissées, courtes et sans pieds. En revanche, le ventre est massif et porté très bas. Le bassin est large et les reins cambrés, tandis que les cuisses sont fortes et les fesses saillantes. Les jambes semblent repliées sous le corps. Le tout donne l’impression d’une femme enceinte, en position accroupie, sur le point d'accoucher ou en plein accouchement. Situé entre le ventre et les jambes, le pédoncule donne lieu à plusieurs interprétations. Il peut s’agir du nouveau-né et de la représentation d’une naissance. D’autres y voient un sexe masculin et la figuration d'un acte sexuel… Quoi qu’il en soit, le pédoncule servait peut-être à ficher en terre la statuette.

UNE AUTRE "VENUS", TRES COMPARABLE

Dès sa découverte, la statuette de Tursac est rapprochée, d’un point de vue stylistique, de la « Vénus » de Sireuil. Cette dernière a été trouvée de manière fortuite en 1900, également en Dordogne, dans la vallée de la Vézère. Elle ne possède pas de contexte archéologique, car elle provient de l'ornière d'un chemin. La statuette de Sireuil représente aussi une femme aux caractères sexuels ou maternels très accentués : un bassin large, des reins cambrés, un ventre massif, des cuisses fortes et des fesses saillantes. La poitrine est, par contre, plutôt menue. Les bras et les jambes, également repliées, sont nettement moins marqués. Les jambes de la « Vénus » de Sireuil forment une sorte de perforation. L’utilisation en pendeloque ne peut être écartée, malgré le poids, le volume et le sens (à l’envers). Une autre hypothèse est très séduisante : l'insertion d'une baguette, qui formerait alors un appendice, comme celui de la statuette de Tursac. Ces représentations de femmes enceintes, connues dans toute l’Europe durant la période gravettienne (entre – 34 500 et – 25 000 ans), paraissent évoquer la féminité et la sexualité, la fécondité et la maternité. Elles incarnent aux yeux des hommes préhistoriques, comme aux nôtres, la survie du groupe et de l’humanité.

BIBLIOGRAPHIE

DELPORTE, Henri. Une nouvelle statuette paléolithique : la Vénus du Tursac. L'Anthropologie, 63, n°3-4, 1959, p. 232-245.

DELPORTE, Henri. Observations paléo-topographiques sur la Vénus de Tursac (« La belle et la bête »). Bulletin de la Société préhistorique française, 59, n°11-12, 1962, p. 813-818.

DELPORTE, Henri. Chefs-d'œuvre de l’art paléolithique. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 24 juillet - 1er décembre 1969. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1969, 96 p. (notice n°129, p. 88-89).

DELPORTE, Henri. L’image de la Femme dans l’art préhistorique. Paris : Picard, 1993, 288 p.

DUHARD, Jean-Pierre. Étude comparative des statuettes féminines de Sireuil et Tursac (Dordogne). Gallia préhistoire, 35, 1993, p. 283-291.

 

LIENS UTILES

La vénus de Tursac (objet du mois d'avril 2021)

 

Statuette
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© RMN-GP.Thierry Le Mage
Le "Petit cheval de Lourdes"

Lourdes (Hautes-Pyrénées), grotte des Espélugues

Magdalénien moyen ou récent (entre – 18 000 et – 14 000 ans environ)

Cette statuette, façonnée dans de l’ivoire de mammouth, est un des chefs-d’œuvre de l’art préhistorique. C’est aussi une des plus belles figurations du cheval, l’animal le plus représenté dans le bestiaire paléolithique.

UNE DECOUVERTE DANS UNE ANFRACTUOSITE

La grotte des Espélugues à Lourdes (Hautes-Pyrénées) tient son nom du massif calcaire du mont des Espélugues. Elle s’ouvre au nord-ouest par trois grands porches, au-dessus de la rive gauche du gave de Pau, affluent de l’Adour. Elle est constituée de vastes salles, qui sont occupées du Paléolithique au Moyen Âge. Fréquentée par des excursionnistes pendant la première moitié du XIXe siècle, la caverne est fouillée entre 1860 et 1873 par de nombreux pionniers de la préhistoire, comme Édouard Lartet ou Félix Garrigou. Elle est ensuite vidangée, de 1873 à 1875, à la demande des ecclésiastiques, qui la transforment en chapelle. La grotte des Espélugues livre des vestiges attribuables au Magdalénien moyen et récent (entre – 18 000 et – 14 000 ans environ). C'est entre 1886 et 1889 que l’érudit carcassonnais Léon Nelli explore les lambeaux de couches archéologiques encore en place dans la grotte et, par la suite, les remblais du chemin. Il découvre alors, dans une anfractuosité basse d'une paroi de la caverne, le célèbre « Petit Cheval de Lourdes ». Il met également au jour d’autres œuvres d’art préhistoriques, gravées ou sculptées, ainsi que de nombreux objets de la vie quotidienne, armes et outils en matières lithiques (silex taillé) ou osseuses.

UNE STATUETTE EN IVOIRE DE MAMMOUTH

Le « Petit Cheval de Lourdes » est façonné dans de l'ivoire de mammouth. Cette matière première est abondante en Europe centrale et orientale, où se trouvent de grandes étendues de « steppe à mammouths ». Elle est plus rare et plus précieuse dans nos contrées : elle y semble donc réservée à l’art et à la parure. L’animal est représenté debout, le cou horizontal, dans une attitude de vigilance. La technique de la sculpture en ronde-bosse, c’est-à-dire en trois dimensions, est parfaitement maîtrisée. En témoignent le modelé du corps du cheval, très réussi, et la finesse de ses quatre pattes, bien séparées les unes des autres. La tête, petite et étroite, comprend de nombreux détails gravés, très naturalistes : la crinière, les oreilles, les yeux avec leur larmier, les naseaux, la bouche et même les lèvres. Des séries de traits et de points incisés, parfois minuscules, indiquent le pelage et soulignent de manière subtile la musculature. Sur le côté droit de la statuette, la figuration du pelage est particulièrement soignée. Des séries de traits courts forment une sorte de « M ». Au-dessus, les ponctuations alignées suggèrent la couleur, alors que le vide en-dessous correspond à la blancheur du ventre, typique des chevaux sauvages préhistoriques.

LE CHEVAL, ANIMAL LE PLUS FIGURE DANS L'ART PREHISTORIQUE

Après les motifs géométriques, souvent interprétés comme des signes, les figurations animales sont les plus nombreuses dans l’art paléolithique. Mais toutes les espèces ne sont pas représentées à part égale ; elles sont au contraire fortement hiérarchisées. Il s’agit très majoritairement de grands herbivores. Les deux catégories des chevaux et des bovinés (bisons et aurochs) constituent à elles seules la moitié des figurations animales, avec respectivement 30 et 20 % du bestiaire. Ensuite, les cerfs (ou les biches), les bouquetins, les mammouths, les aurochs et les rennes sont très courants : 40 % des animaux figurés. Les félins, les ours et les rhinocéros laineux ne sont pas très nombreux (6 %), tandis que les poissons, surtout des saumons, et les oiseaux sont plus rares (2 % au total). Enfin, certains grands herbivores sont exceptionnels (1 %) : l’ovibos ou bœuf musqué, l’élan, le cerf mégacéros, le chamois, l’antilope saïga… Parmi les espèces les moins représentées, l’on compte aussi les canidés (loup, renard), les mustélidés (glouton, belette), les lagomorphes (lièvres) ou encore les mammifères marins, surtout des phoques. Enfin, des catégories entières d’animaux sont presque inexistantes : les reptiles, les amphibiens et les insectes.

BIBLIOGRAPHIE

DELPORTE, Henri. Chefs-d'œuvre de l’art paléolithique. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 24 juillet - 1er décembre 1969. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1969, 96 p. (notice n°25, p. 39-40).

CATTELAIN, Pierre. Au galop ! Les Chevaux du Paléolithique récent. In : CATTELAIN, Pierre, GILLARD Marie, SMOLDEREN Alison (dir.), Disparus ? Les mammifères au temps de Cro-Magnon en Europe. Musée du Malgré-Tout, Treignes. 6 mai - 11 novembre 2018. Treignes : Cedarc, 2018, p. 185-218.

PIETTE, Édouard. L’art pendant l’âge du renne. Paris : Masson, 1907 †, 112 p., 100 pl. (pl. XI, XII et XIII).

THIAULT, Marie-Hélène. ROY, Jean-Bernard. L’art préhistorique des Pyrénées. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 2 avril - 8 juillet 1996. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1996, 371 p. (notice n°104, p. 197).

PAILLET Patrick. ROBERT Éric. 2022 – Arts et préhistoire. Musée de l’Homme, Paris. 16 novembre 2002 - 22 mai 2023. Paris : Muséum national d’Histoire naturelle, 2022, 302 p. (notice, p. 30-31).

Sculpture
Media Name: PAL_MAN8162_R_Bâton perforé
© RMN-GP. Loïc Hamon
Un grand bâton percé gravé de chevaux

Tursac (Dordogne), abri de La Madeleine

Magdalénien récent (entre – 16 000 et – 14 000 ans environ)

Ce bâton percé fait partie des premiers objets d’art préhistoriques découverts par Lartet et Christy. Il est gravé de chevaux à « grosse tête » ou à « lourde mâchoire », un thème caractéristique du Périgord au Magdalénien récent.

UNE DES PREMIERES DÉCOUVERTES D'ART PRÉHISTORIQUE

Dès les années 1860, avec le soutien de son ami et mécène anglais, Henry Christy, Édouard Lartet apporte la preuve de l’existence de l’art préhistorique. Il découvre, dans les cavernes du Périgord, dont les vastes abris de La Madeleine et de Laugerie-Basse, les premiers objets d’art paléolithiques reconnus comme tels. Les résultats de ces travaux sont publiés entre 1865 et 1875, dans une série de fascicules illustrés de superbes planches gravées. Cet ouvrage, rédigé en anglais, est intitulé Reliquiæ Aquitanicæ, being contributions to the archaeology and Palaeontology of Perigord and the adjoining provinces of Southern France. Les collections issues des fouilles d’Édouard Lartet et Henry Christy rejoignent vite les grands musées archéologiques de l’époque : le Muséum national d'Histoire naturelle à Paris, le Musée des Antiquités nationales (aujourd’hui Musée d’Archéologie nationale) à Saint-Germain-en-Laye et le British Museum à Londres. Le grand bâton percé gravé de chevaux, provenant de l’abri de La Madeleine à Tursac (Dordogne), entre dans les collections du Musée des Antiquités nationales en mars 1868, moins d’une année après son inauguration en mai 1867. Il est très rapidement présenté dans la salle I, consacrée à « l’âge de la Pierre taillée ».

