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Le premier Moyen Âge

Dès le IVe siècle, de nombreux étrangers que les Romains appellent "Barbares" immigrent dans l’Empire. La plupart d’entre eux sont des Germains.

Leurs migrations s’intensifient au 5e siècle et lorsque le dernier empereur est déposé en 476, ces Barbares deviennent les maîtres de l’Europe occidentale.

Parmi les Barbares se trouve Clovis, roi franc de la dynastie mérovingienne, qui réunifie la Gaule : elle devient progressivement la Francie. Le Moyen Âge débute mais, au VIe siècle ("Mérovingien ancien"), le mode de vie est encore très marqué par l’Antiquité bien que l’apport germanique soit visible dans bien des domaines. La situation évolue au VIIe siècle ("Mérovingien récent") quand émerge vraiment la société médiévale : les pratiques funéraires et le costume s’en font le reflet.

Au contraire, à partir de la fin du VIIIe siècle, la dynastie carolingienne (751-987) cherche à renouer avec l’Antiquité dans le cadre d’une « Renaissance » bien visible dans l’art.

Mais dans la vie quotidienne des Francs, la différence entre Mérovingiens et Carolingiens reste peu visible.

Les objets

Bijoux
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© ©RMN-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi
Mobilier de la tombe du « chef » de Lavoye

Lavoye (Meuse), sépulture n°319

Fin du Ve-début du VIe siècle apr. J.-C.

Parmi les 367 sépultures découvertes dans la nécropole mérovingienne de Lavoye, près de Verdun (Meuse), la tombe n°319 est de loin la plus remarquable. Avec cinq autres sépultures formant une rangée orientée nord-sud, elle compose un groupe situé à l’écart du reste du cimetière. Véritable trésor archéologique, ses dimensions et son mobilier luxueux lui valent par la suite l’appellation de "tombe du chef de Lavoye".

LAVOYE : UNE NÉCROPOLE INATTENDUE

Le docteur Meunier entreprend des fouilles sur le site de Lavoye et découvre une première tombe en 1902, mais il ne soupçonne pas alors l’existence d’un grand cimetière mérovingien. Cette première sépulture ne contenant aucun mobilier, il pense avoir découvert la tombe d’une esclave gallo-romaine. Cependant, entre 1905 et 1912, plus de 360 autres inhumations sont mises au jour, dont certaines constituent des groupes, peut-être des concessions familiales. La plupart ne contiennent qu’un mobilier assez modeste (armes, boucles de ceintures et vases).

Le cimetière ne livre aucun sarcophage, mais des traces nettes de cercueils en bois de chêne sont décelées. Dans les fosses, les défunts sont déposés allongés sur le dos, en position horizontale. D’après les observations anthropologiques effectuées par le docteur Meunier sur les restes osseux, 167 tombes sont attribuées à des hommes, 83 à des femmes, 58 à des enfants, et pour 59 tombes, le sexe des défunts n’est pas déterminé – il s’agirait probablement, en majorité, de femmes.

LA SÉPULTURE N°319 ET SON MOBILIER

Étudiée et publiée par George Chenet, la tombe n°319 est fouillée les 8 et 9 août 1910. Sa profondeur, d’environ 1,60 m, est nettement supérieure à celle des autres sépultures de la nécropole, et sa longueur de 3,50 m est exceptionnelle. Elle contient un défunt âgé de 50 à 60 ans, allongé sur le dos, la tête est orientée vers l’ouest, selon une disposition habituelle à cette époque. Les ossements de ses membres inférieurs ont totalement disparu, probablement en raison d’un phénomène naturel, puisqu’il n’existe aucune trace de violation.

Le mobilier de la tombe n°319 est très luxueux. Une plaque-boucle présentant un décor cloisonné d’or et de grenats ferme sa ceinture. Un fermoir d’aumônière, décoré de la même manière, sans doute destiné à fermer un petit sac qui renfermait un silex, servant de briquet, et une pince à épiler, est attaché à sa ceinture. La mode des décors d’orfèvrerie cloisonnée d’or et de grenats se répand en Occident à la fin du Ve siècle. Des bijoux comparables sont découverts dans la tombe du roi Childéric, mort en 481 ou 482 à Tournai (Belgique). Une monnaie à l’effigie de Zénon (475-491 apr. J.-C.), découverte dans la main droite du défunt, donne à cette sépulture un terminus post quem (date plancher).

Sur l’abdomen du défunt repose un couteau en fer à manche en or ; le long de son bras gauche est placée une épée, la plus grande de la nécropole, dont la poignée de bois est recouverte d’une feuille d’or, tandis que le pommeau et la garde sont sertis de grenats. Son fourreau est de même remarquable, orné d’argent, d’or et de grenats. À hauteur d’épaule, une grosse perle de verre, probablement un ornement de dragonne d’épée, est recueillie. Un scramasaxe étroit en fer, placé à gauche du corps, est enfermé dans un fourreau présentant une petite bouterolle (extrémité) d’argent. Près de son genou gauche se trouvent trois pointes de flèches, et à leur côté un bouclier dont seul l’umbo, la pièce métallique bombée qui protège la main, est conservé. Il est en fer martelé et présente six clous de fer plaqués d’argent. L’umbo de la tombe n°319 est la seule trace d’arme défensive de tout le cimetière et constitue un indice du rang social élevé du défunt. Au niveau des pieds se trouve une coupe en verre, et à côté gît une monture en argent que l’on interprète aujourd’hui comme la monture d'un récipient en bois qui aurait disparu.

La fosse de la sépulture se prolonge sur 1,50 m après les pieds. Elle est tapissée d’un agglomérat épais de débris de bois et de clous en fer, suggérant à cet emplacement l’existence d’un grand coffre en bois, contenant de la vaisselle du même matériau.

LA « BUIRE » DE LAVOYE

Une cruche en bois – décomposé – revêtue de feuilles de bronze présentant cinq décors au repoussé repose aux pieds du défunt. Ces décors évoquent des scènes de la vie du Christ : la guérison de l’hémorroïsse, le miracle des Noces de Cana, la résurrection de Lazare, Zachée dans le sycomore et la guérison de l’aveugle-né.

Sans doute influencés par l’histoire du vase de Soissons, les archéologues de l'époque font de la cruche une « buire », un vase utilisé lors des cérémonies chrétiennes. Ils suggèrent alors que le défunt de la tombe n°319 s’est approprié l’objet en pillant sans vergogne une église gallo-romaine. En réalité, les objets décorés de symboles chrétiens sont très fréquents à l’époque paléochrétienne et souvent d’usage profane. La Gaule du Ve siècle est en pleine époque de christianisation et le choix de scènes sacrées pour décorer des objets ne prouve rien quant à la confession de leur propriétaire. En revanche, la présence sur la « buire » de scènes liées à la résurrection et la guérison est probablement un choix délibéré lié au contexte funéraire.

La sépulture n°319 est donc l’une des plus remarquables tombes mérovingiennes trouvées en France. Les objets luxueux rendent compte du haut rang de leur possesseur. L’un des faits archéologiques les plus marquants de l’époque mérovingienne est d’ailleurs la découverte de tombes masculines contenant un mobilier funéraire exceptionnel, en particulier des épées à poignée en tôle d’or et décorée de grenats cloisonnés. Elles témoignent de la répartition d’une élite guerrière dans le royaume franc entre la Seine et le Rhin. Faute de véritablement connaître leur statut, les archéologues ont l’habitude de les appeler « chefs ». Enterré à une quinzaine de kilomètres de Verdun et à proximité d’un carrefour de voies romaines, le « chef » de Lavoye administrait peut-être la région au nom du roi des Francs, Clovis.

BIBLIOGRAPHIE 

BARDIES-FRONTI, Isabelle. DENOEL, Charlotte. et VILLELA-PETIT, Inès. Les Temps mérovingiens. Trois siècles d’art et de culture (451-751), Paris : collection de la RMN, 2016.

CHENET, Georges. La tombe 319 et la buire chrétienne du cimetière mérovingien de Lavoye (Meuse). In : CHENET, Georges. Préhistoire. V. Paris : Presses universitaires de France, 1935, p. 34-118.

JOFFROY, René. Le cimetière de Lavoye. Nécropole mérovingienne, Paris : Picard, 1974.

PÉRIN, Patrick. Quelques objets exceptionnels provenant des tombes des chefs du cimetière mérovingien de Mézières. In : Revue Historique Ardennaise, juillet-décembre 1970, n°4, p. 71-77.

Bijoux
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© ©RMN-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi
La plus ancienne sépulture mérovingienne de la basilique de Saint-Denis

Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), basilique de Saint-Denis, sarcophage n°23

Vers 475-500

Cette croix en or et ces deux fibules ansées digitées en fer damasquinées et cloisonnées d’or et de grenats proviennent d’une sépulture découverte sous le chœur de la basilique de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Ces bijoux sont caractéristiques du costume des femmes de l’aristocratie franque et alamane de la fin du Ve siècle.

