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L'âge du Bronze

L’âge du Bronze (2300 – 800 av. J.-C.) marque une évolution plus qu’une rupture avec le Néolithique.

La métallurgie du cuivre apparaît très tôt en Europe centrale et orientale, où elle est attestée dès 4500 av. J.-C. La production d’objets en or et en cuivre se développe au cours du 4e millénaire d’est en ouest de l’Europe. Elle accompagne le développement des sociétés néolithiques, marqué par une hiérarchisation sociale accrue et l’apparition d’objets-signes comme la hache de prestige et le poignard.

Avec l’émergence de la métallurgie du bronze au cours du 3e millénaire, la production d’objets en métal change rapidement d’échelle et se diversifie. La nécessité d’accéder à deux métaux différents, le cuivre et l’étain, issus de gisements éloignés, pour constituer un alliage, le bronze, a pour conséquence un développement des échanges sans commune mesure avec la période antérieure et une véritable révolution des modes de circulations tant terrestres que maritimes. Les nombreuses épaves découvertes depuis quelques années sur les côtes anglaises et en Méditerranée rendent bien compte de l’importance de la navigation dès cette époque. Les motifs du bateau, du char et de la roue sont d’ailleurs représentés sur de nombreuses productions de l’âge du Bronze : signes emblématiques, propitiatoires et probablement prestigieux, ils sont également interprétés comme des images solaires et des symboles du renouveau de la vie. La domestication du cheval moderne, plus fort et plus docile, vers 2200 av. J.-C., accompagne cette petite révolution des transports et des figures symboliques.

Matière précieuse facile à thésauriser et à recycler, le bronze est un métal doré, dur et éclatant. Éminemment désirable et sans doute moteur du pouvoir économique et sociale d’une petite partie de la population, le bronze est une richesse qui peut également être source de rivalités et de heurts. Les chefs guerriers affirment d’ailleurs leur pouvoir à travers des objets prestigieux comme les épées, les cuirasses et les casques rutilants. En Europe, beaucoup de ces armes ont été retrouvées dans les milieux humides, les marais et les cours d’eau. Ces armes sacrifiées dans la Seine, la Saône, la Loire, le Rhône, mais aussi le Rhin, la Tamise, le Danube, ou le Rio Tinto…, semblent témoigner d’un rapport complexe avec l’eau. Cette pratique s’inscrit probablement dans une économie du gaspillage et de la destruction dominée par l’idée que quelques individus ou communautés ont la capacité de sacrifier des richesses aux dieux, pour conserver, afficher et affirmer leur pouvoir.

En dépit des nombreuses figures de guerriers représentées dans la roche, notamment en Scandinavie, en Espagne et dans les Alpes, les recherches archéologiques livrent finalement peu de traces liées à des conflits armés, des affrontements ou des pillages endémiques. En France, l’archéologie préventive a permis ces dernières années de mieux connaître la vie quotidienne à l’âge du Bronze. Elle renvoie de cette période une image plus paisible, dans un paysage essentiellement constitué de fermettes et de petits hameaux. Dans cette société très agricole, le bronze sert à fabriquer non seulement des armes, mais aussi des outils, des haches et des faucilles, des gouges et des marteaux par exemple, ainsi que des éléments de parure, comme des bracelets et des épingles.

Enfin si les échanges de minerais et d’objets métalliques s’inscrivent dans des réseaux d’approvisionnements qui traversent toute l’Europe, il ne faut pas oublier d’autres matières essentielles qui circulaient dès cette époque notamment le sel, l’ambre, les fourrures, les tissus de laine et probablement bien d’autres choses encore qui participaient de ces échanges à courtes, moyennes et longues distances entre le monde nordique et les citées méditerranéennes, l’ouest atlantique et l’Europe alpine ou orientale.