UN BÂTON PERCÉ, ORNÉ DE FRISES

Les bâtons percés sont connus durant tout le Paléolithique récent (entre – 44 000 et – 13 000 ans environ). Ils servent peut-être à redresser les pointes de sagaies, à fabriquer des cordes ou à tendre les couvertures en peau des habitations. Ils sont généralement façonnés dans du bois de renne et fréquemment décorés. Ce bâton percé aux chevaux de La Madeleine est gravé en champlevé : les incisions, profondes et dissymétriques donnent un léger relief aux silhouettes animales. Deux frises horizontales de chevaux sont représentées, une sur chaque « face » de cet objet cylindrique : une belle adaptation du décor à la forme du support. Sur la première face, nous pouvons distinguer, de la droite vers la gauche, le museau d'un cheval et deux chevaux, tournés vers la gauche, puis un quatrième équidé, de profil droit. Le troisième cheval et le quatrième ne possèdent pas de tête. Le dernier équidé est figuré à l’envers, les pattes orientées vers le haut. Quatre chevaux sont figurés sur la deuxième face, tournés vers la gauche. Les deux premiers équidés sont complets, mais le troisième et le quatrième ne possèdent pas de tête non plus. Sur une face comme sur l’autre, l’absence de la tête pour certains chevaux est une adaptation de la frise à la perforation du bâton.

DES CHEVAUX À "GROSSE TÊTE" OU À "LOURDE MÂCHOIRE"

Les chevaux, qui sont les animaux les plus fréquents dans l’art paléolithique, sont le plus souvent figurés de manière réaliste. Mais les équidés gravés sur ce bâton percé sont disproportionnés. Il s’agit de chevaux à grosse tête ou « macrocéphales » ; on parle aussi d’animaux à lourde mâchoire ou « barygnathes ». Ces chevaux possèdent des corps et des pattes schématiques. En revanche, les têtes, de forme triangulaire, présentent de nombreux détails, très codifiés : l’œil, la salière (l’enfoncement au-dessus des yeux) marquée, le naseau, la bouche, la ganache (l’arrière de la mâchoire inférieure) anguleuse et la crinière. Les chevaux à grosse tête ou à lourde mâchoire forment un véritable thème dans le Périgord au Magdalénien récent (entre – 16 000 et – 14 000 ans). On décompte presque 120 figurations, dont une quarantaine provenant du seul abri de La Madeleine. Ce bâton percé présente, avec huit sujets, le plus grand ensemble connu. Il est difficile de comprendre comment un thème, parfois contraignant, peut s’imposer dans une région durant une période précise. S’agit-il d’un groupe culturel ou de seulement quelques individus, voire d’un seul, à l’origine d’une production en série ? C’est une question intéressante qui demeure hélas sans réponse.

BIBLIOGRAPHIE

CLEYET-MERLE Jean-Jacques. Grands sites d’art magdalénien. La Madeleine et Laugerie-Basse il y a 15 000 ans. Musée national de Préhistoire, Les Eyzies-de-Tayac. 21 juin - 10 novembre 2014. Paris : Réunion des Musées nationaux, 2014, 128 p. (notice n°79, p. 116).

COOK Jill. Ice Age Art. The arrival of the modern mind. British Museum, Londres. 7 février - 26 mai 2013. Londres : British Museum, 2013, 288 p.

DELPORTE, Henri. Chefs-d'œuvre de l’art paléolithique. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 24 juillet - 1er décembre 1969. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1969, 96 p. (notice n°3, p. 30).

LARTET, Édouard. CHRISTY, Henry. Reliquiæ Aquitanicæ. Being contributions to archæology and paleontology of Perigord and the adjoining provinces of southern France. Londres : Williams & Norgate, 1865-1875, 722 p., 87 pl. (pl. B XXX et XXXI).

MORTILLET (DE), Gabriel. Promenades au Musée de Saint-Germain. Catalogue illustré de 79 figures par Arthur Rhoné. Paris : Reinwald, 1869, 187 p. (p. 114-115, fig. 33).

LIENS UTILES

Le bâton percé aux chevaux (objet du mois de janvier 2021) https://musee-archeologienationale.fr/actualite/le-baton-perce-aux-chevaux

Sculpture
Media Name: pal_man74483f_f_roc-de-sers.jpg
© RMN-GP - Gérard Blot
Le bloc au « chasseur chassé » du Roc-de-Sers

Sers (Charente), abri du Roc-de-Sers

Solutréen (entre – 26 000 et – 23 000 ans environ)

Les blocs du Roc-de-Sers proviennent de la paroi sculptée d’un abri-sous-roche habité au Solutréen. Ils témoignent d’un art quotidien, animé et narratif, où l’homme et l’animal se retrouvent parfois confrontés l’un à l’autre.

UNE PAROI SCULPTÉE QUI S'EST EFFONDRÉE

Le site du Roc-de-Sers est localisé dans la vallée du Roc, sur la commune de Sers (Charente). De 1909 à 1933, Léon Henri-Martin réalise les fouilles archéologiques les plus importantes. En 1951, sa fille Germaine Henri-Martin et Raymond Lantier, conservateur du Musée des Antiquités nationales, y fouillent à nouveau. L’habitat installé devant l’abri-sous-roche est bien daté : l’industrie lithique (silex taillé) est attribuée au Solutréen (entre – 26 000 et – 23 000 ans environ). Les datations C14 effectuées récemment sur des échantillons d’os brûlés le confirment. Les blocs sculptés sont mis au jour dans les niveaux solutréens. Une vingtaine de fragments de calcaire, sculptés en bas-relief, proviennent de la paroi de l’abri qui s’est effondrée. Il s’agit donc d’art pariétal, même si nous n’avons pas affaire à une grotte profonde et obscure, mais à un abri bénéficiant de la lumière naturelle. Après remontage, treize blocs sont reconstitués. La frise sculptée à l’origine dans la paroi de l’abri-sous-roche est difficile voire impossible à restituer. La présentation muséographique de l’ensemble est donc forcément hypothétique. Au total, une quinzaine de figurations animales, surtout des chevaux et des bovinés, côtoient quelques représentations humaines.

DES FIGURATIONS ANIMÉES ET CHANGEANTES

Les blocs du Roc-de-Sers sont caractéristiques des abris sculptés solutréens puis magdaléniens. Ils montrent, en effet, une grande maîtrise des techniques de la sculpture en relief et de la gravure. La plupart des figurations traduisent un réel sens du volume et du mouvement, sans pour autant négliger les détails. Les représentations sculptées mêlent parfois animation et narration, comme sur le bloc aux bouquetins affrontés. L’on y voit deux caprinés entrechoquer leurs cornes, probablement deux mâles qui se battent en prévision du rut. Les artistes préhistoriques, qui sont d’abord des chasseurs, connaissent bien la faune. Cependant, les animaux sculptés du Roc-de-Sers ne sont pas totalement réalistes. Ils possèdent une petite tête et de courtes pattes, proportionnellement à leur corps massif, au ventre rebondi. Ils ressemblent aux animaux peints dans la grotte de Lascaux (Dordogne), au tout début du Magdalénien (vers – 20 500 ans). Enfin, il arrive qu’une sculpture en remplace une autre, et qu’une espèce en occulte une autre. C’est ainsi que, sur un des blocs du Roc-de-Sers, un boviné (bison, aurochs ou bœuf musqué) a été transformé en sanglier : son corps volumineux subsiste mais sa tête a été refaçonnée, donnant un animal hybride fort étrange.

UN BLOC SCULPTÉ AVEC UN "CHASSEUR CHASSÉ"

Sur la partie gauche du plus grand bloc, sont gravés un humain, très caricatural, deux chevaux et un animal incomplet. L’extrémité droite du bloc est sculptée en haut-relief. On y voit un homme, peut-être un chasseur avec une arme (une sagaie ?) sur l’épaule gauche, chargé par un boviné, un bison ou un bœuf musqué. Représenté de profil droit, le bison-bœuf musqué est en train de charger l’homme, la tête baissée entre les pattes antérieures. La tête est sculptée, de manière astucieuse, sur l’angle convexe de la paroi, ce qui lui donne du volume. De grande taille, l’animal tire sa supériorité symbolique de sa puissance graphique. L’homme est façonné sur l’angle concave de la paroi, ce qui l’éloigne du spectateur. Il est également figuré de profil droit, au moment où il prend la fuite, les jambes fléchies et le corps penché vers l’avant. Ses petites dimensions, par rapport au boviné, indiquent clairement qu’il est en danger et vulnérable. La mise en danger de l’homme par l’animal (et non l’inverse) semble être un thème de l’art paléolithique, notamment de l’art pariétal solutréen. À cette même époque, en Dordogne, une scène peinte dans la grotte de Villars et la célèbre « Scène du Puits » de Lascaux montrent aussi un homme chargé par un boviné.

BIBLIOGRAPHIE

DELPORTE, Henri. Chefs-d'œuvre de l’art paléolithique. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 24 juillet - 1er décembre 1969. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1969, 96 p. (notice n°114 O, p. 75).

HENRI-MARTIN, Léon. Les sculptures de l'atelier solutréen du Roc (Charente). Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 71ᵉ année, 4, 1927, p. 291-294.

HENRI-MARTIN, Léon. Les Bouquetins affrontés de l'Atelier solutréen du Roc (Charente). Bulletin de la Société préhistorique française, tome 28, 3, 1931, p. 170-171.

LANTIER, Raymond. Les fouilles du sanctuaire solutréen du Roc-de-Sers (Charente) en 1951. Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 96ᵉ année, 2, 1952, p. 303-307.