UN CIMETIÈRE ANCIEN 

À la demande de Napoléon III, Eugène Viollet-le-Duc aménage dans les années 1850 une crypte destinée à recevoir les tombes de la famille impériale sous le chœur de la basilique de Saint-Denis. Les travaux mènent à la découverte de sépultures de haute époque. Aucune étude archéologique n’est cependant réalisée et le mobilier mis au jour est dispersé. Cette découverte laisse alors supposer qu’un sanctuaire paléochrétien, antérieur à l’abbé Suger et à Louis IX, précéda la basilique.

Bien des années plus tard, la découverte de nouvelles sépultures conduit Édouard Salin (1889-1970) à réaliser des fouilles, entre 1952 et 1953. Il étudie alors treize tombes, superposées dans un espace de quatre mètres de long sur trois de large, et autant de haut. Lors d'une autre campagne, au début de l’année 1957, des travaux effectués dans le prolongement de la crypte de Viollet-le-Duc mettent au jour d'autres sépultures. Se superposant sur plusieurs étages, quarante-quatre tombes sont ainsi fouillées par Édouard Salin et son équipe. Les plus anciennes sont gallo-romaines, datées du Ve siècle, et les autres sont mérovingiennes (VIe-VIIe siècles) ou postérieures.

Les huit sépultures mérovingiennes sont situées entre le sol naturel et le sol présumé de la basilique Sainte-Geneviève, construite sur l’emplacement supposé de la tombe de saint Denis, premier évêque de Paris, martyrisé en 250 apr. J.-C. Les sarcophages sont tous en pierre et ils ont tous été pillés ou bouleversés, probablement lors de l’établissement de sépultures plus tardives.

UNE SÉPULTURE PILLÉE DANS LA HÂTE

Recouvert par deux dalles rapportées, le sarcophage de la sépulture n°23 est scellé et ceinturé par un ruban (ou une corde) dont il ne reste qu’un morceau carbonisé. L’intérieur du sarcophage est bouleversé mais de riches objets y ont néanmoins été retrouvés.

À hauteur de la poitrine de la défunte, trois tissus carrés de couleur brun foncé rehaussés d’un décor géométrique de minces feuilles d’or décorent sans doute un vêtement qui n’est pas conservé. Au niveau de son bassin repose une fibule, tandis que l'autre est découverte au niveau du coude droit, près de la croix pectorale.

Les deux fibules, en fer, possèdent à leur extrémité des cloisons semi-circulaires ornées de grenats cloisonnés ainsi que de verre vert. Leur trois digitations sont plaquées d’or, de même que leur pied sur presque toute sa longueur. L’anse offre quant à elle une frise transversale continue de hachures d’argent et d’or incrustées.

La croix pectorale creuse est faite de feuilles d’or soudées. Prolongée par un anneau de suspension, elle est constituée de deux branches inégales dont l’intersection est occupée par un grenat tronconique cerclé d’un filigrane perlé. Posée sur le front d’une défunte, une croix tout à fait semblable provient d’un sarcophage de l’église Saint-Victor de Marseille (Bouches-du-Rhône).

UN MOBILIER CONTEMPORAIN DE CLOVIS ?

Les fibules rappellent un modèle en usage en orfèvrerie autour de l’an 500, permettent ainsi de proposer une date assez précise pour la sépulture n°23. Leur forme, leur taille et le nombre de doigts sont semblables au type dit de Krefeld, qui est attesté de 450 à 550 environ. Cependant, les fibules de ce type sont généralement en bronze, et aucun exemplaire connu ne présente de décor cloisonné. L’utilisation de la technique fer-or cloisonné se développe aux abords de l’an 500. Ces éléments suggèrent ainsi une datation assez haute pour l’époque mérovingienne, et font de la propriétaire de ces fibules une contemporaine probable de Clovis et de sainte Geneviève, la patronne de la ville de Paris, qui aurait fait ériger le tout premier édifice sur le site de Saint-Denis. Signalons que les croix pectorales de ce type sont très rares autour de 500 : il pourrait donc s’agir de la croix pectorale la plus ancienne signalée en France.

Au Ve siècle, la Gaule est officiellement un territoire chrétien et l’aristocratie franque se convertit rapidement au christianisme. Réservé dans le monde romain et byzantin à la plus haute classe de la société, le port de tissus brodés caractérise l’aristocratie mérovingienne, dont les sépultures livrent, lorsque les conditions de conservation le permettent, comme à Saint-Denis, beaucoup de textiles et de cuirs décorés. Les fouilles d’Édouard Salin révèlent donc que des membres de l'aristocratie, voire de la famille royale mérovingienne, sont enterrés dans la basilique de Saint-Denis dès la seconde moitié du Ve siècle, et ce longtemps avant Dagobert, le premier souverain mérovingien dont l'inhumation à Saint-Denis en 639 est attestée avec certitude.

BIBLIOGRAPHIE

FLEURY, Michel. et FRANCE-LANORD, Albert. Les trésors mérovingiens de la basilique de Saint-Denis. Woippy : Gérard Klopp, 1998.

SALIN, Édouard. Sépultures gallo-romaines et mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis. In : Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, 1957, n°49, p. 93-128.

SALIN, Édouard. Les tombes gallo-romaines et mérovingiennes de la basilique de Saint-Denis (fouilles de janvier-février 1957). In : Mémoires de l’Institut de France, 1960, n°44-1, p. 169-264, pl. 1, 2, 7 et 12.

Accessoires du costume
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© ©RMN-Grand Palais / Gérard Blot
Plaque-boucle reliquaire : Daniel dans la fosse aux lions

Environs de Mâcon (Saône-et-Loire)

Vers 550-625 apr. J.-C.

 

Cette plaque-boucle, provenant de l’ancienne collection de Madame Febvre, à Mâcon, représente l’épisode biblique de Daniel dans la fosse aux lions. Arrivée anciennement au MAN, elle intrigue tant par son décor, dont l’interprétation mérite qu’on s’y attarde, que par sa forme et sa fonction, qui nous transportent dans l’univers de la piété personnelle.

UNE PLAQUE-BOUCLE RELIQUAIRE

Des objets livrés par les fouilles des cimetières mérovingiens, les plaques-boucles de ceintures sont parmi les plus fréquents. Ces plaques parfois volumineuses servent à attacher des ceintures de cuir. Nombre d’entre elles n’ont qu’un intérêt purement décoratif, mais certaines arborent des motifs chrétiens très instructifs quant aux mentalités religieuses de cette époque, où traditions païennes, superstitions et christianisme cohabitent parfois encore. Fabriquées dans toute la Gaule mérovingienne, elles ont différentes formes et iconographies, distinguant des styles régionaux. Les plaques-boucles dites « burgondes » en sont l'une série des plus remarquables. Provenant essentiellement d’un territoire qui couvre une partie de la Suisse orientale, des régions de Bourgogne-Franche-Comté et d’Auvergne-Rhône-Alpes, correspondant à l’ancien royaume des Burgondes, elles portent pour la plupart un décor de croix, ou, ajourées, représentent un animal composite, l’hippogriffe (créature hybride, mi-cheval et mi-aigle). Les scènes issues des Saintes Écritures sont plus rares.

Au revers de ces plaques, comme c’est le cas ici, on trouve parfois des compartiments délimités par une cloison, dans lesquels étaient placés, par exemple, des fragments de cire provenant de cierges, ou des capsules de coton, probablement rapportés de pèlerinages par leur possesseur. À l’époque médiévale, on voit en effet se développer chez les particuliers la possession de reliques, généralement des matériaux mis en contact avec la tombe d’un saint ou prélevés à proximité. Pour se protéger, les pèlerins portent volontiers ces « reliques de contact » (tissus, huile, cire ou végétaux) au plus près de leur personne. Les plaques-boucles peuvent alors être transformées en petits reliquaires portatifs, comme c’était certainement le cas ici.

DANIEL DANS LA FOSSE AUX LIONS 

De forme légèrement trapézoïdale, cette plaque permet au décor de s’étaler sur deux registres. Dans l’encadrement se lisent les inscriptions « Daniel, le prophète » et « Habacuc, le prophète ». Dans le registre principal figure en effet Daniel, les bras levés vers le ciel et les pieds léchés par deux lions. Le prophète Habacuc est représenté dans la scène de droite, également en orant (attitude de prière). Sous ses bras, deux paniers de vivres qui, selon le récit, avaient été préparés par Habacuc afin de nourrir Daniel.