Les objets

Mégalithe
Dalle gravée de Saint-Bélec
© MAN/Valorie Gô
Dalle gravée de Saint Bélec

Saint-Bélec, Leuhan (Finistère)

2200 - 2000 avant notre ère

"Décrire ce curieux monument avec ses cupules, ses cercles et ses diverses figurations gravées...est chose difficile...Ne nous laissons pas égarer par la fantaisie, laissant le soin à un Champollion, qui se trouvera peut-être un jour, de nous en donner la lecture. » Paul Du Châtellier (1901) Bulletin archéologique du Finistère, tome XXVIII, p. 3-7

La dalle gravée de Saint-Bélec a été découverte par Paul du Chatellier en 1900 dans un grand tumulus daté de l’Âge du Bronze ancien (1900-1600 avant notre ère) situé sur une des collines de Coadri près de Leuhan, dans le Finistère.

Une quinzaine d’ouvriers ont été nécessaires à l’époque pour déplacer cette lourde dalle en schiste hors du tumulus où elle avait été utilisée pour former la paroi ouest d’un grand coffre funéraire. Transportée jusqu’à la résidence des Du Châtellier dans le château de Kernuz à Pont-L’Abbé, elle est ensuite rachetée par le musée d’Archéologie nationale où elle a d’abord été entreposée dans les douves puis dans les caves du Château de Saint-Germain-en-Laye.  Elle est conservée dans les collections du musée depuis 1924.  

UNE CARTE TOPOGRAPHIQUE EN PLAN

En 2014 et 2017 la dalle de Saint-Bélec a pu faire l’objet de plusieurs scans 3D réalisés par l’équipe de Clément Nicolas et d’Yvan Pailler (ArMeRIE, CNRS, Inrap, DIGISCAN3D) suivant la méthodologie développée par Serge Cassen et Guillaume Robin à Gavrinis. Un article paru récemment dans le bulletin de la Société préhistorique française (tome 118, numéro 1, janvier-mars 2021, p. 99-146) présente les résultats de l’analyse morphologique, technologique et chronologique des gravures réalisées par incisions et piquetage.

Ils s’organisent en une composition relativement homogène interprétée comme une possible carte territoriale dont les motifs répétés de formes circulaires, quadrangulaires et de cupules*, joints par des lignes sont autant de repères géographiques et de constructions symboliques. Des comparaisons menées avec d’autres représentations similaires tirées de la préhistoire en Europe et ailleurs dans le monde montrent qu’il pourrait s’agir d’une véritable carte topographique en plan.

L’hypothèse est confortée par les données ethnographiques. Un examen de la surface gravée montre que la topographie de la dalle a été volontairement modifiée pour, semble-t-il, représenter le relief environnant : c’est tout une portion de la vallée de l’Odet qui est reconnaissable, avec notamment les collines de Coadri, les Montagnes Noires et le Massif de Landudal. Plusieurs motifs gravés évoqueraient également diverses structures de l’âge du Bronze ancien, notamment une enceinte, un possible système parcellaire, des tumuli, et des routes.

* sur une pierre, petite dépression circulaire d’origine anthropique

UNE SOCIÉTÉ FORTEMENT HIÉRARCHISÉE

La dalle de Saint-Bélec, brisée et réutilisée en pierre de coffrage, sous un tumulus de l’âge du Bronze ancien est ainsi, peut-être, une carte représentant le territoire autrefois contrôlé par un de ces puissants princes des débuts de l’âge du Bronze. À sa manière, elle est le témoin d’une société fortement hiérarchisée, menée par une petite élite guerrière, plutôt masculine, qui impose son emprise sur un territoire.

On connaît quelques représentants de cette caste : ils se font inhumer sous de grands tumulus, dans des sépultures généralement aménagées; ils sont le plus souvent accompagnés d’un riche mobilier funéraire, composé pour l’essentiel d’attributs guerriers (des poignards de bronze, des pointes de flèche en silex), et parfois d’objets en or.

Le musée d’Archéologie nationale a la chance de conserver des ensembles prestigieux datant de cette période comme les sépultures sous tumulus de la Motta, à Lannion dans les Côtes-d’Armor (MAN 86175 et suivants) et de Lothéa à Carnoët dans le Finistère (MAN 30489 et suivants).