TYMULA, Sophie. L’art solutréen du Roc-de-Sers (Charente). Paris : Maison des sciences de l'homme, Documents d'archéologie française, 91, 2002, 288 p. (fragment O, p. 197-206, fig. 132 à 140).

LIENS UTILES

Les abris sculptés de la Préhistoire https://archeologie.culture.gouv.fr/sculpture-prehistoire/fr

Outils
Media Name: PAL_MAN32224_feuille_laurier_Volgu
© RMN-GP.René-Gabriel Ojéda
Feuille de laurier

Volgu, (Rigny, Saône-et-Loire)

Vers 17 000 av. J.-C.

Au Solutréen, vers -20 000, on a assez peu de témoignage d'art mobilier, mais beaucoup d'outil en pierre témoignant d'une très grande maitrise technique comme la feuille de laurier en silex de Volgu qui mesure près de 30 cm de long pour 1 cm d'épaisseur. Ses bords sont tellement fins qu'ils sont translucides.

 

Feuille de laurier by Musée d'Archéologie Nationale on Sketchfab

 

Sculpture
Media Name: PAL_MAN83364_F_aurochs
© RMN-GP.Franck Raux
La "chasse à l’aurochs" de La Vache

Alliat (Ariège), grotte de La Vache

Magdalénien final (vers – 13 000 ans)

Ce bâton percé découvert à La Vache est exceptionnel à plus d’un titre. Il fait appel à une technique de sculpture absolument unique. Il porte aussi une des très rares scènes de chasse représentées dans l’art paléolithique.

UN SITE PRÉHISTORIQUE PARTICULIÈREMENT RICHE

La grotte de La Vache, à Alliat (Ariège), est située sur la rive gauche du Vicdessos, affluent de l’Ariège, en face de la célèbre grotte ornée de Niaux. Le premier secteur de la cavité, la salle Garrigou, est exploré dès le XIXe siècle puis, en 1866, par le docteur Félix Garrigou et, vers 1870, par Félix Régnault. En 1940, Romain Robert découvre le second secteur, la salle Monique. Il la dénomme ainsi, en souvenir de sa petite fille, disparue prématurément, qui l’avait souvent accompagné dans la grotte. Assisté de Georges Malvesin-Fabre et de Louis-René Nougier, il entreprend plusieurs campagnes de fouilles, jusqu’en 1967. Quatre couches archéologiques sont définies arbitrairement. Elles sont attribuées au Magdalénien final (vers – 13 000 ans) et à l’Azilien (entre – 13 000 et – 11 500 ans environ). Des études et datations récentes tendent à les vieillir : il peut s’agir de Magdalénien récent (entre – 16 000 et – 14 000 ans environ). La quantité et la qualité des vestiges mis au jour à La Vache font de cette grotte un gisement majeur de la région des Pyrénées. Les objets d’art, faisant appel à des matières premières et à des techniques très diverses, sont extraordinairement nombreux et comptent de véritables chefs d’œuvre de l’art paléolithique.

UN BÂTON PERCÉ AU DÉCOR EXCEPTIONNEL

Ce bâton percé est sculpté, sur son extrémité droite, d’une tête animale en relief puis en ronde-bosse et, sur sa longueur, d’une scène figurée uniquement en relief. D’un point de vue technique, le relief est obtenu par le raclage de la perlure du bois de cervidé, cette dernière étant réservée pour les figures. La tête proprement dite, sculptée en relief, semble vue de dessus. Quelques incisions y figurent peut-être le naseau et les yeux. La corne gauche est manquante, tandis que la droite, sculptée en ronde-bosse, est brisée et recollée. Elle fait penser à un bouquetin, animal très présent dans l’art mobilier de La Vache. La scène figurée est composée d’un aurochs et de trois chasseurs. L’animal est représenté de profil gauche, avec les cornes de face. Il possède une tête massive, un corps imposant, avec un long poitrail, et des pattes fines. Les chasseurs, sculptés en relief plus léger, sont derrière l’animal, à un niveau plus élevé. Le premier personnage a le bras tendu et la tête penchée vers l’avant, peut-être dans une position de visée. Les deux traits parallèles au bout du bras figureraient alors un arc ou des sagaies. Le deuxième individu, avec des fesses volumineuses, pourrait être une femme. Le troisième personnage ressemble au premier.

DES SCÈNES DE CHASSE RARISSIMES

L’existence, au Paléolithique récent (entre – 44 000 et – 13 000 ans environ), de l’art mobilier, c’est-à-dire des objets mobiles, s’impose aux pionniers de la préhistoire dès les années 1860. Il faut attendre encore une quarantaine d’années pour que celle de l’art pariétal, sur les parois des grottes, soit admise. Très rapidement, la question de l’interprétation de cet art paléolithique devient centrale dans les discussions entre préhistoriens. Puisqu’il s’agit d’un art de chasseurs, l’idée d’un art de la chasse voire d’un art lié à la magie de la chasse, inspirée des observations faites par les ethnologues, fait son chemin. Mais les scènes de chasse, dont nous pouvons être certains, sont extrêmement rares dans l’art paléolithique. À l’inverse, les scènes de mise en danger de l’homme par l’animal sont plus fréquentes. Enfin, la faune chassée et consommée par les populations préhistoriques ne correspond pas au bestiaire figuré dans l’art. La scène de chasse à l’aurochs du bâton percé de La Vache reste donc une exception, difficile à appréhender. Et, dans cette scène, l’opposition entre le naturalisme de la figuration animale et le schématisme des représentations humaines, phénomène classique dans l’art paléolithique, est tout aussi énigmatique.

BIBLIOGRAPHIE

CLOTTES, Jean. DELPORTE, Henri. La grotte de La Vache (Ariège) – I. Les occupations du Magdalénien – II. L’art mobilier. Paris : Réunion des Musées Nationaux, Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 2003, 2 vol., 408 p. et 464 p. (vol. 2, notice n°500, p. 397-398).

DUHARD, Jean-Paul. Les groupements humains de l'art mobilier paléolithique. Bulletin de la Société préhistorique française, 89, 6, 1992, p. 172-182.

NICOLAU, Antoni. TZEDAKIS, Yannis. Toros. Imatge i culte à la Mediterrània antiga. Museu d’Història de la Ciutat, Barcelone. 14 novembre 2002 - 6 mars 2003. Barcelone : Museu d’Història de la Ciutat, 2002, 421 p. (notice n°1, p. 302)

NOUGIER, Louis-René. ROBERT, Romain. Présentation de deux « bâtons perforés » de la grotte de La Vache d’Alliat. Bulletin de la Société Préhistorique de l’Ariège, 30, 1975, p. 71-75.

THIAULT, Marie-Hélène. ROY, Jean-Bernard. L’art préhistorique des Pyrénées. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 2 avril - 8 juillet 1996. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1996, 371 p. (notice n°424, p. 300-301).

Sculpture
Media Name: PAL_N°_R_Mas d'Azil
© RMN-GP. Thierry Le Mage
Rondelle perforée

Le Mas d’Azil (Ariège), grotte du Mas d’Azil

Magdalénien moyen (entre – 18 000 et – 16 000 ans environ)

Cette minuscule rondelle découpée, mise au jour dans la gigantesque grotte du Mas d’Azil, nous raconte une histoire plus complexe qu’elle n’y paraît. Elle nous donne aussi une image inattendue des populations préhistoriques.

UNE GROTTE ABSOLUMENT GIGANTESQUE

La grotte du Mas-d'Azil est située sur la commune du même nom, dans le département de l'Ariège, au centre des Pyrénées françaises. Avec un porche de 51 mètres de haut et 48 mètres de large, la cavité, absolument gigantesque, traverse de part en part, sur une longueur de 500 mètres, le massif calcaire du Planturel. Localisée sur la rive droite de l'Arize, la rivière qui la traverse et qui l’a creusée, la grotte est également parcourue par une route départementale. C’est d’ailleurs la construction de cette route qui entraîne, en 1857, la découverte de vestiges préhistoriques et, dès 1860, les premières fouilles archéologiques. Après Édouard Piette, entre 1887 et 1894, se succèdent l’abbé Henri Breuil, en 1901 et 1902, puis Marthe et Saint-Just Péquart, de 1935 à 1942. Occupée à différentes époques préhistoriques et historiques, la caverne donne son nom à l'Azilien, une culture du Paléolithique final (entre – 13 000 et – 11 500 ans environ). Elle livre aussi deux ensembles attribuables au Magdalénien moyen et récent (entre – 18 000 et – 14 000 ans environ), particulièrement riches en objets d’art. Cette rondelle découpée, datée du Magdalénien moyen (entre – 18 000 et – 16 000 ans environ), est découverte par Marthe et Saint-Just Péquart en 1937 ou 1938.

UNE RONDELLE DÉCOUPÉE AU DÉCOR COMPLEXE

Parfaitement circulaire, avec un diamètre de cinq centimètres, cette rondelle découpée en os possède une perforation bien centrée et des bords soigneusement polis. Elle est conservée entière – fait exceptionnel – et décorée de figures animales, alors que la plupart des rondelles sont ornées de motifs géométriques. Sur une face, on peut voir un avant-train de boviné adulte, judicieusement inscrit dans le cercle de la rondelle. Les détails sont efficaces et élégants : les cornes, en perspective, l’oreille, l’œil et le naseau, ainsi que le pelage, figuré par séries de petits traits parallèles, au niveau du garrot et du poitrail. L’autre face porte un jeune boviné complet, dont la disposition est également très réussie. L’on y retrouve les mêmes détails, oreille, œil, naseau, et la même façon de traiter le pelage, en mettant l’accent sur le garrot. Les proportions entre le jeune animal et le sujet adulte, deux fois plus grand, sont réalistes. Cette rondelle découpée était considérée par les préhistoriens comme figurant une vache et son veau. Mais les archéozoologues identifient une femelle aurochs et un jeune bison, qui n’appartiennent donc pas à la même espèce. La relation entre les deux bovinés gravés ne serait finalement pas celle de la maternité…

DES ÉLÉMENTS DE PARURE ET DES VÊTEMENTS ÉLABORÉS

Bien connues dans les Pyrénées au Magdalénien moyen (entre – 18 000 et – 16 000 ans environ), ces rondelles en os sont découpées dans des omoplates puis perforées et gravées. Sur une omoplate découverte dans la grotte de Saint-Michel à Arudy (Pyrénées-Atlantiques), on peut même voir les négatifs de trois rondelles. Les rondelles découpées sont considérées comme des éléments de parure, des pendeloques qui étaient portées autour du cou ou des appliques qui étaient cousues sur les vêtements de peau. On peut les rapprocher des contours découpés, également façonnés dans des os extrêmement fins, figurant surtout des têtes de chevaux. Pour avoir une idée complète de la parure magdalénienne, il faut ajouter à ces pendeloques ou appliques une grande variété de dents percées, de coquilles perforées, d’éléments sculptés et gravés, ainsi que de petits objets cassés, récupérés et réutilisés en bijoux (extrémités de lissoirs, pointes de sagaies, etc.). La disposition de ces éléments de parure dans les sépultures de l’époque, peu nombreuses cependant, nous laisse entrevoir à quoi pouvaient ressembler les vêtements en peau, malheureusement disparus. C’est alors que se dessinent des hommes, femmes et enfants préhistoriques soigneusement habillés, coiffés et chaussés.

