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Le Christ paléochrétien dit de Grésin

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© ©RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski

D’aspect tout à fait curieux, le décor de cette plaque rouge en terre cuite représente un Christ apotropaïque (protégeant contre le Mal). Son décor découle probablement de modèles iconographiques anciens, auxquels sont apposés des symboles chrétiens traditionnels (alpha, croix monogrammatique et oméga).

CONTROVERSE ET AUTHENTICITÉ

Contrairement à ce que rapportent plusieurs publications anciennes, la plaque dite de Grésin est découverte avant 1830 dans la commune du Broc, à environ cinq kilomètres d’Issoire (Puy-de-Dôme). Les témoignages les plus anciens narrent qu’elle formait lors de sa mise au jour, avec une vingtaine d’autres tuiles, le revêtement d’un tombeau antique découvert à Blanède, territoire voisin de Grésin. Malgré ces informations transmises par l’auteur de la découverte, Jacques-Antoine Dulaure (1755-1835), le caractère fortement inhabituel de l’objet incite plusieurs chercheurs à mettre en doute son authenticité. Plutôt qu’une œuvre antique ou médiévale, on va même jusqu’à y voir une plaque de cheminée du XVIIIe siècle.

À la fin des années 1980 et à la demande de Françoise Vallet, alors en charge des collections du premier Moyen Âge du musée d’Archéologie nationale, un échantillon est prélevé dans la partie arrière de la plaque afin de pratiquer la technique de la datation par thermoluminescence, qui permet de déduire, par la mesure de la dose de radiation accumulée dans un objet, le temps écoulé depuis sa dernière chauffe. La valeur de la dose est très élevée dans le cas de cette plaque en terre cuite, et ne correspond en aucun cas à celle que l’on attendrait pour un objet datant du XVIIIe siècle, pour lequel elle serait plus faible. La plaque a donc au moins dix siècles, et la dose est parfaitement compatible avec une cuisson remontant à l’époque paléochrétienne, entre le IVe et le VIe siècle.

LE CHRIST DIT DE GRÉSIN

Au centre de la plaque figure un personnage représenté de face, mais dont les pieds sont de profil. Ses deux bras sont symétriquement écartés ; il brandit de la main droite un objet circulaire et de la gauche une lance à crochet. À sa ceinture, il porte une épée. Son visage circulaire est souligné par deux oreilles quasi félines. Entre un alpha et un oméga, son front est marqué de la croix monogrammatique (alliance de la croix chrétienne et du monogramme du Christ). Sous ses pieds se déploie un serpent, tandis qu’on observe trois mufles de lion à sa droite.

L’archéologue Raymond Lantier (1886-1980) soutient l’interprétation proposée dès 1846 par le professeur Pierre-Pardoux Mathieu (1799-1880) : le personnage de la plaque dite de Grésin qui porte la croix monogrammatique sur son front ne peut être que le Christ. Cette scène évoquerait ainsi le Christ combattant le serpent et les mufles de lion, symboles du Mal.

Dès la fin du IIIe siècle, l’iconographie de l’Empereur victorieux, comme sur la statue colossale en marbre de Constantin de la basilique de Saint-Jean-de-Latran à Rome, se mêle à celle du Christ triomphateur du Mal. Les empereurs tiennent la lance d’une main, et de l’autre un globe. Ici, la forme de l’objet que tient le personnage dans sa main droite peut aussi bien être un globe qu’un bouclier. Ce thème du Christ triomphant du Mal, assimilé au serpent et aux mufles de lion, est courant à l’époque paléochrétienne.

UN DÉCOR AUX MULTIPLES INFLUENCES

L’un des détails qui peut interpeller à la vue de cette scène est la représentation du sexe du protagoniste, bien visible malgré le costume ; cependant, elle n’est pas une exception dans le monde mérovingien, où l’on connaît d’autres exemples de personnages au sexe apparent associés à des croix, sur des sarcophages par exemple. Ces phallus sont interprétés comme des symboles de vie et de virilité et ont probablement une origine païenne. Ces images, conservées comme expression de la force vitale, deviennent à l’époque chrétienne un symbole de vie et de survie dans l’au-delà. Dans ce sens, leur utilisation dans un contexte funéraire est particulièrement cohérente. Servant au coffrage d’un tombeau, la plaque exprime la préoccupation de son propriétaire pour son salut dans l’au-delà. On peut également rapprocher cette représentation de la divinité orientalisante Sol Invictus (« Soleil triomphant »), apparue dans le monde romain au IIIe siècle, qui figure l’empereur à la tête radiée, et on a même évoqué à son sujet le dieu gaulois Lug, solaire et combattant, habituellement représenté en cuirasse, muni d’une lance et de chaînes.

Ce décor découle donc de modèles iconographiques anciens, auxquels sont apposés des symboles chrétiens traditionnels pour la production d’une image inédite, fruit d’un mélange complexe de traditions iconographiques très variées.

BIBLIOGRAPHIE 

BARDIÈS-FRONTY, Isabelle. DENOËL, Charlotte. et VILLELA-PETIT, Inès. Les temps mérovingiens. Trois siècles d’art et de culture (451-751). Paris : Édition de la RMN, 2016.

FOURNIER, Pierre-François. Plaques de foyer en terre cuite de Basse-Auvergne. In : Auvergne Littéraire, 1966, p. 35-49.

LANTIER, Raymond. Plaque funéraire de terre-cuite mérovingienne. In : Jahrbuch des Romisch-Germanischen Zentralmuseums Mainz, 1954, n°1, p. 237-244

VALLET, Françoise. QUERRE, Guirec. Authenticité de la plaque paléochrétienne de terre-cuite dite de Grésin (Commune du Broc, Puy-de-Dôme). In : Antiquités Nationales, 1989, n°21, p. 75-81.