En savoir plus

La carte et le territoire : la dalle gravée du Bronze ancien de Saint-Bélec (Leuhan, Finistère). Bulletin de la société préhistorique de France, 04-2021, tome 118, 1, p. 99-146 - C. NICOLAS, Y. PAILLER, P. STEPHAN, J. PIERSON, L. AUBRY, B. LE GALL, B. LE GALL, V. LACOMBE, J. ROLET

Dalle gravée mégalithique de Saint-Belec by archeonationale on Sketchfab

 

 

A DECOUVRIR AUSSI

L'hommage musical par l'Ensemble Calliopée, enregistré au musée d'Archélogie nationale : Une pierre raconte

 

dépôt
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© RMN_GP. Jean-Gilles Berizzi
Le dépôt de Vaudrevange

Vaudrevange / Wallerfangen (Sarre, Allemagne)

IXe av. J.-C.

Le Warndt  est une région particulièrement riche en minerai de cuivre (l’un des deux composants du bronze avec l’étain) d’où sans doute le nombre important de dépôts d’objets métalliques en bronze mis au jour en Sarre, en Alsace et en Lorraine depuis la fin du XIXe siècle.

 

UN CONTEXTE DE DÉPOSITION BIEN PARTICULIER

La découverte a lieu en 1851, lors de travaux agricoles pratiqués sur une butte entourée de marécages située près de la commune de Vaudrevange, aujourd’hui Wallerfangen, en Allemagne. L’ensemble est acquis en 1852 par Victor Simon, membre de l’Académie nationale de Metz, fondateur de la Société d’Histoire et d’Archéologie de la Moselle. Après sa mort en 1865, sa collection est dispersée aux enchères et le dépôt de Vaudrevange est acquis par le MAN en 1868. C’est le premier et le plus remarquable des quatre ensembles découverts sur le site, tous datés de l’âge du Bronze final. Proches les uns des autres, ils sont sans doute déposés dans un unique rituel, probablement lié à la présence du marais, d’où la patine bleu turquoise des 65 éléments, due à un séjour prolongé dans l’eau.  

UNE PANOPLIE PERSONNELLE

Les objets étaient empilés au fond d’une fosse, dans un ordre précis : d’abord avaient été déposés les éléments de parure dont 14 lourds bracelets, quelques gros boutons et des pendentifs, puis les quatre haches avec leur moule bivalve. Ensuite venaient les divers éléments de char et de harnachement : une paire de mors, deux phalères (disques de bronze), douze boucles filiformes, quatre tubuccins, deux appliques, deux spirales, huit boutons à bélière, deux groupes de quatre anneaux et une plaque ajourée. Au-dessus de cet ensemble était disposé un grand disque en bronze, le tintinnabulum. Enfin, surmontant le tout, était posée une très belle épée de type Möringen, brisée en deux lors de la découverte. Les épées découvertes en milieu humide sont en effet généralement retrouvées entières, au contraire des épées retrouvées dans les dépôts terrestres, souvent fragmentées. Ce rituel de déposition particulièrement élaboré permet de distinguer une logique et la composition d’une véritable “panoplie” (Verger, 1992) se rapportant à une même personne. Ici, une panoplie masculine identifiée notamment par l’épée, dont la position, en haut du dépôt, pourrait être symbolique et suggérer le pouvoir alors qu’exerçait l’aristocratie militaire sur la société et son contrôle sur la circulation du métal, devenu crucial dans tous les domaines d’activité (artisanat, transport, guerre…). Le moule de hache marque-t-il la “présence” d’un artisan, ou a-t-on simplement considéré que cet objet à la fois arme et outil ne pouvait être déposé sans sa matrice? Quoi qu’il en soit, nous avons sans doute affaire à un personnage assez puissant pour disposer d’un cheval avec son harnachement complet.  