Les chapitres VI et XIV du livre de Daniel racontent deux épisodes fameux où sa piété lui vaut d’être jeté dans la fosse aux lions, et d’en ressortir vivant. Dans le chapitre VI, le roi des Mèdes et des Perses, Darius, met à la tête de son empire trois « satrapes » (gouverneurs des provinces de l’Empire perse) ; Daniel est l’un d’eux. Sa loyauté et son intelligence lui valent d’être promu par le roi au-dessus des deux autres. Sachant Daniel très pieux, ces derniers demandent au roi de promulguer un édit défendant d’adresser des prières à d’autres dieux, si ce n’est au roi. Accusé de transgresser l’autorité royale, le prophète est donc jeté dans la fosse aux lions. Le lendemain, jugé pur devant son dieu et devant son roi, il est épargné par les animaux. Dans le chapitre XIV, c’est après avoir empoisonné le dragon sacré des Babyloniens pour montrer que ce dernier n’est pas un dieu qu’il est livré aux lions. Une fois de plus, il est sauvé des animaux affamés, qui referment leurs mâchoires. Une semaine durant, les lions s’inclinent devant lui et il est ravitaillé grâce au prophète Habacuc.

UNE FERVEUR ET UNE ACTION REDOUBLÉE

Les plaques-boucles à décor chrétien sont des témoignages importants des mentalités religieuses durant l’époque mérovingienne. Très fréquente à l’époque paléochrétienne, la figure du prophète Daniel évoque le salut de l’âme. Seulement, le Daniel des premières peintures chrétiennes et des sarcophages est le plus souvent représenté jeune et tout à fait nu, ou presque, au milieu des lions. Le Daniel des Francs est quant à lui barbu et vêtu d’une tunique, tandis que les lions sont des monstres quasi fantastiques qui ressemblent davantage à des crocodiles, avec leurs mâchoires allongées et leurs pattes courtes et larges.

L’ardillon (partie mobile servant à fixer la ceinture) comporte un entrelacs quadrilobé, motif décoratif évoquant un nœud de Salomon. Les deux prophètes portent une croix sur leur poitrine, tandis que les lions sont marqués d’une même croix, sur leurs épaules, probable signe de leur complète soumission. On retrouve également des croix sur le terrain que foulent les lions et dans les inscriptions de la bordure de la plaque. La symbolique chrétienne est donc renforcée par l’omniprésence de cette image jusque dans les moindres détails de l’objet.

Cette plaque-boucle témoigne ainsi de la ferveur de son possesseur, à la fois par son usage comme reliquaire et par son iconographie. Dans ce cas particulier, il paraît évident que le propriétaire devait partager cette foi, ce qui n’est pas nécessairement le cas de tous les objets portant des motifs chrétiens. En effet, très prisées dans les décors, les images chrétiennes présentes sur des objets quotidiens ne répondaient pas toujours à des croyances religieuses, mais aussi à un effet de mode.

BIBLIOGRAPHIE

GAILLARD de SÉMAINVILLE, Henri. et VALLET, Françoise. Fibules et plaques-boucles de la collection Febvre conservées au Musée des Antiquités nationales. In : Antiquités Nationales, 1979, n°11, p. 57-77.

GAILLARD de SÉMAINVILLE, Henri. Les plaques-boucles mérovingiennes ornées d’une croix encadrée par deux griffons : à propos d’une découverte date à Fleurey-sur-Ouche (Côte-d’Or) . In : Revue archéologique de l’Est, 2010, n°59-2, p. 585-602.

de SURIGNY, Alfred. Agrafes chrétiennes mérovingiennes. In : Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Chalon-sur-Saône, 1856, p. 335-344, pl. 18, fig. 3.

 

Plaque-boucle reliquaire by Musée d'Archéologie Nationale on Sketchfab

 

autel
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© ©MAN / Valorie Gô
Table d'autel paléochrétienne

Saint-Marcel-de-Crussol (Ardèche)

Fin du Ve-1ère moitié du VIe siècle apr. J.-C.

Cette table d’autel à l’histoire mouvementée est une pièce rare et l’un des fleurons de la collection du musée d’Archéologie nationale. Le décor de ses deux grands côtés met en scène des processions d’animaux, réalisées en méplat (faible relief). Un certain désintérêt pour le naturalisme dans le décor sculpté permet de dater cet autel du Ve ou du VIe siècle.

QUATRE FRAGMENTS DISPERSÉS

Les quatre fragments qui composent cette table d’autel entrent dans les collections du musée d’Archéologie nationale entre 1872 et 1966. Le premier fragment est un don du vicomte Ludovic Napoléon Lepic, qui offre au musée sa collection d'objets archéologiques provenant de Soyons (Ardèche) en 1872. Malgré son décor, le bloc est alors simplement qualifié de « fragment de marbre blanc » et sa provenance exacte est inconnue.

En 1873, Gabriel de Mortillet, attaché à la conservation au musée depuis 1868, rapporte d’Ardèche deux autres fragments : un bloc acheté au mois de mai à un paysan de Saint-Marcel-de-Crussol, et un autre acquis à la gare de Valence, auprès d’une mystérieuse vendeuse apparentée à un barbier. L’ayant utilisé comme évier, ce dernier confirme que le fragment provient de Saint-Marcel-de-Crussol. Gabriel de Mortillet les identifie comme étant des « fragments d’un autel chrétien du Ve siècle » et charge Abel Maître (1830-1899), qui dirige alors l'atelier de restauration et de moulage du musée, de reconstituer la table en comblant les lacunes avec du plâtre et en complétant une partie du décor. Ce dernier s’exécute, en s’inspirant notamment d’une mosaïque de Ravenne (Italie).

Figurant deux colombes, le troisième et dernier fragment est offert au musée par J. Biosse-Duplan en 1966, presque cent ans après l’acquisition du premier bloc. L’incorporation de ce nouvel élément entraîne alors une dé-restauration et l’ajout d’une dalle en comblanchien (pierre calcaire), destinée à rigidifier l’ensemble. L’œuvre est donc, encore aujourd’hui, composée à plus de 50% de plâtre, et son support original, probablement constitué de quatre ou six colonnettes, manque toujours.

UN MEUBLE LITURGIQUE PALÉOCHRÉTIEN AU DÉCOR CRYPTIQUE

Entre l’autorisation du culte chrétien par l’empereur Constantin en 313 et les réformes carolingiennes de la fin du VIIIe siècle, beaucoup de meubles liturgiques sont sculptés, mais très peu sont conservés. Situé dans le chœur de l’église et présentant généralement une croix de consécration, l’autel est un aménagement indispensable à la messe. Si elle rompt avec l’autel gréco-romain, la forme de la table conservée au musée d’Archéologie nationale annonce celle des églises actuelles. Elle hérite de la table où prenaient place les repas funéraires de l’époque préchrétienne, mais évoque surtout la Cène, dernier repas du Christ durant lequel eut lieu la première eucharistie (partage du corps et du sang du Christ sous la forme de pain et de vin).

La surface du plateau de la table de l’autel de Saint-Marcel-de-Crussol est légèrement creusée et les bordures sont ornées de moulures. Douze colombes formant une procession d’animaux occupent un grand côté, quand l’autre est décoré de douze brebis, pareillement organisées. Ces animaux sont répartis en groupe de six, de part et d’autre d’un alpha et d’un oméga flanquant une croix monogrammatique (obtenue par la fusion d’une croix et d’un chrisme, le monogramme du Christ). La croix et les deux lettres grecques sont des symboles chrétiens bien connus. L’alpha est le commencement quand l’oméga est la fin de l’alphabet, et cette association de lettres évoque l’univers entier, la Création, Dieu lui-même, d’après l’Apocalypse selon saint Jean. Les brebis évoquent les douze Apôtres, tandis que les colombes ont une signification plus complexe, symbolisant peut-être les âmes des fidèles ou des saints personnages dont les reliques sont disposées sous l’autel. Quand aux deux bâtiments d’où sortent les brebis, ils représentent probablement les villes saintes de Jérusalem et de Bethléem.

Ce décor, destiné à être vu des fidèles et pourtant hautement symbolique, requiert afin d’être compris un certain degré de connaissances théologiques. Sculpté en faible relief, sans recherche particulière de naturalisme, il rappelle les productions artistiques des Ve-VIe siècles. Pourtant, le christianisme n’est plus une religion clandestine à cette époque, et même s’il n’est remplacé que progressivement, le choix du répertoire dit « cryptique » peut surprendre. Ce type de décor se maintient néanmoins jusqu’au VIIIe siècle, bien qu’il intègre de nouveaux éléments comme les entrelacs, importés en Gaule par des missionnaires irlandais à la fin du VIe siècle.

UNE FRAGMENTATION VOLONTAIRE ?

