La "frise des lions" de la grotte de La Vache
La « Frise des lions » est un chef-d’œuvre plusieurs fois rescapé : brisé et brûlé, il a été dispersé et aurait pu ne jamais être rassemblé. C’est aussi un des objets d’art les plus marquants de la « Préhistoire du cinéma ».
DEUX FRAGMENTS DÉCOUVERTS SÉPARÉMENT
La grotte de La Vache, à Alliat (Ariège), est située sur la rive gauche du Vicdessos, affluent de l’Ariège, en face de la célèbre grotte ornée de Niaux. Le premier secteur de la cavité, la salle Garrigou, est exploré dès le XIXe siècle puis, en 1866, par le docteur Félix Garrigou et, vers 1870, par Félix Régnault. En 1940, Romain Robert découvre le second secteur, la salle Monique. Il la dénomme ainsi, en souvenir de sa petite fille, disparue prématurément, qui l’avait souvent accompagné dans la grotte. Assisté de Georges Malvesin-Fabre et de Louis-René Nougier, il entreprend plusieurs campagnes de fouilles, jusqu’en 1967. Quatre couches archéologiques sont définies arbitrairement. Elles sont attribuées au Magdalénien final (vers – 13 000 ans) et à l’Azilien (entre – 13 000 et – 11 500 ans environ). Des études et datations récentes tendent à les vieillir : il peut s’agir de Magdalénien récent (entre – 16 000 et – 14 000 ans environ). Ces deux fragments d’os gravés sont trouvés dans deux secteurs éloignés du site, lors des fouilles conduites par Romain Robert de 1940 à 1967. En 1988, les deux fragments, qui sont également conservés dans les réserves, sont raccordés par Dominique Buisson, assistant de conservation au musée d'Archéologie nationale.
UN CHEF-D'OEUVRE BRISÉ ET BRÛLÉ
Ces deux fragments appartiennent à une même lame d'os, issue d'une côte de boviné (bison ou aurochs), fracturée anciennement et peut-être volontairement. En effet, les cassures présentent des profils en biseau caractéristiques des objets ployés puis brisés. Le premier fragment est brûlé, peut-être intentionnellement. Sur ces deux fragments d'os sont gravés trois lions, de profil gauche, l'un à la suite de l'autre. Ils forment une frise qui s'inscrit parfaitement dans le registre horizontal de la pièce. Du premier félin, situé à gauche, ne subsiste que l'arrière-train, avec la patte arrière repliée et la queue en position basse. Le lion central est entièrement conservé, avec un corps robuste et une tête massive, au lourd menton. De nombreux détails figurent les oreilles, l'œil, le nez, la bouche et les vibrisses. Alors que les pattes avant sont tronquées, les pattes arrière sont complètes, en pleine extension, et la queue est relevée. Le troisième lion, dont il ne reste que la moitié, se trouve à droite, la tête sur le premier fragment et le corps sur le second. La tête est en partie masquée par la queue du deuxième lion, ce qui donne une impression de profondeur. Les pattes avant sont droites, tandis que les pattes arrière semblent très fléchies.
LA "PRÉHISTOIRE DU CINÉMA"
La « Frise des lions » est une œuvre d’une rare complexité. Des motifs triangulaires, peut-être des signes, sont associés aux lions et semblent destinés à combler la surface de l’objet. Les triangles sont remplis de traits courts et parallèles entre eux, comme ceux qui figurent la musculature et le pelage des félins. En plus de jouer avec les formes, la composition traduit de manière subtile la perspective. Chaque félin occupe trois plans différents, avec, du plus proche de nous au plus éloigné, ses pattes côté gauche, l’axe central de son corps et ses pattes côté droit. Enfin, la représentation du mouvement est extraordinaire. Pour les découvreurs, Louis-René Nougier et Romain Robert, les trois félins qui se suivent montrent des attitudes différentes. Le lion central est représenté en train de bondir ; le premier semble prendre son élan et le dernier, se réceptionner. S'agit-il de la figuration de trois phases successives d'un même saut ? Le préhistorien et cinéaste Marc Azéma précise cette interprétation : les trois images coïncideraient avec trois étapes de la course d'un félin. La « Frise des lions » décomposerait le mouvement, avec une exactitude inégalée jusqu'à l'invention de la photographie. C'est ce qu'il appelle la « Préhistoire du cinéma ».
BIBLIOGRAPHIE
BUISSON, Dominique. DELPORTE, Henri. Intérêt d'un raccord pour l'authentification d'une œuvre d'art. Bulletin de la Société préhistorique française, 85, 1, 1988, p. 4-6.
CLOTTES, Jean. DELPORTE, Henri. La grotte de La Vache (Ariège) – I. Les occupations du Magdalénien – II. L’art mobilier. Paris : Réunion des Musées Nationaux, Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 2003, 2 vol., 408 p. et 464 p. (vol. 2, notice n°374, p. 310-311).
NOUGIER, Louis-René. ROBERT, Romain. Les félins dans l'art quaternaire. Bulletin de la Société préhistorique de l'Ariège, 20, 1965, p. 18-84.
THIAULT, Marie-Hélène. ROY, Jean-Bernard. L’art préhistorique des Pyrénées. Musée des Antiquités nationales. Château de Saint-Germain-en-Laye. 2 avril - 8 juillet 1996. Paris : Réunion des Musées nationaux, 1996, 371 p. (notice n°444, p. 310-311).
AZÉMA, Marc. La Préhistoire du cinéma. Origines paléolithiques de la narration graphique et du cinématographe... Paris : Errance, 2011, 300 p., 1 DVD
LIENS UTILES
La « Frise des lions » de la grotte de La Vache (objet du mois de septembre 2015) https://musee-archeologienationale.fr/la-frise-des-lions-grotte-de-la-v…
Os, deux fragments de côte – Gravure
Alliat (Ariège), grotte de La Vache
Magdalénien récent ou final (entre – 16 000 et – 13 000 ans environ)
L. = 13,1 cm ; l = 3,5 cm ; É = 0,3 cm et L. = 4,2 cm ; l = 2,8 cm ; É = 0,3 cm
ACQUISITION
Achat en 1974