LE CHEVAL À L'ÂGE DU BRONZE

Domestiqué dès 3500 avant notre ère dans les plaines d’Asie centrale, le cheval n’est réellement utilisé en Europe occidentale qu’à partir du Bronze final (dès 1300 av. J.-C.). Il est alors employé comme animal de trait, pour tirer des chariots ou des chars processionnels. En témoignent les petits éléments arqués qui pourraient correspondre à des montants de mors. Placés à l’encoignure de la bouche du cheval, ils étaient assemblés aux mors par l’intermédiaire de leur fente médiane. À leurs extrémités, se trouvent des anneaux par lesquels passaient les brides permettant de conduire et diriger le cheval. Fentes et passants sont consolidés, de part et d’autre, par des bourrelets métalliques. À l’âge du Bronze, le cheval, symbole de l’aristocratie guerrière, semble devenir l’acteur privilégié de certaines cérémonies en tant que symbole de l’aristocratie guerrière, d’où la présence de ces éléments dans le dépôt de Vaudrevange. Sur toutes les représentations connues datant de l’âge du Bronze, le cheval n’est jamais monté : de récentes études ADN (Orlando, 2021) semblent attester que les chevaux de cette époque ne disposaient peut-être pas d’un dos assez puissant pour supporter le poids d’un humain. L’ère des cavaliers ne s’amorcera véritablement qu’à l’âge du Fer.  

LE TINTINNABULUM

Cet objet original, que l’on pourrait classer dans la catégorie des instruments de musique, se trouvait sur le dessus du dépôt de Vaudrevange 1. Composé d’un grand disque, il est muni d’une barre de suspension à laquelle sont accrochés, de part et d’autre, deux petits disques similaires, mobiles, qui viennent s’entrechoquer à chaque mouvement du tintinnabulum. L’analyse de l’usure des pièces, toutes coulées grâce à la technique de la cire perdue, a confirmé ce mouvement de balancier. Peut-être également objets sonores suspendus, les “tubuccins”, petits cylindres de bronze cannelés, tintaient de la même manière. On les retrouve souvent déposés par groupes de quatre. Le support de ces deux types d’objets reste pourtant hypothétique : si on les imagine assez bien décorant la caisse d’un char, il n’en subsiste aucune preuve directe. Comment imaginer la disposition du tintinnabulum, qui tournait sans doute sur lui-même, dans cet ensemble d’apparat ? En plus de l’autre tintinnabulum découvert à Vaudrevange en 1872, une vingtaine d’objets de ce type est connue, provenant de France, d’Allemagne et de Suisse, mais très rarement complets ou en si bon état. Ces objets, par leur conception très soignée et leur forme circulaire, étaient probablement des instruments utilisés pour un culte, évoquant le soleil  par leur forme et leur couleur dorée.

 

OBJETS ASSOCIES

Cuirasse de Marmesse

 

BIBLIOGRAPHIE

ORLANDO Ludovic et.al. The origins and spread of domestic horses from the western Eurasian steppes. Nature, 2021, vol. 598, p. 634–640.

SIMON, Victor. Mémoire sur des antiquités trouvées près de Vaudrevange. Mémoires de l’académie nationale de Metz, 1852, vol. 33, p. 231-259.

VEBER, Cécile. MILLE, Benoît. et PERNOT, Michel. Le dépôt de Vaudrevange : études techniques et éléments d’interprétation. Antiquités Nationales, 2005, n°37, p. 69-101.

VEBER, Cécile. Métallurgie des dépôts de bronzes à la fin de l’âge du Bronze final (IXe-VIIIe av. J.-C.) dans le domaine Sarre-Lorraine : essai de caractérisation d’une production bronzière au travers des études techniques : formage et analyses élémentaires. Oxford : Archaeopress, 2009, 340 p. (BAR international series 2024).

VERGER Stéphane. L’épée du guerrier et le stock de métal : de la fin du Bronze ancien à l’âge du Fer. In : Gilbert Kaenel et Philippe Curdy (éd.). L’âge du Fer dans le Jura. Actes du XVe colloque international de l’Association française pour l’étude de l’âge du Fer (Pontarlier et Yverdon-les-Bains, 9-12 mai 1991). Bibliothèque historique vaudoise, 1992, (Cahiers d’archéologie romande) p. 135‑151.