BIBLIOGRAPHIE

CAMPS-FABRER, Henriette. Fiches typologiques de l’industrie osseuse préhistorique. Cahier IV : Objets de parure. Aix-en-Provence : Publications de l’Université de Provence, 1991, 452 p.

DELPORTE, Henri. Chefs-d'œuvre de l’art paléolithique. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 24 juillet - 1er décembre 1969. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1969, 96 p. (notice n°99, p. 66-67).

PÉQUART, Marthe. PÉQUART, Saint-Just. Nouvelles découvertes à la grotte du Mas d'Azil. Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, IX° série, 2, 1941, p. 128-130.

TABORIN, Yvette. Langage sans parole. La parure aux temps préhistoriques. ‎Paris : La Maison des Roches, 2004, 215 p.

THIAULT, Marie-Hélène. ROY, Jean-Bernard. L’art préhistorique des Pyrénées. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 2 avril - 8 juillet 1996. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1996, 371 p. (notice n°300, p. 258-259).

LIENS UTILES

La rondelle à la vache au veau (objet du mois d’avril 2017) https://musee-archeologienationale.fr/la-rondelle-la-vache-et-au-veau

Sculpture
Media Name: pal_frise_lions.jpg
© RMN-Grand Palais (MAN) / Daniel Arnaudet
La "frise des lions" de la grotte de La Vache

Alliat (Ariège), grotte de La Vache

Magdalénien récent ou final (entre – 16 000 et – 13 000 ans environ)

La « Frise des lions » est un chef-d’œuvre plusieurs fois rescapé : brisé et brûlé, il a été dispersé et aurait pu ne jamais être rassemblé. C’est aussi un des objets d’art les plus marquants de la « Préhistoire du cinéma ».

DEUX FRAGMENTS DÉCOUVERTS SÉPARÉMENT

La grotte de La Vache, à Alliat (Ariège), est située sur la rive gauche du Vicdessos, affluent de l’Ariège, en face de la célèbre grotte ornée de Niaux. Le premier secteur de la cavité, la salle Garrigou, est exploré dès le XIXe siècle puis, en 1866, par le docteur Félix Garrigou et, vers 1870, par Félix Régnault. En 1940, Romain Robert découvre le second secteur, la salle Monique. Il la dénomme ainsi, en souvenir de sa petite fille, disparue prématurément, qui l’avait souvent accompagné dans la grotte. Assisté de Georges Malvesin-Fabre et de Louis-René Nougier, il entreprend plusieurs campagnes de fouilles, jusqu’en 1967. Quatre couches archéologiques sont définies arbitrairement. Elles sont attribuées au Magdalénien final (vers – 13 000 ans) et à l’Azilien (entre – 13 000 et – 11 500 ans environ). Des études et datations récentes tendent à les vieillir : il peut s’agir de Magdalénien récent (entre – 16 000 et – 14 000 ans environ). Ces deux fragments d’os gravés sont trouvés dans deux secteurs éloignés du site, lors des fouilles conduites par Romain Robert de 1940 à 1967. En 1988, les deux fragments, qui sont également conservés dans les réserves, sont raccordés par Dominique Buisson, assistant de conservation au musée d'Archéologie nationale.

UN CHEF-D'OEUVRE BRISÉ ET BRÛLÉ

Ces deux fragments appartiennent à une même lame d'os, issue d'une côte de boviné (bison ou aurochs), fracturée anciennement et peut-être volontairement. En effet, les cassures présentent des profils en biseau caractéristiques des objets ployés puis brisés. Le premier fragment est brûlé, peut-être intentionnellement. Sur ces deux fragments d'os sont gravés trois lions, de profil gauche, l'un à la suite de l'autre. Ils forment une frise qui s'inscrit parfaitement dans le registre horizontal de la pièce. Du premier félin, situé à gauche, ne subsiste que l'arrière-train, avec la patte arrière repliée et la queue en position basse. Le lion central est entièrement conservé, avec un corps robuste et une tête massive, au lourd menton. De nombreux détails figurent les oreilles, l'œil, le nez, la bouche et les vibrisses. Alors que les pattes avant sont tronquées, les pattes arrière sont complètes, en pleine extension, et la queue est relevée. Le troisième lion, dont il ne reste que la moitié, se trouve à droite, la tête sur le premier fragment et le corps sur le second. La tête est en partie masquée par la queue du deuxième lion, ce qui donne une impression de profondeur. Les pattes avant sont droites, tandis que les pattes arrière semblent très fléchies.

LA "PRÉHISTOIRE DU CINÉMA"

La « Frise des lions » est une œuvre d’une rare complexité. Des motifs triangulaires, peut-être des signes, sont associés aux lions et semblent destinés à combler la surface de l’objet. Les triangles sont remplis de traits courts et parallèles entre eux, comme ceux qui figurent la musculature et le pelage des félins. En plus de jouer avec les formes, la composition traduit de manière subtile la perspective. Chaque félin occupe trois plans différents, avec, du plus proche de nous au plus éloigné, ses pattes côté gauche, l’axe central de son corps et ses pattes côté droit. Enfin, la représentation du mouvement est extraordinaire. Pour les découvreurs, Louis-René Nougier et Romain Robert, les trois félins qui se suivent montrent des attitudes différentes. Le lion central est représenté en train de bondir ; le premier semble prendre son élan et le dernier, se réceptionner. S'agit-il de la figuration de trois phases successives d'un même saut ? Le préhistorien et cinéaste Marc Azéma précise cette interprétation : les trois images coïncideraient avec trois étapes de la course d'un félin. La « Frise des lions » décomposerait le mouvement, avec une exactitude inégalée jusqu'à l'invention de la photographie. C'est ce qu'il appelle la « Préhistoire du cinéma ».

BIBLIOGRAPHIE

BUISSON, Dominique. DELPORTE, Henri. Intérêt d'un raccord pour l'authentification d'une œuvre d'art. Bulletin de la Société préhistorique française, 85, 1, 1988, p. 4-6.

CLOTTES, Jean. DELPORTE, Henri. La grotte de La Vache (Ariège) – I. Les occupations du Magdalénien – II. L’art mobilier. Paris : Réunion des Musées Nationaux, Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 2003, 2 vol., 408 p. et 464 p. (vol. 2, notice n°374, p. 310-311).

NOUGIER, Louis-René. ROBERT, Romain. Les félins dans l'art quaternaire. Bulletin de la Société préhistorique de l'Ariège, 20, 1965, p. 18-84.

THIAULT, Marie-Hélène. ROY, Jean-Bernard. L’art préhistorique des Pyrénées. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 2 avril - 8 juillet 1996. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1996, 371 p. (notice n°444, p. 310-311).

AZÉMA, Marc. La Préhistoire du cinéma. Origines paléolithiques de la narration graphique et du cinématographe... Paris : Errance, 2011, 300 p., 1 DVD

LIENS UTILES

La « Frise des lions » de la grotte de La Vache (objet du mois de septembre 2015) https://musee-archeologienationale.fr/la-frise-des-lions-grotte-de-la-vache-ariege

Sculpture
Media Name: PAL_MAN30361_R_Chaffaud
© RMN-GP. Jean-Gilles Berizzi
Les Biches du Chaffaud

Savigné (Vienne), grotte du Chaffaud

Magdalénien (entre – 20 500 et – 13 000 ans environ)

Cet objet d’art paléolithique, découvert avant la naissance de la préhistoire, a longtemps été considéré comme celtique. Il a fallu l’œil avisé de Prosper Mérimée pour y reconnaître un chef d’œuvre de l’art magdalénien.

UNE DÉCOUVERTE PRÉCOCE

Cet os gravé est découvert, parmi d'autres vestiges magdaléniens, notamment des outils de silex taillé, dans la grotte du Chaffaud. Il est mis au jour avant 1845, par André Brouillet, notaire dans la Vienne, et Charles Joly-Leterme, architecte à Saumur, inspecteur des Monuments historiques en Anjou, Touraine et Poitou. L’objet d’art n'est pas signalé dans le premier rapport de fouilles rédigé par Charles Joly-Leterme en 1848, à la demande de Prosper Mérimée, inspecteur général des Monuments historiques. Il faut dire que les découvertes de la grotte du Chaffaud sont considérées comme celtiques. La préhistoire n’est pas encore née. Dans un courrier qu'il adresse à Joly-Leterme en 1852, Mérimée mentionne, en revanche, des os gravés. L'année suivante, il en fait la communication devant l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Il n'est plus question d'œuvres de l'âge du Fer, étant donné que « pas un morceau de métal n'a été découvert ». La pièce entre au Musée de Cluny en 1853, parmi les séries dites celtiques données par Charles Joly-Leterme. Elle est malheureusement inscrite à l’inventaire avec des erreurs concernant sa description, comme un « manche » en corne et non en os, mais aussi sa provenance, dans le Maine-et-Loire et pas dans la Vienne.