Les Burgondes, qui dominent ce territoire à la chute de Rome, sont de fervents chrétiens, tout comme les Francs qui s’emparent de leur royaume en 530. Contrairement à leurs successeurs carolingiens, les Mérovingiens ne cherchent pas à imposer de réformes liturgiques et s’épargnent les querelles religieuses qui déchirent par la suite l’Empire romain d’Orient, aux VIIIe et IXe siècles.

En revanche, il est possible que la table d’autel de Saint-Marcel-de-Crussol ait été intentionnellement brisée, et ses fragments dispersés, pendant les Guerres de Religion du XVIe siècle, particulièrement violentes dans cette région. Malheureusement, on ne peut pas savoir de quelle église exactement elle provient. L’hypothèse la plus vraisemblable est qu’elle appartenait à une église de Valence, la plus grande agglomération de la province, plutôt qu’à celle du petit village de Saint-Marcel-de-Crussol.

BIBLIOGRAPHIE

CHATEL, Élisabeth. Étude sur l’iconographie de l’autel de Saint-Mercel de Crussol (Ardèche). In : Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1984 (1982), p. 79-84.

DUVAL, Noël. Les installations liturgiques dans les églises paléochrétiennes. In : Hortus artium medievalum, 1999, n°5, p. 7-28.

DUVAL, Noël. FONTAINE, Jacques. FEVRIER, Paul-Albert. PICARD, Jean-Charles. et BARRUOL, Guy(dir.). Les premiers monuments chrétiens de la France. Paris : Picard, 1995-1998, 3 vol.

NARASAWA, Yumi. Les autels chrétiens du sud de la Gaule (Ve-XIIe siècles), Turnhout : Brepols, 2015, p. 380-381.

METZGER, Catherine. Installations liturgiques en Gaule. In : Hortus artium medievalum, 1999, n°5, p. 41-44.

SIRAT, Jacques. VIEILLARD-TROIEKOUROFF, May. et CHATEL, Élisabeth. Recueil général des monuments sculptés en France pendant le haut Moyen Âge (IVe-Xe siècles). Tome III, Paris : CTHS, 1984, p. 98-100, pl. 264.

 

 

 

Armes
Media Name: Hache danoise
© ©RMN-Grand Palais / Loïc Hamon
Hache danoise

Les Andelys (Eure)

Milieu du IXe-début du Xe siècle apr. J.-C.

Découverte au fond de la Seine près des Andelys (Eure) à la fin du XIXe siècle, cette hache est un témoin des expéditions vikings et de l’intégration progressive de ces populations scandinaves, avec plus ou moins de succès, dans les sociétés d’Europe occidentale.

PLUS DE MILLE ANS DANS LES EAUX DE LA SEINE

Acquise par le musée en 1901, cette hache fait partie d’un ensemble de 75 objets métalliques, pour la plupart médiévaux et modernes, provenant de dragages de la Seine aux environs de Vernon (Eure). Il s’agit du don de Mme Caméré, veuve d’un des ingénieurs en charge de travaux d’aménagement sur la Seine dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les conditions de découvertes sont floues, mais l’objet a peut-être été trouvé en 1882, près de la petite commune normande des Andelys, dans le département de l’Eure. À l’exception des quelques arrachements, la bonne conservation de l’arme s’explique par son séjour prolongé de plus de mille ans dans les eaux de la Seine.

Cette hache fait partie des objets postérieurs à l’époque mérovingienne, peu nombreux, qui sont conservés au musée d’Archéologie nationale. En effet, une grande majorité des collections du musée sont issues de fouilles en contexte funéraire, inévitablement privilégiées par les chercheurs du XIXe et du début du XXe siècles pour la quantité et la qualité du mobilier exhumé. Or, dès le début du VIIIe siècle, les traditions funéraires évoluent, et l’on renonce à déposer des objets auprès des défunts, probablement dans une recherche d’humilité face à Dieu. De fait, les collections sont donc beaucoup moins riches en mobilier archéologique pour la fin du premier Moyen Âge. Bien qu’ils nous privent de contexte archéologique, les dragages de fleuves offrent donc au moins un aperçu du mobilier en usage à l’époque carolingienne.

UNE ARME VIKING 

Si la plupart des haches ont une fonction d’outil, on ne peut douter que celle-ci est une arme de guerre. L’archéologue norvégien Jan Petersen (De Norske Vikingesverd, 1919) définit cette catégorie d’objets comme des "haches danoises", et celle du musée d’Archéologie nationale appartient plus précisément au type G, en usage d’après lui entre le milieu du IXe et la fin du Xe siècle et qu’il décrit comme des « haches à tranchants et lobes d’emmanchement symétriques ».

La lame de la hache des Andelys a l’aspect d’un triangle isocèle qui se resserre vers la douille dans laquelle s’encastre le manche. Sa forme hexagonale est due aux deux lobes qui se développent perpendiculairement au manche afin d’améliorer sa fixation. La symétrie des tranchants des haches du type G permet de les distinguer du type L, qui apparaît peu de temps après. Les « haches danoises » de type L présentent un angle de fer nettement plus aigu dans leur partie haute. Apparues vers 900, elles concurrencent dans un premier temps les haches du type G, avant de les supplanter un siècle plus tard.

Le manche en bois n’est pas conservé, mais les descriptions faites dans les textes carolingiens laissent croire qu’il aurait pu mesurer plus d’un mètre et demi. La hache des Andelys se tient donc à deux mains et sa relative légèreté permet de frapper avec autant de force que de rapidité. Les lames du type L, plus aiguës, confèrent quant à elles une plus grande puissance à l’impact. À titre de comparaison, les mercenaires danois du roi Harold représentés sur la Tapisserie de Bayeux sont équipés de haches les plus récentes, celles du type L.

DES DANOIS EN FRANCE ? 

Découverte en 1886, la « hache danoise » la plus célèbre du monde scandinave provient de la tombe de Mammen, près de Viborg (Danemark). Il s’agit d’une sépulture particulièrement riche, appartenant à un personnage de haut rang, qui y était enterré avec de la vaisselle précieuse et deux haches. La plus belle des deux sert de référence pour le « style de Mammen », l’une des phases de l’art des vikings, caractérisé notamment par des décors végétaux et des motifs animaliers particulièrement développés. Rattachée au type G de Jan Pertersen, elle porte un décor d’incrustations d’argent figurant un oiseau dans un entrelacs de végétaux.

La forme triangulaire de son fer est caractéristique de la production scandinave d’époque viking et se distingue des haches carolingiennes, dont le fer est en T. De nombreuses haches sont découvertes sur des sites norvégiens, russes ou irlandais, et des mercenaires suédois, appelés les « porteurs de haches », sont au service des empereurs romains d’Orient. Si elle n’est pas aussi luxueuse que celle de Mammen, la hache des Andelys est une arme du même type, et probablement contemporaine. Vraisemblablement forgée en Scandinavie, elle est introduite dans le monde carolingien à l’occasion des incursions vikings, entre la fin du VIIIe et le milieu du XIe siècle. Leur vitesse et leur mobilité leur permettent de pénétrer profondément dans les terres en naviguant le long des fleuves, notamment la Seine et la Loire.

En échange de la reconnaissance de son autorité, le roi carolingien Charles III le Simple décide en 911, en concluant le traité de Saint-Clair-sur-Epte, de confier l’administration et la défense de la basse vallée de la Seine, l’actuelle Normandie, à un chef viking nommé Rollon. Datée entre le milieu du IXe et la fin du XIe siècle, la hache des Andelys appartient donc peut-être à l’un de ces « hommes du Nord » venus s’installer définitivement en territoire franc, et dont la Normandie tire encore son nom.

BIBLIOGRAPHIE

PERRIER, Daniel. Une hache danoise. In : Archéologia, juin 2016, n°544, p. 22-23.

PETERSEN, Jan. De Norske Vikingesverd : En Typologisk-Kronologisk Studie Over Vikingetidens Vaaben, Kristiania : I komission hos Jacob Dybwad, 1919.

 

Armes
Media Name: Epée du « chef » de Chaouilley
© ©MAN / Valorie Gô
Épée à anneaux du « chef » de Chaouilley

Chaouilley (Meurthe-et-Moselle), sépulture n°20

Entre 520 et 570 apr. J.-C.

Cette épée en fer damassée, c’est-à-dire forgée de barres de fer doux et carburé associées par martelage, est un modèle très luxueux. Elle s’inscrit dans la tradition de l’épée longue, la spatha, portée par les cavaliers romains d’abord, puis toute l’armée impériale. À l’époque mérovingienne, il s’agit d’une arme peu fréquente et réservée à l’élite ; l’épée du musée d’Archéologie nationale, au pommeau décoré d’éléments hautement symboliques, appartient à l’impressionnante panoplie militaire d'un défunt du cimetière de Chaouilley.