 

parure
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© RMNGP/MAN
Canine de sanglier

Champlay, la Colombine (Yonne)

XIIIe siècle avant notre ère

Ce mystérieux objet est issu d’une nécropole découverte en 1850, lors de la construction de la voie ferrée Paris-Lyon. L’histoire du site est complexe, maillée de pillages, et il faut attendre les trois fouilles (1929, 1938 et 1939) de Georges Bolnat, vétérinaire et érudit local, pour que le contexte en soit mieux connu.  

UNE SEPULTURE RICHE

La sépulture n° 101, d’où provient cette canine, a été découverte lors de la campagne menée par Georges Bolnat en 1938. Une femme d’une cinquantaine d’années y était inhumée, allongée sur le dos et richement parée : 55 boutons et 47 perles tubulaires en bronze ainsi que dix perles de verre bleu ont été retrouvés au niveau des jambes. Deux jambières spiralées étaient enfilées sur ses tibias. Le poignet gauche portait quatre bracelets, dont un constitué de 21 perles d’ambre, près desquels était déposée une longue épingle de 50 cm, tandis que l’annulaire de la même main présentait deux anneaux de bronze. Citons également au moins un bracelet au poignet droit, une paire de boucles d’oreilles ainsi qu’un torque à extrémités spiralées. Vers l’avant-bras droit ont été découvert une céramique ainsi que deux côtes de sanglier, vestiges d’une probable offrande alimentaire.  

UN OBJET MYSTERIEUX

L’élément le plus marquant de cet ensemble était quant à lui disposé près de la main droite de la défunte, un peu en-dessous de la hanche : il s’agit d’une « défense » de sanglier (plus spécifiquement une canine de cochon domestique ou sauvage) longue de 23 cm, enchâssée dans une résille en fils de bronze torsadés, qui étaient autrefois d’une belle couleur dorée. Enroulés sur eux-mêmes et pour certains regroupés en rubans, ces fils entourent la canine et l’enserrent dans une maille lâche qui laisse voir la blancheur de l’émail. À chaque extrémité de la dent a été aménagée une sorte d’anse en fil de bronze, permettant de l’accrocher à la ceinture. De petites spirales se déploient au bout des fils bordant la partie inférieure de la canine formant comme un liseré. Enfin, la racine de la dent est protégée par une plaque en bronze décorée de pointillés exécutés au repoussé. Les spécialistes ont été longtemps divisés au sujet de son utilisation : pectoral, diadème ? Ces deux hypothèses se heurtent à son positionnement dans la tombe, au niveau de la hanche droite, et au fait que les rares exemples connus ont tous été retrouvés au bas du torse. C'est pourquoi on estime aujourd’hui qu’il pourrait plutôt s’agir de l’élément principal d’un support complexe, suspendu à une ceinture ou à un vêtement.

 

DES FEMMES DE POUVOIR A L'ÂGE DU BRONZE FINAL

La défunte de Champlay n’est pas la seule à présenter ce type de parure. La nécropole contemporaine de Barbuise-La Saulsotte (Aube) a livré pas moins de huit exemplaires, tous issus de tombes féminines. L’une des sépultures contenait trois individus dont une femme accompagnée de ce type de pendentif, associé à de nombreuses perles en ambre réparties sur tout le corps, sans doute cousues à un vêtement. Jusqu’à présent, pour la plupart, ces pièces ont été découvertes en France, dans la région de l’interfluve Seine-Yonne. Toutefois, en 1998, une pièce très similaire a été découverte en Allemagne, à Karlsruhe-Neureut. Elle est actuellement conservée au Archäologisches Landesmuseum Baden-Württemberg à Konstanz am Bodensee. Peut-être cet objet mystérieux signale-t-il la place croissante prise par les femmes au sein des élites. À partir de la fin du XVe siècle av. J.-C., on constate en effet l’apparition de véritables panoplies qui magnifient l’apparence féminine, avec des objets récurrents comme les longues épingles et les jambières très proches de Veuxhaulles (conservées au MAN), ou encore les “ceintures” articulées comme celle de Billy-le-Theil (également au MAN); et donc parfois des pendeloques en canine de sanglier.