UNE RECONNAISSANCE TARDIVE

Dès 1853, Prosper Mérimée réalise le calque des biches du Chaffaud, qui constitue sans doute le premier relevé d’un objet d’art paléolithique. Il précise dans ses communications et correspondances que le dessin peut être tenu pour exact puisque c’est un calque. C’est, en effet, un relevé assez fidèle, pour un essai. La même année, Prosper Mérimée envoie un courrier très descriptif, avec le calque, à l'archéologue danois Jens Jacob Asmussen Worsaae. Ce dernier ne mentionne cette pièce gravée que bien des années plus tard, lors du 4ème Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques, à Copenhague en 1869. Mais l’existence de l’art mobilier (l’art des objets) paléolithique est reconnue dans les années 1860, grâce aux découvertes faites par Édouard Lartet et Henry Christy dans le Périgord, notamment la gravure d’un mammouth, animal préhistorique disparu, sur de l’ivoire de mammouth à l’abri de La Madeleine (Dordogne). En 1887, les biches du Chaffaud sont étudiées et publiées par Alexandre Bertrand, le conservateur du Musée de Saint-Germain*, où elles sont finalement déposées par le Musée de Cluny. Elles y sont toujours conservées, depuis plus de 130 ans, et constituent un témoin majeur de la reconnaissance de l’art préhistorique.

UNE SCÊNE PEUT-ÊTRE NARRATIVE

L’os utilisé peut facilement être identifié : il s'agit d'un métatarse, provenant de la patte arrière d'un renne, animal chassé et consommé. La pièce, très fracturée et fissurée, a été restaurée : le comblement de la lacune en facilite la lecture. Quelques traces de couleurs font penser à des restes de peinture. Deux biches sont gravées, de profil gauche, l’une derrière l’autre. La frise, composée d’animaux se suivant, est parfaitement adaptée à la forme horizontale du support. La première biche est entièrement conservée, tandis que la seconde est écourtée par la cassure de l'os et recouverte par de la concrétion calcaire. La première biche et la tête de la seconde sont gravées avec une richesse de détails et une justesse admirables. La bouche, les naseaux, l'œil et les oreilles sont très naturalistes, de même que le pelage, figuré par des lignes fines, longues et serrées, mais aussi par des traits courts et profonds, le long du dos. Devant chacune des deux biches, des motifs en forme de fuseaux peuvent être interprétés comme des signes ou comme des poissons très schématiques. Il est vrai qu'il existe d’autres scènes gravées mêlant des cervidés et des poissons dans l’art magdalénien, comme celle du fameux « Bâton de Lortet » (collection Piette).

BIBLIOGRAPHIE

WORSAAE, Jens Jacob Asmussen. Compte-rendu de la 4ème session, Copenhague, 1869. Séance du soir, mardi 31 août. Congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques, 1875, p. 102-127.

BERTRAND, Alexandre. L’os de renne gravé au Musée de Cluny, actuellement au Musée de Saint-Germain-en-Laye. Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 31ème année, 2, 1887 †, p. 221-225.

DELPORTE, Henri. Chefs-d'œuvre de l’art paléolithique. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 24 juillet - 1er décembre 1969. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1969, 96 p. (notice N°64, p. 51).

LARTET, Édouard. Recherches sur la coexistence de l'Homme et des grands Mammifères fossiles réputés caractéristiques de la dernière période géologique. Annales des Sciences naturelles, 4ème série, Zoologie, 15, 1861, p. 177-253.

SAINT-MATHURIN (DE), Suzanne. Les biches du Chaffaud (Vienne) : vicissitudes d'une découverte. Antiquités nationales, 3, 1971, p. 22-28.

LIENS UTILES

Les Biches du Chaffaud (objet du mois de janvier 2016) https://musee-archeologienationale.fr/les-biches-du-chaffaud-vienne

Armes
Media Name: pal_propulseur_poissons_odm.jpg
© MAN/Valorie Gô
Propulseur aux poissons des Espélugues

Grotte des Espélugues, Lourdes (Hautes-Pyrénées)

Magdalénien, entre – 18 000 ans et – 11 000 ans environ

La grotte des Espélugues, fouillée dès le XIXe siècle, livre de magnifiques objets d’art magdaléniens, dont le célèbre « Petit Cheval de Lourdes ». Ce propulseur est décoré d’un des plus beaux poissons de l’art paléolithique.

UN PROPULSEUR DÉCOUVERT ANCIENNEMENT

La grotte des Espélugues à Lourdes (Hautes-Pyrénées) tient son nom du massif calcaire du mont des Espélugues. Elle s’ouvre au nord-ouest par trois grands porches, au-dessus de la rive gauche du gave de Pau, affluent de l’Adour. Elle est constituée de vastes salles, qui sont occupées du Paléolithique au Moyen Âge. Fréquentée par des excursionnistes pendant la première moitié du XIXe siècle, la caverne est fouillée entre 1860 et 1873 par de nombreux pionniers de la préhistoire, comme Édouard Lartet ou Félix Garrigou. Elle est ensuite vidangée, de 1873 à 1875, à la demande des ecclésiastiques, qui la transforment en chapelle. La grotte des Espélugues livre des vestiges attribuables au Magdalénien moyen et récent (entre – 18 000 et – 14 000 ans environ). C'est entre 1886 et 1889 que l’érudit carcassonnais Léon Nelli explore les lambeaux de couches archéologiques encore en place dans la caverne et, par la suite, les remblais du chemin. En plus du célèbre « Petit Cheval de Lourdes », découvert dans une anfractuosité basse d’une paroi de la grotte, il recueille des objets d’art magdaléniens, gravés ou sculptés, en matières lithiques (pierre) ou osseuses. Ce propulseur en bois de renne, orné d’un salmonidé, sculpté en ronde-bosse aplatie, en fait partie.

DES FIGURATIONS DE POISSONS PEU FRÉQUENTES

Seuls quelques propulseurs préhistoriques sont réduits à leur plus simple expression : un crochet destiné à être emmanché. Nombre d'entre eux sont, au contraire, superbement décorés, sculptés en bas-relief ou en ronde-bosse aplatie. Mais les poissons sont rares sur les propulseurs, comme dans tout l'art paléolithique. Cet exemplaire figure un salmonidé, truite ou saumon, identifiable à sa silhouette, sculptée en ronde-bosse aplatie, et à ses nombreux détails, finement gravés. La tête est délimitée par les ouïes et représentée avec les yeux et la bouche. Des ponctuations dessinent peut-être des écailles ou des taches de couleurs. Les nageoires sont toutes figurées ou suggérées : pectorales, dorsales, caudales (queue), etc. Les lignes sensorielles latérales sont également gravées. Ces organes, situés sur les flancs des poissons, leur permettent de percevoir les vibrations, d'éviter les obstacles et de détecter les proies ou les prédateurs. Dans l’ouvrage consacré aux poissons, aux batraciens et aux reptiles dans l'art paléolithique, qu’ils publient en 1927, Henri Breuil et René de Saint-Périer considèrent le salmonidé de la grotte des Espélugues comme « la plus belle figure sculptée de poisson que l'on connaisse jusqu'ici dans l'art quaternaire ».

DES ARMES DE JET POUR LA CHASSE

Les propulseurs sont des armes de jet qui servent à lancer des projectiles, sagaies ou harpons. Ils ont pour finalité d’augmenter la vitesse de ces derniers et donc leur efficacité. Ils permettent un tir puissant et précis à courte distance (moins de trente mètres), ou un tir à longue distance (plus de cent mètres). La plupart des propulseurs sont constitués d’une baguette ou d'une planchette rigide munie d’un dispositif, crochet ou gouttière, sur lequel vient s’insérer le projectile. La comparaison avec des objets ethnologiques permet de mieux comprendre les modes de fabrication et d'utilisation des pièces archéologiques. Au Paléolithique, les propulseurs sont connus en Europe occidentale, du Solutréen récent au début du Magdalénien récent (entre – 24 000 et – 16 000 ans environ). Ce sont les extrémités, en bois de renne ou en ivoire de mammouth, destinées à être emmanchées sur des hampes en bois végétal, qui nous sont parvenues. Les propulseurs conviennent parfaitement à la chasse en milieu ouvert, comme les paysages de steppe et de toundra liés au climat froid des périodes glaciaires. De plus, ils sont particulièrement adaptés aux troupeaux de grands herbivores sauvages, tels que les rennes, les chevaux ou les bovinés (bisons, aurochs).

BIBLIOGRAPHIE

BREUIL, Henri. SAINT-PÉRIER (DE), René. Les poissons, les batraciens et les reptiles dans l'art quaternaire. Paris : Masson, Archives de l'Institut de paléontologie humaine, 2, 1927, 169 p.

CATTELAIN, Pierre. Fiches typologiques de l’industrie osseuse préhistorique. Cahier II : Propulseurs. Aix-en-Provence : Publications de l’Université de Provence, 1988, 67 p.

CLEYET-MERLE, Jean-Jacques. Les figurations de poissons dans l'art paléolithique. In : Études et Travaux / Hommage de la Société préhistorique française à André Leroi-Gourhan. Bulletin de la Société préhistorique française, 84, 10-12, 1987. p. 394-402.

DELPORTE, Henri. Chefs-d'œuvre de l’art paléolithique. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 24 juillet - 1er décembre 1969. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1969, 96 p. (notice n°58, p. 49).

THIAULT, Marie-Hélène. ROY, Jean-Bernard. L’art préhistorique des Pyrénées. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 2 avril - 8 juillet 1996. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1996, 371 p. (notice n°98, p. 196).

LIENS UTILES

Les propulseurs aux poissons (objet du mois de septembre 2016) https://musee-archeologienationale.fr/actualite/les-propulseurs-aux-poissons

crâne
Media Name: Mégacéros - Crâne de grand cerf
© RMN-GP / MAN
Mégacéros

Irlande, tourbières, pas de site précis

Fin du Paléolithique (vers – 11 500 ans)

Le crâne de Mégacéros (Megaloceros giganteus) appartient à un cerf gigantesque, aujourd’hui disparu. Depuis plus de 150 ans, il accueille les visiteurs dans la première salle du musée et ne manque pas de les impressionner.