LA TOMBE N°20 DU CIMETIÈRE MÉROVINGIEN DE CHAOUILLEY

Au printemps 1902, un cantonnier, arrachant des pierres dans un champ près du village de Chaouilley, découvre une épée rouillée qu’il confie ensuite au conducteur des ponts et chaussées. Des fouilles sont alors menées et mettent au jour douze tombes contenant ossements, vases, armes et parures d’alliage cuivreux et de fer. Accompagné de son frère Léo, l’archéologue Joseph Voinot se rend alors sur place pour étudier les sépultures. Les tombes féminines n°2, 19 et 21 contiennent des fibules typiques de la phase chronologique dite « mérovingienne ancienne » et précisent la datation du cimetière (entre 470 et 610). Le vingtième tombeau contient trois squelettes, superposés à 0,5 m les uns des autres. Les deux premiers, dépourvus d’objet, regardent vers l’ouest, quand le troisième, orienté vers l’est, est littéralement couvert d’armes et d’ornements.

Sur le corps reposent une monnaie romaine, deux silex, une aiguille, deux couteaux avec embout en or, deux boucles en argent, un anneau en bronze, une plaque de ceinturon en or, une pointe de flèche, une flèche barbelée et une douzaine de clous en tas. À gauche du défunt sont déposés un scramasaxe, une francisque, deux javelines et un gros vase en terre cuite. Aujourd’hui disparu, il ne reste du scramasaxe qu’un embout en tôle d’or de l’extrémité de son manche et une plaque d’or filigranée décorant à l’origine son fourreau. À ses pieds gisent trois vases en terre cuite, verre et bronze, ainsi qu’un seau en bois, un peigne en os, des forces (ancêtres des ciseaux), un umbo de bouclier (pièce bombée destinée à protéger la main) et sa poignée. À sa droite se trouvent une épée luxueuse, un bouton en marbre et or cloisonné de grenats, qui correspond probablement à la perle de dragonne de l’épée, ainsi qu’une grande lance et un angon.

D’après l’historien Agathias (Histoires, II, 5-6), « l’angon est une pique qui n’est ni trop longue, ni trop courte. […] À l’extrémité supérieure de l’arme sont deux espèces de crochets recourbés vers la hampe et assez semblables aux crochets d’un harpon. Lorsque l’angon est jeté sur un ennemi et qu’il pénètre dans la chair […], il ne peut en être extrait sans rendre la blessure mortelle ». S’il est lancé dans un bouclier, le poids de son extrémité l’entraîne inévitablement vers le sol, découvrant l’adversaire et donnant alors un net avantage au guerrier franc. Par ailleurs, l’angon revêt probablement à l’époque franque une symbolique forte, associée à l’idée d’autorité, de commandement.

L'ÉPÉE DU « CHEF » DE CHAOUILLEY

Particulièrement célèbre au Moyen-Orient, l’« acier de Damas » désigne à l’origine le wootz, un fer indien plutôt rare, mais très réputé pour sa dureté et ses motifs moirés. En Europe, les lames dites « damassées » sont forgées à partir d’un ensemble hétérogène de fers. Elles sont fabriquées selon un procédé complexe appelé le corroyage. L’opération consiste à déformer et souder des couches successives de fer doux souple et de fer dur carburé, créant ainsi des motifs rappelant le wootz. Si leur qualité peut varier, réaliser une arme de cette facture n’en reste pas moins très coûteux pour le commanditaire.

Avec sa lame damassée de presque 90 cm et sa poignée plaquée d’argent, l’épée de la tombe n°20 distingue son propriétaire. La lame en fer à deux tranchants était probablement contenue dans un fourreau en bois non conservé. La garde constitue une petite cuvette ovale dont les extrémités portent un rivet en argent. Lui aussi en argent, le pommeau est formé de deux pièces reliées par six rivets. À l’époque mérovingienne, l’épée est une arme très onéreuse, estimée au prix de sept à vingt vaches. Or, celle-ci est un modèle de grande qualité et est un indice quant au rang social particulièrement élevé de l’homme inhumé.

À partir du IVe siècle, l’Empire romain intègre peu à peu dans ses armées des barbares, en particulier d’origine germanique. Dans le même temps, on voit aussi la réapparition du dépôt d’armes dans des tombes masculines, pratique issue de traditions funéraires germaniques que l’on n’observe pas à l’époque gallo-romaine. Cependant, la présence d’armes dans cette sépulture ne permet pas pour autant de déduire que son propriétaire est d’origine franque, car cet usage est largement répandu au VIe siècle. De même, le dépôt d’armes dans la tombe ne caractérise pas nécessairement la présence d’un guerrier : si l’Empire romain disposait d’armées professionnelles, à l’époque franque, la guerre se pratique selon le principe de l’ost, qui permet de lever de manière saisonnière des contingents armés composés d’hommes libres, comme une forme de service militaire avant l’heure.

LE SYMBOLE D'UN LIEN DE CONFIANCE

Inhumé avec un mobilier exceptionnel, l’homme de la tombe n°20 du cimetière mérovingien de Chaouilley est un personnage de haut rang, et son épée, remarquable, manifeste son statut social. Puisque son nom et sa fonction exacte sont inconnus, les archéologues le désignent comme un « chef ». Assurément, il est un homme d’importance locale et peut-être même le détenteur d’un pouvoir officiel délégué par le roi mérovingien. Sur le pommeau de son épée, on observe d’ailleurs deux anneaux d’argent entrecroisés, caractéristiques du type de pommeau dit « Bifrons-Gilton ». Ils sont interprétés comme la matérialisation d’un lien de confiance tissé avec un seigneur, qui constituerait les prémices du célèbre lien vassalique médiéval.

Cet aristocrate vit probablement deux à trois générations après le baptême de Clovis (dans les années 500) et la croix gravée et niellée de l’extrémité du pommeau de l’épée peut être perçue comme l’affirmation de sa foi chrétienne. Une restauration drastique menée au XXe siècle a rendues illisibles les runes qui devaient être gravées sur le pommeau, comme sur les épées découvertes récemment dans des tombes de la même époque à Saint-Dizier (Haute-Marne).

Cette luxueuse épée n’est donc pas seulement une arme, elle manifeste aussi un rang social et affirme une croyance religieuse. Située en Austrasie, un royaume mérovingien qui s’étend de la Champagne (France) à la Hesse (Allemagne), la région de Chaouilley était peut-être administrée par ce « chef », lié par serment au roi mérovingien.

BIBLIOGRAPHIE

FISCHER, Svante. et SOULAT, Jean. Les inscriptions runiques de France. Les pommeaux du type Bifrons-Gilton. In: La Gaule mérovingienne, le Monde insulaire et L’Europe du Nord (Ve-VIIIe s.), Tome XVI des Mémoires publiés par l’Association française d’Archéologie mérovingienne, 2010.

PERRIER, Daniel. Le chef mérovingien de Chaouilley. In : Archéologia, octobre 2016, n°547, p 20-21.

VARÉON, Cécile (dir.). Nos ancêtres les barbares : voyages autour de trois tombes de chefs francs. Saint-Dizier : Musée de Saint-Dizier, 2008.

VOINOT, Léo. et VOINOT, Joseph. Les fouilles de Chaouilley. Cimetière mérovingien. In : Mémoires de la Société archéologique de Lorraine et du Musée Historique lorrain, 1904, 54, p. 5-80.

 

chapiteau
chapiteau composite
© ©RMN-Grand Palais / Loïc Hamon
Chapiteau composite à anses en forme de poissons

Région du Sidobre (Tarn) ?

VIIe-VIIIe siècles apr. J.-C.

Présent dans le jardin d’un particulier à Saint-Vincent-de-Tyrosse (Landes) depuis le milieu des années 1980, ce chapiteau composite en calcaire daté du VIIe ou du VIIIe siècle est une acquisition récente du musée d’Archéologie nationale. Au premier regard, son décor associe un vocabulaire architectural antique bien connu (feuilles d’acanthe, volutes d’angles, rosettes centrales…), mais une observation attentive de l’objet en révèle le caractère inhabituel et même, absolument inédit.

UNE PROVENANCE INCONNUE 

Remployée comme décoration de jardin dans les Landes par un particulier à partir de 1985, l'oeuvre est ensuite passée dans les mains d'un antiquaire, puis en vente publique. Dans un premier temps, elle est datée du XIIe ou du XIIIe siècle, et supposée provenir de la « zone Midi-Pyrénées ». Le résultat des analyses réalisées par Annie Blanc et Lise Leroux, membres du laboratoire de recherche des monuments historiques, indique que la pierre calcaire est originaire de l’ancienne province de Saintonge, probablement de la carrière de Thénac (Charente-Maritime). Au début du Moyen Âge, le calcaire de Thénac est justement exporté dans le quart sud-ouest de la France. D’ailleurs, rien n’indique que le chapiteau puisse provenir à l’origine des Landes, et il n’en existe aucun équivalent dans ce département ou dans les départements voisins. La région du Sidobre, à l’est de Castres (Tarn), évoquée par les anciens propriétaires comme origine probable, paraît donc plus cohérente.