 

OBJETS ASSOCIES

Pendentif arciforme (Musée Camille Claudel)

Ceinture en bronze

 

BIBLIOGRAPHIE

DOHRMANN, Nicolas et RIQUIER, Vincent (dir.). Archéologie dans l'Aube : des premiers paysans au prince de Lavau. Snoeck, 2018. 543 p.

LACROIX, Bernard. La nécropole protohistorique de la Colombine à Champlay, Yonne : d'après les fouilles de Georges Bolnat. Paris : Clavreuil, Saint-Père-sous-Vézelay : Musée archéologique, 1957. 173 p. (Cahier d’histoire de l’art et d’archéologie de Paris, n° 2).

 

dépôt
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© MAN/Valorie Gô
Le dépôt de Larnaud

Larnaud (Jura),Les Genettes, vers 1000-900 av. J.-C.
 

ACQUISITION

achat à un particulier, 1867

Découvert au XIXe siècle sur le territoire de la commune de Larnaud, dans le Jura, ce dépôt est composé pour l’essentiel de fragments d’objets de bronze. Tout à fait hors norme, cet ensemble figure parmi les découvertes majeures de l’âge du Bronze en France.  

LA DÉCOUVERTE D'UN ENSEMBLE INCOMPLET

Le 10 mars 1865, un des plus gros dépôts d’Europe, avec plus de 1800 objets en bronze, est mis au jour fortuitement par un paysan sarclant son champ de pommes de terre au lieu-dit Les Genettes, proche de l’étang Grattaloup, sur la commune de Larnaud, dans le Jura. D’après un compte-rendu rédigé en 1866, le dépôt est prélevé en l’espace d’une heure par la famille, les voisins et les curieux, emportant par curiosité un ou plusieurs objets. L’essentiel de la découverte est acheté au prix du métal par l’archiviste et archéologue Robert Zéphirin, alors conservateur du musée de Lons-le-Saunier (Jura). Alerté par la dispersion des objets, il entreprend rapidement des démarches auprès des acquéreurs afin de réunir l’ensemble. Malgré ses efforts, tout n’est pas rassemblé, comme c’est le cas de la plupart des dépôts de l’âge du Bronze découverts au XIXe siècle. La découverte est présentée à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris en 1867 et l’ensemble est acquis par le musée d’Archéologie nationale, alors en constitution. À bien des égards hors norme, cet ensemble eu pendant longtemps la réputation d’être difficile à appréhender. Un travail collectif, mené depuis plus de dix ans par Jean-François Piningre, Mareva Gabillot, Claude Mordant, Sylvie Jurietti, Thierry Logel et des chercheurs du laboratoire de Dijon, participe à la redécouverte du dépôt de Larnaud.  

UNE RÉFÉRENCE NATIONALE

Lorsque le matériel du dépôt de Larnaud entre dans les collections du musée d’Archéologie nationale, il s’inscrit dans l’histoire de l’archéologie des périodes dites protohistoriques, une discipline qui n’est alors qu’à ses débuts en France. Gabriel de Mortillet, en charge des collections préhistoriques du musée, crée en 1875 le terme de « Larnaudien » pour qualifier la fin de l’âge du Bronze, faisant du dépôt une référence nationale. Si cette appellation a aujourd’hui perdu toute signification, le dépôt de Larnaud demeure un archétype de la cachette de fondeur, sorte de modèle de recyclage protohistorique. Les objets, pour beaucoup fragmentaires, constitueraient un stock de matière première destinée à la refonte, mais le caractère récurrent et méthodique de certaines déformations ou cassures, comme s’il s’agissait d’opérations volontaires et non de maladresses, vient contredire cette interprétation. Cette pratique est perceptible sur les objets de dépôts contemporains, où la fragmentation des lames d’épées et de haches est standardisée, tout comme les torsions des pointes de lances et des bracelets, ainsi que les pliures minutieuses des agrafes de ceintures. Il est possible que le dépôt de Larnaud ait été enfoui vers 950 av. J.-C. pour des raisons symboliques, rituelles ou religieuses, et qu’il soit représentatif d’une pratique répandue à la fin de l’âge du Bronze dont la signification nous échappe encore.  

