Chapiteau composite à anses en forme de poissons
Présent dans le jardin d’un particulier à Saint-Vincent-de-Tyrosse (Landes) depuis le milieu des années 1980, ce chapiteau composite en calcaire daté du VIIe ou du VIIIe siècle est une acquisition récente du musée d’Archéologie nationale. Au premier regard, son décor associe un vocabulaire architectural antique bien connu (feuilles d’acanthe, volutes d’angles, rosettes centrales…), mais une observation attentive de l’objet en révèle le caractère inhabituel et même, absolument inédit.
UNE PROVENANCE INCONNUE
Remployée comme décoration de jardin dans les Landes par un particulier à partir de 1985, l'oeuvre est ensuite passée dans les mains d'un antiquaire, puis en vente publique. Dans un premier temps, elle est datée du XIIe ou du XIIIe siècle, et supposée provenir de la « zone Midi-Pyrénées ». Le résultat des analyses réalisées par Annie Blanc et Lise Leroux, membres du laboratoire de recherche des monuments historiques, indique que la pierre calcaire est originaire de l’ancienne province de Saintonge, probablement de la carrière de Thénac (Charente-Maritime). Au début du Moyen Âge, le calcaire de Thénac est justement exporté dans le quart sud-ouest de la France. D’ailleurs, rien n’indique que le chapiteau puisse provenir à l’origine des Landes, et il n’en existe aucun équivalent dans ce département ou dans les départements voisins. La région du Sidobre, à l’est de Castres (Tarn), évoquée par les anciens propriétaires comme origine probable, paraît donc plus cohérente.
À l’heure actuelle, aucun élément ne permet de rattacher ce chapiteau à un ensemble connu, ni à un site ou un monument protégés. Malgré l’absence de provenance précise, il y a peu de doutes quant à son authenticité ; dès son arrivée sur le marché de l’art, l'oeuvre se signale de toute évidence comme rare et importante pour la connaissance de l’art du début du Moyen Âge.
UN TÉMOIN DES TRANSFORMATIONS DU TYPE COMPOSITE
Le chapiteau composite apparaît à Rome vers la fin de la période républicaine et s’épanouit à l’époque flavienne. Dérivé du chapiteau corinthien, il connaît de nombreuses variantes dès la fin de l’Empire. Dans la terminologie classique des chapiteaux, le type composite comporte une partie inférieure composée de deux registres de feuilles d’acanthe, empruntée à l’ordre corinthien, et une partie supérieure dont les angles sont constitués de volutes et les faces de rosettes, issues de l’ordre ionique.
Le chapiteau du musée d’Archéologie nationale appartient en réalité à une sous-catégorie des chapiteaux composites : le type du chapiteau composite à anses. Dans une sorte d’exagération du chapiteau composite, les volutes sont reliées aux quatre feuilles d’angle du registre supérieur par des anses. Ici, les parties latérales des volutes présentent des motifs à trois oves. Le centre de chaque face de l’échine du chapiteau porte une rosette, et les registres des feuilles d’acanthe de la corbeille présentent un dessin schématisé et stylisé (triangles, chevrons et lignes superposées). Les anses, dont deux seulement subsistent, sont en forme de poissons aux écailles piquetées, aux yeux profondément creusés.
Réunissant principalement des modèles en marbre des Pyrénées datés entre le IVe et le Ve siècle, le type du chapiteau composite à anses est rare et seuls quelques exemples sont connus en France : deux chapiteaux conservés au musée des Amériques d‘Auch (Gers), un chapiteau provenant de Dax (Landes) et un autre provenant de la fouille de la villa de Serres-Gaston à Saint-Sever (Landes). Le chapiteau du musée d’Archéologie nationale est, lui, en pierre calcaire, et son décor, géométrique, est différent de celui de Dax (daté du Ve siècle). Pour Pierre-Yves Le Pogam, conservateur en chef au département des Sculptures du Musée du Louvre, il paraît néanmoins cohérent de le dater entre le VIIe et le VIIIe siècle, soit la fin de la période mérovingienne.
Ce chapiteau composite à anses est un excellent témoin des transformations subies par les prototypes tardo-antiques pendant le premier Moyen Âge ; son matériau calcaire, son décor stylisé et ses anses en forme de poissons lui confèrent par ailleurs un caractère exceptionnel.
UN DÉCOR HORS DU COMMUN
Le décor de poissons est plutôt fréquent à l’époque paléochrétienne, mais les motifs zoomorphes sont en revanche extrêmement rares sur les chapiteaux. Ils apparaissent surtout, à l’époque mérovingienne, dans les manuscrits et l’orfèvrerie. Les représentations animalières païennes, associant le rapace et le poisson, évoquaient probablement la pêche, le butin et la domination, tandis que pour les chrétiens, le poisson permet d’évoquer le Christ, les apôtres (Simon et André sont des pêcheurs) ou même l’ensemble des fidèles. Comme l’ancre, le phare et la colombe, le poisson complète souvent le chrisme (monogramme composé à partir des deux premières lettres, en grec, du nom du Christ).
Présente à l’esprit du commanditaire ou de l’artisan, l’absence de contexte ne permet pas de saisir avec certitude la valeur symbolique de ces animaux. Néanmoins, les chapiteaux ornés de dauphins du baptistère de Poitiers nous suggèrent que cette œuvre aurait tout à fait trouvé sa place dans un édifice sacré de l’époque mérovingienne.
BIBLIOGRAPHIE
HAMONIC, Fanny. Saint-Germain-en-Laye. Un chapiteau composite à anses, nouvelle acquisition du Musée d’Archéologie nationale. In : Bulletin Monumental, 2018, n°176-3, p. 254-255.
LE POGAM, Pierre-Yves. Décomposition et reviviscence d’un modèle antique. À propos d’un chapiteau composite à anses de la période mérovingienne. In : Antiquités nationales, 2018, 48, p. 19-26.
Pierre calcaire
Région du Sidobre (Tarn) ?
VIIe-VIIIe siècles apr. J.-C.
L. 47,5 cm ; l. 40 cm ; D. 38 cm
ACQUISITION
Achat sur le marché de l’art, 2017
NUMÉRO D'INVENTAIRE
MAN 91806