À l’heure actuelle, aucun élément ne permet de rattacher ce chapiteau à un ensemble connu, ni à un site ou un monument protégés. Malgré l’absence de provenance précise, il y a peu de doutes quant à son authenticité ; dès son arrivée sur le marché de l’art, l'oeuvre se signale de toute évidence comme rare et importante pour la connaissance de l’art du début du Moyen Âge.

UN TÉMOIN DES TRANSFORMATIONS DU TYPE COMPOSITE

Le chapiteau composite apparaît à Rome vers la fin de la période républicaine et s’épanouit à l’époque flavienne. Dérivé du chapiteau corinthien, il connaît de nombreuses variantes dès la fin de l’Empire. Dans la terminologie classique des chapiteaux, le type composite comporte une partie inférieure composée de deux registres de feuilles d’acanthe, empruntée à l’ordre corinthien, et une partie supérieure dont les angles sont constitués de volutes et les faces de rosettes, issues de l’ordre ionique.

Le chapiteau du musée d’Archéologie nationale appartient en réalité à une sous-catégorie des chapiteaux composites : le type du chapiteau composite à anses. Dans une sorte d’exagération du chapiteau composite, les volutes sont reliées aux quatre feuilles d’angle du registre supérieur par des anses. Ici, les parties latérales des volutes présentent des motifs à trois oves. Le centre de chaque face de l’échine du chapiteau porte une rosette, et les registres des feuilles d’acanthe de la corbeille présentent un dessin schématisé et stylisé (triangles, chevrons et lignes superposées). Les anses, dont deux seulement subsistent, sont en forme de poissons aux écailles piquetées, aux yeux profondément creusés.

Réunissant principalement des modèles en marbre des Pyrénées datés entre le IVe et le Ve siècle, le type du chapiteau composite à anses est rare et seuls quelques exemples sont connus en France : deux chapiteaux conservés au musée des Amériques d‘Auch (Gers), un chapiteau provenant de Dax (Landes) et un autre provenant de la fouille de la villa de Serres-Gaston à Saint-Sever (Landes). Le chapiteau du musée d’Archéologie nationale est, lui, en pierre calcaire, et son décor, géométrique, est différent de celui de Dax (daté du Ve siècle). Pour Pierre-Yves Le Pogam, conservateur en chef au département des Sculptures du Musée du Louvre, il paraît néanmoins cohérent de le dater entre le VIIe et le VIIIe siècle, soit la fin de la période mérovingienne.

Ce chapiteau composite à anses est un excellent témoin des transformations subies par les prototypes tardo-antiques pendant le premier Moyen Âge ; son matériau calcaire, son décor stylisé et ses anses en forme de poissons lui confèrent par ailleurs un caractère exceptionnel.

UN DÉCOR HORS DU COMMUN 

Le décor de poissons est plutôt fréquent à l’époque paléochrétienne, mais les motifs zoomorphes sont en revanche extrêmement rares sur les chapiteaux. Ils apparaissent surtout, à l’époque mérovingienne, dans les manuscrits et l’orfèvrerie. Les représentations animalières païennes, associant le rapace et le poisson, évoquaient probablement la pêche, le butin et la domination, tandis que pour les chrétiens, le poisson permet d’évoquer le Christ, les apôtres (Simon et André sont des pêcheurs) ou même l’ensemble des fidèles. Comme l’ancre, le phare et la colombe, le poisson complète souvent le chrisme (monogramme composé à partir des deux premières lettres, en grec, du nom du Christ).

Présente à l’esprit du commanditaire ou de l’artisan, l’absence de contexte ne permet pas de saisir avec certitude la valeur symbolique de ces animaux. Néanmoins, les chapiteaux ornés de dauphins du baptistère de Poitiers nous suggèrent que cette œuvre aurait tout à fait trouvé sa place dans un édifice sacré de l’époque mérovingienne.

BIBLIOGRAPHIE 

HAMONIC, Fanny. Saint-Germain-en-Laye. Un chapiteau composite à anses, nouvelle acquisition du Musée d’Archéologie nationale. In : Bulletin Monumental, 2018, n°176-3, p. 254-255.

LE POGAM, Pierre-Yves. Décomposition et reviviscence d’un modèle antique. À propos d’un chapiteau composite à anses de la période mérovingienne. In : Antiquités nationales, 2018, 48, p. 19-26.

 

 

Armes
Scramasaxe de Chaouilley
© ©RMN-Grand Palais / Franck Raux
Le scramasaxe à décor d’animaux fantastiques de Chaouilley

Chaouilley (Meurthe-et-Moselle)

Fin du VIe-début du VIIe siècle apr. J.-C.

Cette arme est à la fois représentative du monde mérovingien et atypique. Si son contexte de découverte est mal connu, elle n'en est pas moins un exemplaire exceptionnel de scramasaxe à décor animalier. Acquise par le musée d’Archéologie nationale en 1937 auprès de l’antiquaire Léandre Cottel, l’arme a probablement été trouvée dans la nécropole de Chaouilley (Meurthe-et-Moselle) avant le début des fouilles de l’archéologue Joseph Voinot.

UN CONTEXTE DE DÉCOUVERTE MECONNU

C’est à la suite de la découverte fortuite d’une épée, près de Chaouilley, par un cantonnier en 1902, que des campagnes de fouilles sont entreprises par Joseph Voinot en 1904. Parmi la quarantaine de tombes alors mises au jour, on trouve des sépultures aristocratiques (de grande taille, au mobilier abondant et luxueux, comprenant vaisselles métalliques, armes de prestige, parures…) datées du VIe siècle. Bien qu’imprécis, le plan du cimetière rend compte de son développement régulier et trois tombes éminentes suggèrent qu’une élite franque occupe ce territoire, probablement pour des raisons stratégiques.

Une grande partie du mobilier des tombes est conservée au musée d’Archéologie nationale suite à l’acquisition de la collection de Joseph Voinot en 1933, auprès de sa veuve. Elle comporte plus de deux cents pièces et forme un ensemble homogène, mais ne comprend pas ce scramasaxe. On ignore presque tout des circonstances de la découverte de l’arme qui, entrée au musée en 1937, provient de la collection de Léandre Cottel. Ce dernier a une réputation controversée auprès de ses contemporains, qui le jugent peu scrupuleux et estiment qu’il manque de transparence quant aux lieux de provenance des objets en sa possession, l’accusant même de contribuer à la fabrication de faux.

UN DÉCOR ANIMALIER EXCEPTIONNEL 

Les premières productions franques héritent généralement de l’artisanat romain tardif. Les décors des fibules et des plaques-boucles mérovingiennes prennent leur source dans les motifs géométriques et animaliers des ceintures romaines. À partir du VIe siècle, les détails zoomorphes s’intègrent dans des entrelacs symétriques ; c’est l’apparition en Gaule franque du style animalier germanique, d’origine scandinave.

Les ornementations sur les scramasaxes sont rares et apparaissent assez tardivement. Les décors gravés peuvent fragiliser la lame, faisant des scramasaxes décorés plutôt des productions prestigieuses et d’apparat que des armes d'usage. Souvent, les décors se limitent aux entrelacs et aux motifs géométriques, mais celui de Chaouilley présente aussi des images d’animaux fantastiques. Gravée sur la moitié de sa largeur et dans un état quasi parfait, la lame montre d’un côté des animaux monstrueux, sorte de dragons, la gueule ouverte tournée vers la poignée et le corps se développant en tresse. De l’autre côté, quatre créatures semblables, parfois avec deux têtes, entremêlent leurs corps. De part et d’autre de la lame, le décor fantastique est introduit par une série de stries parallèles perpendiculaires à l’axe.

UNE ARME AU NOM BARBARE

Apparu en Europe au Ve siècle, le scramasaxe est une arme caractéristique du monde mérovingien. Dans son Histoire des Francs, Grégoire de Tours rapporte que c’est avec cette arme que le roi Sigebert est assassiné en 575. Issu du francique, la langue des Francs, le terme scramasaxe signifie « couperet ». Il recouvre cependant des catégories d’objets variés et sa classification par les chercheurs est complexe. Cette lame à un seul tranchant et à dos large est probablement un outil polyvalent, à la fonction proche de celle des machettes modernes. À la différence des épées en fer damassé, les scramasaxes sont fabriqués en métal feuilleté, facilitant l’aiguisage et augmentant la résistance.