LA PREHISTOIRE AU MUSEE DE SAINT-GERMAIN

Alors que le décret de 1862, portant création du Musée de Saint-Germain, ne mentionne que les antiquités celtiques et gallo-romaines, une science nouvelle apparaissait : l'archéologie préhistorique. Jacques Boucher de Perthes, le père de la préhistoire, fait généreusement don de ses collections au musée en devenir. C'est pourquoi Émilien de Nieuwerkerke, directeur des musées impériaux, décide d'étendre le cadre chronologique du Musée de Saint-Germain aux temps les plus reculés. La commission d'organisation du musée qu'il préside s'adjoint les conseils actifs et avisés d'un autre pionnier de la préhistoire, Édouard Lartet. Celui-ci donne évidemment ses propres collections, mais il travaille également à faire acquérir par le musée les objets d’art, les armes et les outils, en matières lithiques (pierre) ou osseuses, et les vestiges fauniques nécessaires à la présentation des époques préhistoriques (on dit alors « anté-historiques »). Il faut expliquer la grande ancienneté de l’homme à un public qui la découvre. Il s’agit de montrer que les premiers outils de silex taillés sont recueillis dans des couches géologiques anciennes, associés à des ossements d’animaux préhistoriques disparus. D’où la grande importance de la faune dans la présentation.

L'ARRIVEE DU CRANE DE MEGACEROS

Le 9 novembre 1866, dans un courrier enthousiaste, le pionnier de la préhistoire Édouard Lartet informe Émilien de Nieuwerkerke, directeur des musées impériaux, et Alexandre Bertrand, conservateur du Musée de Saint-Germain, de l'arrivée imminente d'une pièce remarquable, une tête de « grand cerf d'Irlande ». Ce crâne entier de Mégacéros est acquis, à titre gratuit, six mois avant l’inauguration du musée, par l’intermédiaire d’un éminent géologue irlandais, Joseph Beete Jukes. En effet, de nombreux squelettes de ce gigantesque cerf sont conservés et découverts dans les tourbières d’Irlande, à la fin du XIXe siècle. Le 12 mai 1867, jour de l'inauguration du musée, la salle de Préhistoire et plus particulièrement le Mégacéros ne manquent pas d'impressionner les visiteurs et les journalistes. Ce sont d’ailleurs des gravures de cette salle, avec le crâne au centre, qui sont choisies pour illustrer les articles relatant l’événement. Depuis plus de 150 ans, le crâne de Mégacéros est toujours exposé dans la première salle, où il a pour vocation d’accueillir les visiteurs et de les émerveiller. Restauré en 2023, il voit sa conservation et sa présentation esthétique améliorées, en vue de sa réinstallation dans la galerie du Paléolithique rénovée.

LE MEGACEROS,UN CERVIDE GIGANTESQUE

De son nom scientifique Megaloceros giganteus, le Mégacéros est un cervidé gigantesque. Il peut mesurer jusqu’à deux mètres au garrot et ses bois peuvent atteindre une envergure de quatre mètres. D’ailleurs, « megaloceros » signifie « grandes cornes » en grec. Sa bosse dorsale, plus foncée, est figurée dans l’art. Il est adapté à des climats froids et à des milieux ouverts, steppes ou toundras. Apparu en Asie centrale, il y a 400 000 ans, il occupe ensuite le continent eurasiatique. Il figure parmi les animaux chassés et consommés par les hommes préhistoriques. Ses bois sont parfois utilisés dans la fabrication d’outils. Absent de l’art mobilier (art des objets), il est rare mais facile à identifier dans l’art pariétal (art des parois). Les peintures de la grotte Chauvet (Ardèche), à l’Aurignacien (entre – 44 000 et – 34 000 ans), et de la grotte de Cougnac (Lot), au Gravettien (entre – 34 500 et – 25 000 ans environ), sont imposantes. Le mégacéros s’éteint à la fin de la dernière glaciation, entre – 10 000 et – 8 000 ans environ, en raison du réchauffement du climat et du développement du couvert forestier. Comme le mammouth et l’ours des cavernes, il fait partie, dans notre imaginaire collectif, des grands animaux préhistoriques disparus.

BIBLIOGRAPHIE

BOURDIER, Camille. GOUTAS, Nejma. KUNTS, Delphine. Le Mégacéros : présence/absence d’un cervidé qui ne pas inaperçu… ou presque ! In : CATTELAIN, Pierre, GILLARD Marie, SMOLDEREN Alison (dir.), Disparus ? Les mammifères au temps de Cro-Magnon en Europe. Musée du Malgré-Tout, Treignes. 6 mai - 11 novembre 2018. Treignes : Cedarc, 2018, p. 139-154.

CHEW, Hélène. Musée des Antiquités nationales. Saint-Germain-en-Laye. Paris : Réunion des musées nationaux, 1989, 270 p. (notice, p. 32, fig. 11).

CLEYET-MERLE, Jean-Jacques. Musée national de Préhistoire. Les Eyzies-de-Tayac, Dordogne. Paris : Réunion des musées nationaux, 2007, 128 p. (notice, p. 26-27).

GUÉRIN, Claude. PATOU-MATHIS, Marylène. Les grands mammifères plio-pléistocènes d’Europe. Paris : Masson, Collection Préhistoire, 1996, 292 p.

SCHWAB, Catherine. L’art mobilier au Musée d’Archéologie nationale : présentation et contextualisation. In : CLEYET-MERLE, Jean-Jacques. GENESTE, Jean-Michel. MAN-ESTIER, Elena. L'art au quotidien – Objets ornés du Paléolithique supérieur. Colloque international, Les Eyzies-de-Tayac. 16-20 juin 2014. Paléo, numéro spécial, 2016, p. 67 à 85.

Outils
Biface Boucher de Perthes
© RMNGP/MAN
Le premier biface de Boucher de Perthes

Abbeville (Somme), Quartier Saint-Gilles

Acheuléen (entre – 600 000 et – 300 000 ans environ)

Jacques Boucher de Perthes, pionnier de la préhistoire, prouve la très grande ancienneté de l’homme. Ses collections, issues de ses travaux dans les carrières de la Somme, entrent au Musée des Antiquités nationales en 1867.

UN PIONNIER PERSÉVÉRANT

Jacques Boucher de Perthes (1788-1868) est considéré comme un des pères de la préhistoire. Directeur des douanes à Abbeville, il devient, en 1830, président de la Société d’émulation de cette même ville. Il s’intéresse aux origines de l’homme, avec un jeune médecin abbevilllois, nouveau sociétaire, Casimir Picard. Le décès prématuré de Picard, en 1841, conduit Boucher de Perthes à poursuivre seul ses travaux dans les carrières de la Somme. Il montre que des outils de silex taillé, surtout des bifaces, associés à des ossements d’espèces animales disparues, se trouvent dans des couches géologiques anciennes, non remaniées. Depuis 1838, Boucher de Perthes présente, en vain, ses conclusions à l’Académie des Sciences à Paris : il se heurte à un refus obstiné, de la part des autorités scientifiques, d’une très haute « antiquité » de l’homme. Le poids du récit biblique de la Création, dans la société française du XIXe siècle, est un obstacle. Son ouvrage monumental, Antiquités celtiques et antédiluviennes, dont les trois volumes paraissent en 1849 (avec la date de 1847), 1857 et 1864, souffre, dans les milieux scientifiques français, d’une absence totale de considération. Ses collections sont refusées par le Musée du Louvre puis par le Musée de Cluny.

UNE RECONNAISSANCE TARDIVE

De l’autre côté de la Manche, les travaux scientifiques de Jacques Boucher de Perthes sont plus rapidement appréciés. La visite à Abbeville, en 1859, des géologues anglais, Hugh Falconer, Joseph Prestwich et John Evans, atteste l’authenticité de ses découvertes et, en conséquence, la validité de ses hypothèses. En 1865, le directeur des musées impériaux, Émilien de Nieuwerkerke, souhaite acquérir les collections Boucher de Perthes pour le musée de Saint-Germain-en-Laye, dont la création a été décidée par Napoléon III en 1862. Il propose également au père de la préhistoire de participer à la commission d’organisation du musée. L’entrée des premières collections préhistoriques, données par Jacques Boucher de Perthes, entraîne même une évolution du projet par rapport à l’intention initiale. Le « Musée Gallo-Romain » devient « Musée des Antiquités nationales » et retrace désormais l’histoire de la Gaule, des origines au début du Moyen Âge. La salle I, dédiée aux époques dites « anté-historiques » et plus précisément à l’âge de la Pierre, présente les vestiges les plus anciens. La première moitié de la salle est consacrée aux dépôts quaternaires : y est principalement exposée la collection Boucher de Perthes, non loin du buste du généreux donateur.

LE PREMIER BIFACE INSCRIT

Ce biface acheuléen, inscrit à l’inventaire depuis 1867 sous le numéro 7 061, n’est pas la plus belle pièce du Paléolithique ancien appartenant aux collections du Musée d’Archéologie nationale. D’une douzaine de centimètres de long, grossièrement taillé dans un silex roux, il est particulièrement érodé et patiné. Mais il s’agit du premier outil préhistorique donné par Jacques Boucher de Perthes, arrivé au musée et enregistré. Il est mentionné dans la marge que cet outil, trouvé à Abbeville, dans la Somme, avant 1840, est montré par le pionnier de l’archéologie préhistorique lui-même aux académiciens, dès cette époque, à Paris. Depuis, des milliers de bifaces sont entrés dans les collections du musée. Ces outils de silex taillé, façonnés à partir d’un bloc de première matière, sont typiques de l’Acheuléen (entre – 600 000 et – 300 000 ans). La culture acheuléenne naît en Afrique, beaucoup plus anciennement (dès – 1,5 millions d’années). Les bifaces acheuléens sont des outils à tout faire (couper, broyer, racler, etc.), que l’on compare souvent à des couteaux suisses. La tracéologie, c’est-à-dire l’étude des traces d’utilisation, permet de savoir que les bifaces servent pour la boucherie, le travail du bois végétal, le nettoyage de la peau animale…

BIBLIOGRAPHIE

BOUCHER DE PERTHES, Jacques. Antiquités celtiques et antédiluviennes : mémoire sur l’industrie primitive et les arts à leur origine. Paris : Treuttel et Wurtz, 1849-1864, 3 vol., 833 p.