UNE PROVENANCE ALPINE ET MÉRIDIONALE

La plupart des objets en bronze du dépôt sont fabriqués à la fin de l’âge du Bronze, entre 1000 et 950 av. J.-C. D’autres sont plus anciens, comme l’épingle tréflée de l’âge du Bronze ancien (MAN21671), antérieure de près de cinq siècles à la plupart des objets du dépôt. De nombreuses influences de la fin de l’âge du Bronze entrent dans sa composition, notamment celles des productions alpines. La jambière (MAN21721), les épingles à tête globuleuse (MAN21684) et le bracelet réniforme (MAN21673) évoquent plutôt des productions du sud de l’Allemagne et des régions nords-alpines. D’autres objets suggèrent une provenance Suisse, comme le bracelet de type Cortaillod (MAN21675). Fabriqué à partir d’un ancien bracelet apparenté aux productions de la culture de Canegrate en Lombardie, le poignard (MAN21645) a probablement une origine italienne. Les bracelets à section triangulaire et à décor incisé, ainsi que les haches de type Pourrières à décor de cannelures rappellent les productions du sud-est de la France, alors qu’une petite minorité d’objets, comme les fragments d’épée à languette tripartite épaisse, proviennent peut-être d’ateliers de la façade atlantique.  

BIBLIOGRAPHIE

SIMON-MILLOT, Rolande. Les bracelets en bronze du dépôt de Larnaud (Jura) conservés au Musée des antiquités nationales. In : Antiquités Nationales, 1998, n°30, p. 25-86. PININGRE, Jean-François et GABILLOT, Mareva (dir.) Antiquités Nationales, 2023

dépôt
Mobilier de la sépulture de la Motta
Tumulus de la Motta - lieu-dit “Bel-Air”, Lannion (Côtes-d’Armor) © RMNGP/MAN/Gérard Blot
Sépulture dite “princière” de La Motta

Lieu-dit “Bel-Air” (anciennement “La Motta”), Lannion (Côtes-d’Armor)

2000-1800 av. J.-C

Cet ensemble constitue le mobilier funéraire ayant accompagné dans la mort un personnage particulièrement riche et puissant, un de ces « princes d’Armorique » qui régnait il y a 4000 ans sur un territoire situé dans la région de Lannion (Côtes d’Armor)

 

LA DÉCOUVERTE :  UN HOLLANDAIS SUR LA LANDE

En 1939, Albert Egges Van Giffen (1884-1973), professeur de préhistoire à l'Université de Groningue, arrive en Bretagne sur l’invitation de son mécène et ami le baron Van Heerdt, dans l’idée de fouiller un dolmen. Après maintes péripéties, il opte pour le tumulus encore inviolé du lieu-dit “La Motta”, près de Lannion. Quand commence la fouille, le tumulus est encore haut de 4,6 mètres, pour un diamètre de 26 à 29 mètres. Au moment de sa splendeur, il devait constituer un repère très visible dans le paysage de l’âge du Bronze. Sous le tertre de terre est découvert un cairn de pierres formé de blocs de schiste qui recouvre un coffre funéraire formé de dalles de pierres, creusé dans le sol et refermé par deux dalles dont une en granit. Ses dimensions intérieures (l,12 m x 1,96 m) sont bien suffisantes pour accueillir le corps d’un homme et ses quelques possessions. Du fait de l’acidité du sol, à l’ouverture du coffre, il ne subsiste plus de trace du ou des défunts, mais un exceptionnel mobilier : une longue dague en bronze de 49 cm de long, posée sur une dalle de pierre rectangulaire, six poignards et deux haches également en bronze, une grande pierre polie à aiguiser en schiste perforé, ainsi que sept armatures de flèches en silex. Il faut ajouter un “brassard d’archer” en or, découvert sous la dalle de plancher de la sépulture, sans doute délogé du coffre funéraire par inadvertance durant la fouille. L’épée ainsi que trois des poignards présentent, incluse dans leurs résidus d’oxydation, des traces de poils, de cuir et/ou de bois, montrant qu’ils étaient à l’origine protégés par des fourreaux. La disposition des objets laisse imaginer la position du défunt, peut-être en position recroquevillée, ce qui correspond à la hauteur sous plafond (1,08 m). Si les pointes de flèche ainsi que les poignards en métal sont fréquents dans les sépultures de l’élite depuis le Campaniforme (2600-2000 av. J.-C.), la longue dague constitue une nouveauté et sa mise en valeur dans la tombe lui confère un statut à part. Il faut attendre l’âge du Bronze moyen (1600-1350 av. J.-C.) pour que les épées deviennent plus courantes.

