Un grand bâton percé gravé de chevaux
Ce bâton percé fait partie des premiers objets d’art préhistoriques découverts par Lartet et Christy. Il est gravé de chevaux à « grosse tête » ou à « lourde mâchoire », un thème caractéristique du Périgord au Magdalénien récent.
UNE DES PREMIERES DÉCOUVERTES D'ART PRÉHISTORIQUE
Dès les années 1860, avec le soutien de son ami et mécène anglais, Henry Christy, Édouard Lartet apporte la preuve de l’existence de l’art préhistorique. Il découvre, dans les cavernes du Périgord, dont les vastes abris de La Madeleine et de Laugerie-Basse, les premiers objets d’art paléolithiques reconnus comme tels. Les résultats de ces travaux sont publiés entre 1865 et 1875, dans une série de fascicules illustrés de superbes planches gravées. Cet ouvrage, rédigé en anglais, est intitulé Reliquiæ Aquitanicæ, being contributions to the archaeology and Palaeontology of Perigord and the adjoining provinces of Southern France. Les collections issues des fouilles d’Édouard Lartet et Henry Christy rejoignent vite les grands musées archéologiques de l’époque : le Muséum national d'Histoire naturelle à Paris, le Musée des Antiquités nationales (aujourd’hui Musée d’Archéologie nationale) à Saint-Germain-en-Laye et le British Museum à Londres. Le grand bâton percé gravé de chevaux, provenant de l’abri de La Madeleine à Tursac (Dordogne), entre dans les collections du Musée des Antiquités nationales en mars 1868, moins d’une année après son inauguration en mai 1867. Il est très rapidement présenté dans la salle I, consacrée à « l’âge de la Pierre taillée ».
UN BÂTON PERCÉ, ORNÉ DE FRISES
Les bâtons percés sont connus durant tout le Paléolithique récent (entre – 44 000 et – 13 000 ans environ). Ils servent peut-être à redresser les pointes de sagaies, à fabriquer des cordes ou à tendre les couvertures en peau des habitations. Ils sont généralement façonnés dans du bois de renne et fréquemment décorés. Ce bâton percé aux chevaux de La Madeleine est gravé en champlevé : les incisions, profondes et dissymétriques donnent un léger relief aux silhouettes animales. Deux frises horizontales de chevaux sont représentées, une sur chaque « face » de cet objet cylindrique : une belle adaptation du décor à la forme du support. Sur la première face, nous pouvons distinguer, de la droite vers la gauche, le museau d'un cheval et deux chevaux, tournés vers la gauche, puis un quatrième équidé, de profil droit. Le troisième cheval et le quatrième ne possèdent pas de tête. Le dernier équidé est figuré à l’envers, les pattes orientées vers le haut. Quatre chevaux sont figurés sur la deuxième face, tournés vers la gauche. Les deux premiers équidés sont complets, mais le troisième et le quatrième ne possèdent pas de tête non plus. Sur une face comme sur l’autre, l’absence de la tête pour certains chevaux est une adaptation de la frise à la perforation du bâton.
DES CHEVAUX À "GROSSE TÊTE" OU À "LOURDE MÂCHOIRE"
Les chevaux, qui sont les animaux les plus fréquents dans l’art paléolithique, sont le plus souvent figurés de manière réaliste. Mais les équidés gravés sur ce bâton percé sont disproportionnés. Il s’agit de chevaux à grosse tête ou « macrocéphales » ; on parle aussi d’animaux à lourde mâchoire ou « barygnathes ». Ces chevaux possèdent des corps et des pattes schématiques. En revanche, les têtes, de forme triangulaire, présentent de nombreux détails, très codifiés : l’œil, la salière (l’enfoncement au-dessus des yeux) marquée, le naseau, la bouche, la ganache (l’arrière de la mâchoire inférieure) anguleuse et la crinière. Les chevaux à grosse tête ou à lourde mâchoire forment un véritable thème dans le Périgord au Magdalénien récent (entre – 16 000 et – 14 000 ans). On décompte presque 120 figurations, dont une quarantaine provenant du seul abri de La Madeleine. Ce bâton percé présente, avec huit sujets, le plus grand ensemble connu. Il est difficile de comprendre comment un thème, parfois contraignant, peut s’imposer dans une région durant une période précise. S’agit-il d’un groupe culturel ou de seulement quelques individus, voire d’un seul, à l’origine d’une production en série ? C’est une question intéressante qui demeure hélas sans réponse.
BIBLIOGRAPHIE
CLEYET-MERLE Jean-Jacques. Grands sites d’art magdalénien. La Madeleine et Laugerie-Basse il y a 15 000 ans. Musée national de Préhistoire, Les Eyzies-de-Tayac. 21 juin - 10 novembre 2014. Paris : Réunion des Musées nationaux, 2014, 128 p. (notice n°79, p. 116).
COOK Jill. Ice Age Art. The arrival of the modern mind. British Museum, Londres. 7 février - 26 mai 2013. Londres : British Museum, 2013, 288 p.
DELPORTE, Henri. Chefs-d'œuvre de l’art paléolithique. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 24 juillet - 1er décembre 1969. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1969, 96 p. (notice n°3, p. 30).
LARTET, Édouard. CHRISTY, Henry. Reliquiæ Aquitanicæ. Being contributions to archæology and paleontology of Perigord and the adjoining provinces of southern France. Londres : Williams & Norgate, 1865-1875, 722 p., 87 pl. (pl. B XXX et XXXI).
MORTILLET (DE), Gabriel. Promenades au Musée de Saint-Germain. Catalogue illustré de 79 figures par Arthur Rhoné. Paris : Reinwald, 1869, 187 p. (p. 114-115, fig. 33).
LIENS UTILES
Le bâton percé aux chevaux (objet du mois de janvier 2021) https://musee-archeologienationale.fr/actualite/le-baton-perce-aux-chev…
Gravures de chevaux, Bois de renne
Tursac (Dordogne), abri de La Madeleine
Magdalénien récent (entre – 16 000 et – 14 000 ans environ)
L. = 32,1 cm ; l = 6,2 cm ; É = 3,4 cm
ACQUISITION
Don Édouard Lartet et Henry Christy, 1868