CLEYET-MERLE, Jean-Jacques. Boucher de Perthes et le Musée des Antiquités nationales. Antiquités nationales, 18-19, 1986-1987, p. 39-46

COHEN Claudine. HUBLIN Jean-Jacques. Boucher de Perthes. Les origines romantiques de la Préhistoire. Paris : Belin, 1989, Coll. Un savant, une époque, 272 p.

ORLIAC, Rachel. L’invention de la préhistoire par les objets. Les nouvelles de l’archéologie, 129, 2012, p. 13-20.

SCHWAB, Catherine. JOUYS BARBELIN, Corinne. Jacques Boucher de Perthes (1788-1868) et le Musée gallo-romain de Saint-Germain. Antiquités nationales, 50-51, 2021, p. 168-179

LIENS UTILES

Le premier biface de Jacques Boucher de Perthes (objet du mois d’avril 2018) https://musee-archeologienationale.fr/actualite/le-premier-biface-de-boucher-de-perthes

Outils
Media Name: paleo-aiguilles.jpg
© RMNGP/MAN
Aiguille à chas

Grotte du Placard à Vilhonneur (Charente) Magdalénien, vers – 15 000 ans

L’aiguille à chas a été inventée il y a 20 000 ans environ. Une baguette est extraite de l’os en creusant deux sillons profonds, réguliers et parallèles : c’est la technique du double rainurage. Cette baguette est ensuite perforée et façonnée en aiguille.

Instrument de musique
Grande flûte gravetienne d'Isturitz
Flûte 4 perforations © RMNGP/MAN
Flûte Gravettienne

Grotte d’Isturitz, Isturitz (Pyrénées-Atlantiques)

Fouilles Passemard

Aurignacien (vers – 35 000 ans)

L’existence de la musique au Paléolithique récent (entre – 40 000 et – 10 000 ans environ) est attestée par la découverte de plusieurs types d’instruments, façonnés à partir de matières dures animales : os, bois de cervidé, coquillage et ivoire de mammouth.  

LA MUSIQUE AU PALEOLITHIQUE Les hommes préhistoriques ont probablement fabriqué des instruments de musique avec des matériaux périssables, tels que le bois végétal, l’écorce ou la peau animale, mais ces derniers ne se sont pas conservés dans les sites archéologiques. On peut ainsi imaginer des tambours faits de bois et de peau, des flûtes taillées dans des roseaux, des trompes réalisées dans des cornes de bovinés... Enfin, dans certaines grottes, des draperies et des colonnes de calcite, stalactites ou stalagmites, montrent des traces de percussion, témoignant de leur utilisation comme lithophones ou pierres musicales. Les exemples connus sont désormais nombreux : Niaux, Fontanet et Le Portel (Ariège), Pech-Merle et Cougnac (Lot), Isturitz et Oxocelhaya (Pyrénées-Atlantiques), Arcy-sur-Cure (Yonne), etc. Dans ces grottes, qui sont de véritables caisses de résonance, des musicologues ont d’ailleurs mis en évidence une relation entre les endroits les plus sonores et la localisation des gravures et des peintures, ou encore les emplacements de petits objets fichés dans les parois (outils de silex taillé et fragments d’os). 

 

DES FLÛTES SUR OS D'OISEAUX

Les plus anciennes flûtes connues à ce jour ont été découvertes dans des grottes du Jura souabe, en Allemagne, et attribuées à l’Aurignacien ancien (vers – 40 000 / – 35 000 ans). La grotte de Geissenklösterle a livré la seule flûte qui ait été fabriquée dans de l’ivoire de mammouth. Cette dernière possède quatre perforations sur une longueur conservée de dix-neuf centimètres. La flûte de la grotte de Hohle Fels a été façonnée dans un radius de vautour. Bien que fragmentaire et incomplète, c’est la plus grande flûte paléolithique, avec ses vingt-deux centimètres de longueur et ses cinq perforations. Un fragment de flûte aurignacienne a également été découvert dans la grotte d’Isturitz, dans le Sud-Ouest de la France. Ces instruments deviennent plus fréquents lors de la période suivante, le Gravettien, vers – 25 000 ans. Dans la seule grotte d’Isturitz, une vingtaine de flûtes gravettiennes ont été mises au jour, toutes taillées dans des radius de vautours. En effet, ces os longs, creux et légers sont particulièrement adaptés à la fabrication de tubes, qui peuvent ensuite être perforés et parfois décorés, de motifs gravés géométriques. La plus grande flûte gravettienne est longue de vingt-et-un centimètres et montre quatre perforations. La grotte d’Isturitz a également livré deux flûtes magdaléniennes (vers – 15 000 ans). Les flûtes paléolithiques pouvaient être tenues droites ou obliques. La fréquence des sons devait varier en fonction de la position de la bouche et de la puissance du souffle. Des répliques modernes ont été expérimentées par des musiciens professionnels : elles donnent une idée des capacités de ces instruments, même si l’on ne connaît rien, hélas, des « partitions » préhistoriques...  

DES SIFFLETS, DES RHOMBES ET DES RACLEURS

Parallèlement aux flûtes, des sifflets ont été fabriqués à partir de phalanges de rennes, naturellement creuses. Si certaines phalanges ont été percées par les canines des carnivores, d’autres, en revanche, ont bel et bien été perforées par les hommes préhistoriques, à l’aide de perçoirs en silex taillé. Ces sifflets, qui émettent des sons très forts et très aigus, semblent avoir fait de formidables appeaux, destinés à attirer le gibier, notamment les oiseaux. De longues pendeloques ovales, façonnées dans des os plats et souvent décorées, sont considérées comme des rhombes. Ces instruments vibratiles, attachés au bout d’une lanière ou d’une cordelette, produisent une sorte de vrombissement, engendré par un mouvement de double rotation. Connus chez les aborigènes australiens, ils ont également fait l’objet de nombreuses expérimentations, dont certaines sont très convaincantes. Des sons très différents mais tout aussi étranges pour nos oreilles modernes, peuvent être obtenus avec des racleurs. Il s’agit de frotter une baguette contre les bords profondément crantés de ces objets en os ou en bois de cervidé. L’utilisation des racleurs demeure cependant très hypothétique : il se peut que les encoches soient purement décoratives ou liées à une fonction toute autre... Les représentations de musiciens ou de danseurs recensées dans l’art paléolithique sont extrêmement rares. Une gravure de la grotte des Trois- Frères (Ariège) figure un homme animalisé tenant un objet identifié tantôt comme une flûte nasale, tantôt comme un arc musical. Un fragment d’os gravé provenant de la grotte de La Garenne à Saint-Marcel (Indre) et conservé au Musée d’Argentomagus, montre un groupe de personnes se tenant par la main, comme dans une ronde.

 

Grande flûte gravetienne d'Isturitz présentée dans le cadre de l'Objet du mois  

Ecoutez un extrait de flûte en os

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

Pour aller plus loin :

Dominique Buisson,  Les flûtes paléolithiques d’Isturitz. Bulletin de la Société préhistorique française, 1990, tome 87, p. 10-12.

Tinaïg Clodoré et Anne-Sophie Leclerc. Préhistoire de la musique. Éditions du Musée de Préhistoire de Nemours, 2002.

Tinaig Clodoré-Tissot et Patrick Kersalé. Instruments et musiques de la Préhistoire. Éditions Lugdivine, Collection Thèm’Axe, 2010, Numéro 9, (avec CD).

Pour les petits et les grands :

Jean-Philippe Arrou-Vignod et Philippe Poirier. Naoum, la musique de la Préhistoire. Éditions Gallimard Jeunesse, Collection Musiques de tous les temps, 2000 (avec CD).

Tinaig Clodoré- Tissot. Archéo-musique : 20 instruments de musique de la Préhistoire à fabriquer. Éditions Lugdivine, 2010 (avec CD).

art paléolithique
Media Name: paleo-galets_copie.jpg
© RMNGP/MAN
Galets peints

Grotte du Mas d’Azil (Ariège)

Azilien, vers – 10 000 ans

À la fin du Paléolithique, l’art devient beaucoup plus abstrait. Les galets aziliens, gravés ou plus souvent peints, présentent une grande variété de décors : points alignés, bandes transversales, traits longitudinaux… Leur réalisation semble guidée par un souci de rapidité et de simplicité.

 

Sculpture
Media Name: o_bâton_percé_placard_gauche_Paléolithique.jpg
© MAN
Bâton percé de la grotte du placard

Vilhonneur (Charente), grotte du Placard

Magdalénien moyen (entre – 18 000 et – 16 000 ans environ)

Découvert par Arthur de Maret à la fin des années 1870 dans la grotte du Placard, ce bâton percé demeure peu étudié et publié, comme la collection à laquelle il appartient. C’est pourtant un véritable chef-d’œuvre magdalénien.

UN SITE À L'HISTOIRE MOUVEMENTÉE

En 1870, Jean Fermond, secrétaire de la mairie de Rochefoucauld, commence des fouilles archéologiques dans la grotte du Placard (Charente). Il expédie une caisse d’objets à Gabriel de Mortillet, attaché au Musée des Antiquités nationales. En effet, la caverne est vite considérée comme un site magdalénien important. En 1878, un jeune érudit, Arthur de Maret, reprend les fouilles dans la grotte du Placard. Ses observations confortent les subdivisions chronologiques du Paléolithique proposées par Gabriel de Mortillet. Mais faut attendre 1907 pour qu'une description précise des objets soit publiée par son fils, Adrien de Mortillet. Au moment de cette publication qui fait date pour la grotte du Placard, la collection de Maret est encore méconnue, comme le signalent Gabriel et Adrien de Mortillet, et toujours conservée par la veuve d'Arthur de Maret, qui envisage de la vendre. Les deux préhistoriens s'inquiètent du devenir de ce mobilier… En 1909 et 1910, la veuve de Maret vend finalement au Musée des Antiquités nationales une partie des séries moustériennes, solutréennes et magdaléniennes provenant de la grotte du Placard. Mais la collection, proposée à plusieurs institutions et à de nombreuses personnes, est par conséquent fortement dispersée.