 

UN ARCHER À L'ÂGE DU BRONZE ANCIEN

Les objets les plus singuliers de cet ensemble funéraire, à la technique virtuose, sont les sept pointes de flèches en silex, si fines qu’elles ne peuvent avoir eu un usage fonctionnel. Leur présence dans la tombe paraît purement symbolique et évoque le statut de l’archer, si important au Néolithique. Bien que le silex reste utilisé tout au long de l’âge du Bronze, il ne connaîtra plus un tel investissement et brille ici de ses derniers feux. L’autre élément marquant de cet ensemble mobilier, le brassard, évoque également la figure de l’archer, qui porte à son poignet une protection afin d’éviter le retour trop cinglant de la corde de l’arc après le tir. Fréquent dans les sépultures riches de l’âge du Bronze ancien, le “brassard” ne protégeait pas seulement l'intérieur de l’avant-bras de l’archer, mais peut avoir été porté à l’extérieur, comme un élément décoratif ornant le vrai brassard, fabriqué dans une matière organique, le cuir ou le bois, aujourd’hui disparue. Ces objets généralement rectangulaires, pourvus de deux à quatre perforations, sont connus depuis le Campaniforme. Le “brassard” de La Motta a été fabriqué à partir de deux fines feuilles d’or pur qui ont été pliées et emboîtées autour d’un cœur en résine végétale mêlée à de la roche pulvérisée, dont la surface a été incisée de motifs en dent de loup. Ce style décoratif permet de le rapprocher des productions anglaises de la même période. De constitution fragile, le « brassard » de la Motta avait probablement un usage plus décoratif et honorifique que de protection.

 

LES "PETITS PRINCES D'ARMORIQUE"

Cette appellation ancienne reflète une réalité que l’on trouve plus juste de caractériser aujourd’hui sous le terme de « Big Men » par référence aux exemples ethnographiques observés dans le Pacifique. Elle évoque une forme de hiérarchisation de la société autour de quelques grands hommes, maîtres des initiations, grands guerriers, chamanes, etc. représentant des formes particulières de parenté, de contrôle des hommes et de circulation des richesses. Riche, monumentale et luxueuse, la sépulture de La Motta illustre bien les pratiques funéraires des potentats armoricains du Bronze ancien, qui tiennent jusque dans la mort un discours sur leur statut, tant social que symbolique. Si les flèches et le “brassard” projettent une image ambiguë de chasseur / guerrier, les six poignards et la “dague” évoquent un personnage qui impose son pouvoir par la violence - fut-elle symbolique - et dont les armes doivent rester affûtées pour l’éternité, comme le montre la pierre à aiguiser. Enfin, son monument funéraire à la structure complexe n’a pu être édifié sans un investissement collectif important. Le groupe des tumulus armoricains trouve son équivalent outre-Manche dans la culture dite de Wessex, en Angleterre. Intégrées dans le complexe d’échanges de la façade atlantique, ces régions sont étroitement connectées, leur richesse commune provenant d’importantes réserves de cuivre et d’étain dans leur sous-sol. Jalousement gardées, les ressources en métal polarisent fortement l’Europe à l’âge du Bronze ancien, avec des centres où le pouvoir et les richesses se concentrent aux mains d’une minorité. Ce système s’érode progressivement à la transition avec l’âge du Bronze moyen, autour de 1600 av. J.-C.

 

OBJETS ASSOCIES

Une tombe princière de l'âge du Bronze à Giberville (Calvados)

La dalle gravée de Saint Bélec (Finistère)

 

BIBLIOGRAPHIE

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