Ces lames de forme caractéristique sont datées de la fin du VIe au début du VIIe siècle. Elles sont plus fréquentes en Allemagne que dans l’est de la France, et quelques exemples sont connus en Suisse et en Belgique. En général, la lame des scramasaxes ne présente aucun décor, même en tenant compte de l’oxydation qui pour certaines a pu totalement le détruire ; celle de Chaouilley est donc un exemple particulièrement rare.

BIBLIOGRAPHIE

HAMONIC, Fanny. Des animaux fantastiques : un scramasaxe décoré de Chaouilley. In : Archéologia, janvier 2019, n°572, p. 22-23.

JOFFROY, René. Le scramasaxe décoré de Chaouilley (Meurthe-et-Moselle). In : Antiquités Nationales, 1973, n°5, p. 58-61.

 

plaque
Media Name: o_Plaque_Grésin_pma.jpg
© ©RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski
Le Christ paléochrétien dit de Grésin

Le Broc (Puy-de-Dôme)

Ve-VIe siècles apr. J.-C.

D’aspect tout à fait curieux, le décor de cette plaque rouge en terre cuite représente un Christ apotropaïque (protégeant contre le Mal). Son décor découle probablement de modèles iconographiques anciens, auxquels sont apposés des symboles chrétiens traditionnels (alpha, croix monogrammatique et oméga).

CONTROVERSE ET AUTHENTICITÉ

Contrairement à ce que rapportent plusieurs publications anciennes, la plaque dite de Grésin est découverte avant 1830 dans la commune du Broc, à environ cinq kilomètres d’Issoire (Puy-de-Dôme). Les témoignages les plus anciens narrent qu’elle formait lors de sa mise au jour, avec une vingtaine d’autres tuiles, le revêtement d’un tombeau antique découvert à Blanède, territoire voisin de Grésin. Malgré ces informations transmises par l’auteur de la découverte, Jacques-Antoine Dulaure (1755-1835), le caractère fortement inhabituel de l’objet incite plusieurs chercheurs à mettre en doute son authenticité. Plutôt qu’une œuvre antique ou médiévale, on va même jusqu’à y voir une plaque de cheminée du XVIIIe siècle.

À la fin des années 1980 et à la demande de Françoise Vallet, alors en charge des collections du premier Moyen Âge du musée d’Archéologie nationale, un échantillon est prélevé dans la partie arrière de la plaque afin de pratiquer la technique de la datation par thermoluminescence, qui permet de déduire, par la mesure de la dose de radiation accumulée dans un objet, le temps écoulé depuis sa dernière chauffe. La valeur de la dose est très élevée dans le cas de cette plaque en terre cuite, et ne correspond en aucun cas à celle que l’on attendrait pour un objet datant du XVIIIe siècle, pour lequel elle serait plus faible. La plaque a donc au moins dix siècles, et la dose est parfaitement compatible avec une cuisson remontant à l’époque paléochrétienne, entre le IVe et le VIe siècle.

LE CHRIST DIT DE GRÉSIN

Au centre de la plaque figure un personnage représenté de face, mais dont les pieds sont de profil. Ses deux bras sont symétriquement écartés ; il brandit de la main droite un objet circulaire et de la gauche une lance à crochet. À sa ceinture, il porte une épée. Son visage circulaire est souligné par deux oreilles quasi félines. Entre un alpha et un oméga, son front est marqué de la croix monogrammatique (alliance de la croix chrétienne et du monogramme du Christ). Sous ses pieds se déploie un serpent, tandis qu’on observe trois mufles de lion à sa droite.

L’archéologue Raymond Lantier (1886-1980) soutient l’interprétation proposée dès 1846 par le professeur Pierre-Pardoux Mathieu (1799-1880) : le personnage de la plaque dite de Grésin qui porte la croix monogrammatique sur son front ne peut être que le Christ. Cette scène évoquerait ainsi le Christ combattant le serpent et les mufles de lion, symboles du Mal.

Dès la fin du IIIe siècle, l’iconographie de l’Empereur victorieux, comme sur la statue colossale en marbre de Constantin de la basilique de Saint-Jean-de-Latran à Rome, se mêle à celle du Christ triomphateur du Mal. Les empereurs tiennent la lance d’une main, et de l’autre un globe. Ici, la forme de l’objet que tient le personnage dans sa main droite peut aussi bien être un globe qu’un bouclier. Ce thème du Christ triomphant du Mal, assimilé au serpent et aux mufles de lion, est courant à l’époque paléochrétienne.

UN DÉCOR AUX MULTIPLES INFLUENCES

L’un des détails qui peut interpeller à la vue de cette scène est la représentation du sexe du protagoniste, bien visible malgré le costume ; cependant, elle n’est pas une exception dans le monde mérovingien, où l’on connaît d’autres exemples de personnages au sexe apparent associés à des croix, sur des sarcophages par exemple. Ces phallus sont interprétés comme des symboles de vie et de virilité et ont probablement une origine païenne. Ces images, conservées comme expression de la force vitale, deviennent à l’époque chrétienne un symbole de vie et de survie dans l’au-delà. Dans ce sens, leur utilisation dans un contexte funéraire est particulièrement cohérente. Servant au coffrage d’un tombeau, la plaque exprime la préoccupation de son propriétaire pour son salut dans l’au-delà. On peut également rapprocher cette représentation de la divinité orientalisante Sol Invictus (« Soleil triomphant »), apparue dans le monde romain au IIIe siècle, qui figure l’empereur à la tête radiée, et on a même évoqué à son sujet le dieu gaulois Lug, solaire et combattant, habituellement représenté en cuirasse, muni d’une lance et de chaînes.

Ce décor découle donc de modèles iconographiques anciens, auxquels sont apposés des symboles chrétiens traditionnels pour la production d’une image inédite, fruit d’un mélange complexe de traditions iconographiques très variées.

BIBLIOGRAPHIE 

BARDIÈS-FRONTY, Isabelle. DENOËL, Charlotte. et VILLELA-PETIT, Inès. Les temps mérovingiens. Trois siècles d’art et de culture (451-751). Paris : Édition de la RMN, 2016.

FOURNIER, Pierre-François. Plaques de foyer en terre cuite de Basse-Auvergne. In : Auvergne Littéraire, 1966, p. 35-49.

LANTIER, Raymond. Plaque funéraire de terre-cuite mérovingienne. In : Jahrbuch des Romisch-Germanischen Zentralmuseums Mainz, 1954, n°1, p. 237-244

VALLET, Françoise. QUERRE, Guirec. Authenticité de la plaque paléochrétienne de terre-cuite dite de Grésin (Commune du Broc, Puy-de-Dôme). In : Antiquités Nationales, 1989, n°21, p. 75-81.

 

Bijoux
Media Name: o_bijoux_Estagel_pma_20191014_11_vg_43.jpg
© MAN/Valorie Gô
Bijoux du cimetière wisigoth d'Estagel

Tombe n° 8 d’Estagel (Pyrénées-Orientales)

Vers 475-550

 

Après la mise à sac de Rome en 410, les Wisigoths pénètrent en Gaule en 413 et s’y établissent en 419. L’empereur Flavius Honorius leur concède une partie de l’Aquitaine et Toulouse devient leur capitale. Le cimetière d’Estagel, dans les Pyrénées-Orientales, rend compte de leurs coutumes funéraires et vestimentaires.

UN CIMETIERE WISIGOTH A ESTAGEL

Situé au lieu-dit Las Tumbas, à environ 300 m du village d’Estagel (Pyrénées-Orientales), un cimetière wisigoth est mis au jour au milieu du XIXe siècle, sous le Second Empire, alors que le propriétaire du terrain découvre, en déracinant une souche, une première sépulture. Par la suite, en 1888, à l’occasion de la plantation de vignes, M. Body, alors notaire à Estagel, fouille une trentaine de sépultures. Des recherches archéologiques sont ensuite menées, entre 1935 et 1937, puis entre 1946 et 1948, par Raymond Lantier, l’un des anciens conservateurs du musée d’Archéologie nationale. Le mobilier des 200 sépultures découvertes est alors naturellement envoyé au musée pour y être présenté au public.

Les sépultures sont groupées densément et la nécropole est organisée selon des alignements parallèles. Composées en général d’une fosse dans laquelle sont disposées des dalles de schiste, formant une sorte de cercueil, les sépultures accueillent des défunts habillés, inhumés avec leurs parures et des objets d’usage domestique. Malgré une certaine pauvreté, le mobilier est très homogène, et caractérisé par l’absence de céramique et d’armement.

DES PARURES FEMININES REMARQUABLES

Les tombes de femmes et d’enfants sont plus nombreuses que celles des hommes, mais manifestent généralement la même modestie dans leur mobilier funéraire. Néanmoins, deux sépultures féminines se distinguent par des parures tout à fait exceptionnelles.