LA "BATAILLE DE L'AURIGNACIEN"

Paradoxalement, la collection de Maret provenant de la grotte du Placard bénéficie d'un regain d’intérêt au début du XXe siècle. Le site joue un rôle important dans la querelle scientifique, dite « bataille de l'Aurignacien », qui oppose Adrien de Mortillet, le fils de Gabriel de Mortillet, et l'abbé Henri Breuil. Afin de défendre la chronologie établie par son père, Adrien de Mortillet cherche à tirer parti de l'absence de l'Aurignacien à la grotte du Placard. Il essaie de combattre ainsi les idées de l’abbé Breuil, qui voit l'Aurignacien se situer entre le Moustérien et le Solutréen. L’histoire donne raison à ce dernier. Quelques années plus tard, Henri Breuil utilise également le mobilier de la grotte du Placard pour étudier la transition entre le Solutréen et le Magdalénien, ainsi que les subdivisions du Magdalénien. Le gisement joue donc un rôle fondamental dans les discussions relatives à la chronologie du Paléolithique récent. Il faut dire que l’industrie osseuse (outils et armes en os et bois de renne) provenant de ce gisement est exceptionnelle, quantitativement et qualitativement. La plupart des types d’objets connus sont présents et extraordinairement conservés ; certaines pièces décorées sont des chefs-d’œuvre de l’art paléolithique.

UN BÂTON PERCÉ ÉNIGMATIQUE

Ce grand bâton percé, façonné dans du bois de renne et décoré, est l’un des plus beaux objets d'art magdaléniens (entre – 20 500 et – 13 000 ans). C'est aussi l’un des plus énigmatiques, puisque la tête animale, sculptée en ronde-bosse et gravée de nombreux détails, peut être interprétée de deux façons différentes. Certains reconnaissent un renard, avec son museau pointu, sa bouche marquée d'une profonde incision et ses yeux en forme d'amande, traités en léger relief. Mais beaucoup identifient plutôt un bouquetin, en raison des traits gravés sur le pourtour supérieur de la perforation qui évoquent les cornes annelées du capriné. Selon la seconde hypothèse, la forme du décor est merveilleusement inscrite dans celle de l'outil : la tête du bouquetin semble fusionner avec le bâton percé. De plus, les traits gravés se poursuivent sur toute la longueur du manche de l’outil, dans un véritable jeu entre détails figuratifs et motifs ornementaux. La fonction des bâtons percés n’est à ce jour pas résolue. Après avoir été vus comme des sceptres (les fameux « bâtons de commandement), ils sont aujourd’hui considérés comme des outils servant à redresser les pointes de sagaies, à maintenir les couvertures des habitations, à bloquer les cordages ou à les fabriquer…

BIBLIOGRAPHIE

BREUIL, Henri. La question aurignacienne. Étude critique de stratigraphie comparée. Revue préhistorique, 2, 1907, p. 173-219.

MARET (DE), Arthur. Fouilles de la grotte du Placard, près de Rochebertier (Charente). Congrès archéologique de France, 46ème session, Vienne, 1879. Paris : Champion, 1880, p. 162-178

MONS, Lucette. Les bâtons perforés de la grotte du Placard (Charente) au Musée des Antiquités nationales. Antiquités nationales, 8, 1976, p. 11-20.

MORTILLET (DE), Adrien. La grotte du Placard et le niveau d’Aurignac. Association française pour l’avancement des sciences, Compte-rendu de la 35ème session, Lyon, 1906. Paris : Masson, 1907, p. 630-642.

SCHWAB, Catherine. The collections if the Placard cave (Vilhonneur, Charente) at the Musée d’Archéologie nationale in Saint-Germain-en-Laye. In : DELAGE, Christophe. The grotte du Placard at 150 : new considerations on an exceptionnal prehistoric site. Oxford : Archaeopress Archaeology, 2018, p. 74-85

LIENS UTILES

Le bâton percé de la grotte du Placard (objet du mois de décembre 2018) https://musee-archeologienationale.fr/le-baton-perce-de-la-grotte-du-placard

Bloc sculpté
Media Name: o_bloc_au_sorcier_Paléolithique_96-021788bd.jpg
© RMNGP/MAN - Jean-Gilles Berrizi
Le "sorcier" du Roc-aux-Sorciers

Angles-sur-l’Anglin (Vienne), abris du Roc-aux-Sorciers

Magdalénien moyen (entre – 18 000 et – 16 000 ans environ)

Le bloc au « Sorcier » provient du plafond sculpté et peint, qui s’est effondré, d’un des deux abris sous roche du Roc-aux-Sorciers. Il porte une représentation humaine, masculine, étonnamment proche d’un portrait individualisé.

L'ARCHÉOLOGIE AU FÉMININ

Le site magdalénien du Roc-aux-Sorciers, près du village d’Angles-sur-l’Anglin (Vienne), est découvert par Lucien Rousseau en 1929. Trois femmes archéologues, Suzanne de Saint-Mathurin et Dorothy Garrod, souvent aidées par Germaine Henri-Martin, réalisent les campagnes de fouilles les plus importantes, de 1947 à 1964. Dans la Cave Taillebourg, elles recueillent une riche industrie du Magdalénien moyen (entre – 18 000 et – 16 000 ans environ), ainsi que de nombreux fragments de sculptures pariétales, représentant surtout de grands herbivores (chevaux, bisons bouquetins). Elles remarquent aussi la sculpture d’un bison au plafond. Dans l’Abri Bourdois, qu’elles découvrent et dégagent, elles mettent au jour la frise sculptée sur la paroi, composée de figures animales et humaines. En plus du Magdalénien moyen, qui correspond à l’époque des sculpteurs, elles reconnaissent deux niveaux du Magdalénien récent (entre – 16 000 et – 14 000 ans environ). En 1969, Suzanne de Saint-Mathurin prête au Musée d’Archéologie nationale, pour l’exposition sur les chefs d’œuvre de l’art paléolithique, les dix plus beaux blocs sculptés. Elle les donne en 1973. Elle lègue, à son décès survenu en 1991, le reste du mobilier archéologique, mais aussi l’ensemble de la documentation.

UN BLOC SCULPTÉ ET PEINT

Le bloc au « Sorcier » est découvert par Suzanne de Saint-Mathurin et Dorothy Garrod le 21 mars 1949. Il provient du plafond sculpté de la Cave Taillebourg, effondré à la fin du Magdalénien moyen (vers – 16 000 ans). Sur ce grand bloc sculpté, gravé et peint, une tête humaine, clairement masculine, est représentée. La tête, de profil droit, est sculptée en relief sur toute la longueur du front et du nez. Le visage est ainsi clairement dégagé. Les nombreux détails font appel à la sculpture, à la gravure et à la peinture. On peut distinguer le sourcil, l’œil, la bouche, le menton, la joue, ainsi que la barbe et la chevelure. Quelques éclats gênent la lecture par endroits, notamment au niveau de la bouche. Sur la joue, des traits profondément incisés sont interprétés comme des tatouages ou des scarifications, sans certitude. Malgré de nombreuses études, le faisceau de traits gravés sur la partie inférieure du bloc reste indéchiffrable… La présence forte de la couleur, du noir et du rouge, est sans doute l’aspect le plus marquant de ce bloc. La peinture est utilisée pour rehausser la sculpture et la gravure. Des analyses physico-chimiques des pigments démontrent l’utilisation d’oxydes de manganèse pour le noir et d’oxydes de fer pour le rouge.

UNE FIGURATION HUMAINE PEU ORIDINAIRE

À propos du bloc au « Sorcier », Suzanne de Saint-Mathurin écrit : « La figuration [...] humaine est d'un intérêt exceptionnel : ce n'est pas, en effet, une caricature, mais un portrait réaliste et, à part les gravures de La Marche, de dimensions très réduites, on ne connaît rien de semblable dans l'art paléolithique. » Les représentations humaines sont plutôt rares dans l’art paléolithique et peu naturalistes, contrairement aux figurations animales. Suzanne de Saint-Mathurin et Dorothy Garrod sont donc surprises par la qualité artistique et, plus encore, par la volonté réaliste et expressive de ce qui ressemble à un portrait. Elles font réaliser un petit buste, afin de donner une interprétation de ce personnage, avec sa face avancée, ses sourcils, sa barbe et sa chevelure d’un noir intense, sans oublier ses pommettes bien rouges. Il est même habillé d’un manteau de fourrure, s’inspirant très librement des traits gravés sous le visage. On retrouve des portraits d’hommes, de femmes et d’enfants très expressifs sur certaines plaquettes gravées de la grotte de La Marche, un site préhistorique voisin dans l’espace et dans le temps. Une plaquette porte d’ailleurs un visage de profil droit, très proche de celui-ci, semblant également tatoué ou scarifié.

BIBLIOGRAPHIE

AUZANNE, Isabelle. FUENTES, Oscar. Le « Sorcier » du Roc-aux-Sorciers à Angles-sur-l’Anglin (Vienne, France) : nouveaux éléments d’analyse. Antiquités nationales, 35, 2003, p. 41-54.

IAKOVLEVA, Ludmila. PINÇON, Geneviève. La frise sculptée du Roc-aux-Sorciers, Angles-sur-l’Anglin (Vienne). Paris : Comité des travaux historiques et scientifiques & Réunion des musées nationaux, 1997, 168 p.

PALES, Léon. TASSIN DE SAINT-PÉREUSE, Marie. Les gravures de La Marche. II - Les Humains. Paris : Orphys, 1976, 178 p., 188 pl.

SAINT MATHURIN (DE), Suzanne. GARROD, Dorothy. La frise sculptée de l'abri du Roc aux Sorciers à Angles-sur-l'Anglin (Vienne). L’Anthropologie, 55, 1951, p. 413-424.

SAINT-MATHURIN (DE), Suzanne. Bas-relief et plaquette de l’homme magdalénien d’Angles-sur-l’Anglin. Antiquités nationales, 5, 1973, p. 12-19.

LIENS UTILES

Le Sorcier du Roc-aux-Sorciers (objet du mois d’octobre 2019) https://musee-archeologienationale.fr/actualite/le-bloc-au-sorcier

Les abris sculptés de la Préhistoire. Collection Grands sites archéologiques. https://www.sculpture.prehistoire.culture.fr

Le Roc-aux-Sorciers : art et parure du Magdalénien. Catalogue des collections. https://www.catalogue-roc-aux-sorciers.fr