Couverte par une dalle en schiste de 2,20 m de long et 0,75 m de large, la sépulture n°8 du cimetière d’Estagel, longue de 2 m et large en moyenne de 0,65 m, est découverte lors des fouilles de 1935-1937. Les inventeurs mettent au jour, au niveau de la ceinture de la défunte, une grande plaque-boucle rectangulaire en bronze à décor de verroteries bleues et jaunâtres cloisonnées (MAN77266.a). Très populaire au haut Moyen Âge, cette technique consiste à réaliser des décors à l’aide de parois verticales entre lesquelles on vient insérer des gemmes ou des verroteries. Quatre caissons renferment une étoile à huit branches et l’ardillon est terminé par une tête d’ophidien stylisée. Sur l’épaule gauche de la défunte est découverte une grande fibule ansée en bronze à cinq digitations (MAN77266.b). Rehaussée de verroteries, la fibule présente un décor constitué de motifs en forme de spirales. Au niveau du cou, les fouilleurs exhument des éléments d’un collier : trois perles de verre côtelées (MAN77266.c) et une petite monnaie de Constantin (MAN77266.d).

Fouillée quant à elle pendant les campagnes de 1946-1947, la sépulture n°117 est également attribuée à une femme. Au moment de la découverte, une paire de fibules ansées dissymétriques à têtes d’oiseaux (MAN78596.1 et 2) repose sur le torse de cette dernière. S’ajoutent au mobilier de cette sépulture une épingle gravée de zigzags et quelques perles, une boucle en fer, ainsi qu’une petite boucle de chaussure en alliage cuivreux.

UNE MODE ORIGINALE

Le mobilier funéraire du cimetière d’Estagel, notamment les fibules digitées à arc et les plaques-boucles rectangulaires décorées de verroteries, relève indiscutablement de la civilisation wisigothique. Si les dépôts funéraires sont assez rares dans la nécropole, certaines sépultures féminines se distinguent par des parures rares, d’autant que les fibules sont rarement retrouvées en Septimanie (Languedoc-Roussillon actuel).

De formes caractéristiques des régions à peuplement wisigothique, ces fibules étaient façonnées et portées par paire. Contrairement aux Francs, les femmes wisigothes ne les portaient pas à la taille mais au niveau de l’épaule. En effet, elles suivaient une coutume d’origine germanique orientale qui consistait à porter deux grandes fibules sur les épaules, la tête vers le bas, ainsi qu’une large plaque-boucle de ceinture à la taille. Cependant, les études menées en 2011 par Antoinette Rast-Eicher sur les restes de textiles découverts à Estagel ont démontré que les tissus portés par les défunts, eux, étaient clairement de tradition romaine. Cette mode très particulière, à la croisée des influences gothiques et romaines, changea définitivement au milieu du VIe siècle apr. J.-C., après que le royaume wisigoth ait été conquis par Clovis, déclenchant le déplacement d’une partie de la population, à franchir les Pyrénées et à s’installer en Espagne.

BIBLIOGRAPHIE

HAMONIC, Fanny. Un anniversaire wisigoth. In : Archéologia, janvier 2020, n°583, p. 24-25.

LANTIER, Raymond. Le cimetière wisigothique d’Estagel. In : Gallia, 1943, n°1.1, p. 153-188.

LANTIER, Raymond. Nouvelles fouilles dans le cimetière wisigothique d'Estagel (Pyrénées-Orientales). In : Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1947, n°91.1, p. 226-235.

LANTIER, Raymond. Fouilles dans le cimetière wisigothique d'Estagel (Pyrénées-Orientales). In : Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1948, n°92.2, p. 154-163.

Accessoires du costume
Media Name: Plaque-boucle représentant probablement Daniel jeté dans la fosse aux lions
© ©MAN / Valorie Gô
Plaques-boucles à motifs chrétiens

Sancé et Mâcon (Saône-et-Loire)

VIe siècle apr. J.-C.

En mars 2017, le musée d’Archéologie nationale se portait acquéreur en vente publique de deux plaques-boucles à motif chrétien. Découvertes entre 1888 et 1914 par George Lafay, alors directeur du musée de Mâcon, au cours de dragages de la Saône, elles sont probablement issues de sépultures installées sur le territoire des communes de Sancé et de Mâcon (Saône-et-Loire). Elles sont datées du VIe siècle malgré un contexte de découverte peu documenté.

LES PLAQUES-BOUCLES MÉROVINGIENNES

Les plaques-boucles de ceinture, composées d’une boucle servant à attacher la lanière de l’objet - parfois elle-même ornée d’une contreplaque - et d’une plaque décorative, servent à maintenir les larges ceintures de cuir portées à l’époque franque. Des objets livrés par les fouilles des cimetières mérovingiens, elles sont parmi les plus nombreux. Beaucoup n’ont qu’un rôle décoratif, mais d’autres proposent des motifs chrétiens très importants pour comprendre les mentalités religieuses durant cette période, où composent parfois étroitement traditions païennes, superstitions et christianisme. Les plaques-boucles de type rectangulaire, comme celle-ci, proviennent généralement de Burgondie et sont datées autour du VIe siècle.

DEUX IMAGES COMPLEXES

Parmi les images les plus récurrentes, on trouve la scène biblique du prophète Daniel jeté dans la fosse aux lions. Il s’agit probablement du décor de la plaque n° 91804 où l’on peut voir Daniel, les bras levés vers le ciel, encadré par deux animaux monstrueux. Plutôt que des lions, on peut aussi interpréter ces animaux comme des griffons (créatures légendaires à tête d’aigle et au corps de lion) en adoration, auquel cas, le personnage central ne serait pas Daniel, mais le Christ lui-même.

Sur la plaque n° 91805 figurent, à gauche, deux personnages dont les visages sont très schématisés (deux points pour les yeux, un triangle pour le nez et la bouche). Celui de gauche se tient debout, le corps de trois-quarts, la main droite tenant ce qui semble être un siège, et sa coiffure est sommairement évoquée par quelques traits. Le siège sur lequel est assis le personnage est décoré de quatre croix. Pratiquement assis de profil, il tend les bras, comme pour montrer ou tenir quelque chose. Entre sa coiffure, haute, évoquant une couronne, et celle du personnage le plus à gauche, on distingue à l’arrière-plan une sorte de disque. Ses pieds reposent sur une plateforme surélevée marquée d’une frise en dents de scie sur laquelle s’avancent trois personnages. Ces derniers semblent porter quelque chose au niveau de la poitrine. Un défaut de fonderie au centre de la plaque rend la lecture de la scène difficile, mais pourrait être interprété comme un personnage plus petit, tenu par le personnage trônant.

UN ÉPISODE CÉLÈBRE 

La scène de la plaque n°91805 est interprétée par Édouard Salin (1889-1970) comme la représentation des Mages devant Hérode. Assis et trônant, couronne sur la tête, il indiquerait le chemin à suivre, symbolisé par l’étoile d’où sortent des rayons. Si cette interprétation est plausible, les comparaisons avec des scènes plus claires et de même époque donnent plutôt raison à l’archéologue allemand Joachim Werner (1909-1994), qui y voit une représentation de l’Adoration des Mages.

Tirée de l’Évangile, l’histoire raconte que les Mages, guidés par une étoile, voyagèrent depuis Jérusalem pour apporter leurs offrandes au Christ nouveau-né. Sur la plaque de Sancé, trois d’entre eux se dirigent vers la Vierge, qui tient dans ses bras l’Enfant. Derrière elle se tiendrait Joseph. Il s’agirait donc d’une épiphanie, ou manifestation divine, qui évoque l’incarnation du Christ et la promesse de salut, mais aussi, à travers la figuration des Mages, la conversion des païens. Ces thèmes sont très symboliques à une époque où la religion chrétienne continue de se diffuser largement.

BIBLIOGRAPHIE 

GAILLARD de SEMAINVILLE, Henri. Les cimetières mérovingiens de la côte chalonnaise et de la côte mâconnaise. Dijon : Revue archéologique de l’est et du centre-est, 1980, p. 90, pl. 5-10 (Revue archéologique de l’est et du centre-est, suppl. 3).

GAILLARD de SEMAINVILLE, Henri. Les plaques-boucles mérovingiennes ornées d’une croix encadrée par deux griffons : à propos d’une découverte faite à Fleury-sur-Ouche (Côte-d’Or). In : Revue archéologique de l’est, 2010, n°182, p. 585-602.

JEANTON, Gabriel. et LAFAY, George. Nouvelles découvertes archéologiques faites dans la Saône en aval de l’île Saint-Jean près de Mâcon. In : Bulletin de la Société Préhistorique française, 1917, n°14, p. 204, fig. 94.

WERNER, Joachim. Die Ausgrabungen in St-Ulrich und Aura in Augsburg (1961-1966), Munich, 1976, p. 330-331, pl. 104.1. et 105.1.