Exposition A l'eau, le Bourget

À l'eau le Bourget ?

Goûtez les plaisirs de la « Lacustromanie » !

Pour aller plus loin et goûter les plaisirs de la « Lacustromanie », le musée d’Archéologie nationale vous propose ce poème publié par Antony DESSAIX au Concours régional agricole de Chambéry en 1870 à Chambéry et subtilement intitulé : Histoire des Topins ou la Lacustromanie
 

Ensemble de pièces provenant de la collecte Rabut dans le lac du Bourget (Savoie), à savoir : 1 coupelle en terre cuite (MAN7608), 2 bracelets (MAN7761 et MAN8644) et 2 épingles (MAN16335.A et B) en alliage cuivreux, un morceau d'andouiller de cerf (MAN16422) provenant de Châtillon-sur-Cluses, un ruban torse (MAN26528), 1 pointe de lance (MAN16300), 2 pointes de lance à douille (MAN16301.1 et 2), une pendeloque (MAN16310) en alliage cuivreux, une perle en ambre (MAN16382), une perle en stéatite (MAN16383), 5 fusaïoles (MAN16489.1 à 5), 1 vase miniature (MAN16527.D), 1 demi-vase en bulbe d'oignon (MAN16540.A), 2 vases à fond plat (MAN16559.A et MAN16567.A), 1 assiette (MAN16562.1) en terre cuite, provenant de Brison-Saint-Innocent ; 2 écuelles (MAN7602 ; MAN7605) et 1 vase à fond plat en terre cuite (MAN16560), une épingle en alliage cuivreux (MAN16323.1) provenant de Tresserve; 1 couteau à douille en alliage cuivreux (MAN16346), 1 moule à anneaux en molasse (MAN16392.A) provenant de Conjux ; un moulage en plâtre d'un élément de bois travaillé "Lac du Bourget - M. Rabut" (MAN9423), un fuseau en bois (MAN9428), un morceau de bois (MAN9430), un pilotis en bois avec entaille à queue d'aronde (MAN16430), des glands (16436), trois fragments de couteaux (MAN16358.1 à 3), une rondelle (MAN17108), une hache à douille et anneau (MAN17110), deux anneaux imbriqués (MAN17111), une épingle (MAN17112) en alliage cuivreux, un poids de filet en pierre (MAN17114), un fragment de sol de four ? (MAN16500), 1 fragment de poterie d'un grand vase avec décor de cordon digité (MAN20935), une assiette (MAN26522), 1 vase à fond plat, décor ligne poinçonnée à l'encolure (MAN16570) en terre cuite, provenant de la station lacustre du lac du Bourget. Bronze final. ©MAN/VALORIE GÔ 2020
Ensemble de pièces provenant de la collecte Rabut dans le lac du Bourget (Savoie) ©MAN/VALORIE GÔ 2020

Vous pouvez le découvrir en cliquant sur le bloc ci-dessous

Vous pouvez aussi le lire en le téléchargeant ici

 

Histoire des Topins ou la Lacustromanie

 

I

Homère chante Achille, et Voltaire, Henri quatre.

Ces héros-là passaient tout leur temps à se battre.

Le poète, aujourd'hui, plus épris de la paix,

Va prendre ses héros ailleurs. Le mien, je vais

L'extraire de ces lacs aux profondes assises,

Où des premiers humains les races indécises

S'arrêtèrent soudain, pour de là rayonner

Sur les sombres forêts sans les trop étonner.

Je vais montrer les pieux qui plantés dans la vase,

De l'empire qu'a pris l'homme ont été la base.

Oui, je veux étaler aux regards des humains

Les premiers objets d'art façonnés par leurs mains.

Suivant tous les cours d'eau, sondant tous les rivages,

Je veux poursuivre l'homme à travers tous les âges.

J'ai fait un vaste plan…. Je me propose enfin….

D'épuiser tous les lacs jusqu'au dernier topin….

Ouf!. n'allons pas si loin, prenons-en plus à l'aise;

Il est peu de lecteurs auxquels cet accent plaise.

En modérant le ton, en le prenant plus bas,

Croyez-vous par hasard qu’on ne m’entendit pas ?

Disons donc simplement que je vais des lacustres

Farfouiller les secrets et les restes illustres.

Et, si pour mon poème il faut un Jocelyn,

Un héros pour de bon, j'ai Rabut ou Perrin.

II

Vous savez tous que Diogène

Avait une écuelle de bois,

Et que dans son tonneau sans gène

Il se moquait pas mal des rois.

Une écuelle c'est trop encore

Pour un sage de sa façon….

Pendant que ce sage pérore,

Un enfant lui fait la leçon.

Le philosophe, chose étrange ;

En profita ; car la vertu

De moins qu'une écuelle s'arrange,

L'écuelle c'est le superflu.

Au diable, cria-t-il, l'écuelle !...

Il lève son bras fort, et fla !...

Il extermine sa vaisselle

Qui d'un seul coup vole en éclat.

Bravo ! l'action est fort belle…

Mais, dis-moi, cynique malin,

Eusses-tu cassé ton écuelle

Si c'eût été un vieux topin ?….

(Je me paie en cette occurrence

Un bel hiatus fait au tour….

Devant un vieux topin, j'y pense,

La bouche s'ouvre comme un four.

Et dès l'instant qu'elle est ouverte

L'hiatus y passe tout droit….

Cet argument vous déconcerte….

Cynique, je reviens à toi.)

Si tu voyais ces pots à soupe

Qu'on extrait de nos lacs profonds,

Comme ils sont jolis à la loupe

Depuis les anses jusqu'aux fonds,

Laisse-moi croire, Diogène,

Que, plus épris de la beauté,

Tu n'eusses pas par ton sans-gêne

Affligé la postérité.

Le vraiment beau toujours inspire

Le respect, l'admiration….

Près d’un vieux lopin, je délire

Et Rabut y perd la raison.

III

Les premiers Aryens qui vinrent sur nos terres

Allaient en suivant les ruisseaux ;

En fait de grands chemins, ils avaient les rivières

Qui valaient bien nos vicinaux.

Mais les loups et les ours disputaient le passage,

A ces indiscrets voyageurs.

Ce bétail ennuyeux gâtait le paysage;

Il fallait l'envoyer ailleurs.

Oui, mais en attendant, ces bestiaux sont les maîtres

De ces bois qu'on vient exploiter….

On marche avec prudence, on abat quelques hêtres

Et l'on se met à piloter.

On abat et l'on plante, et la case s'élève

A deux ou trois mètres du bord ;

Puis, avec des roseaux, un abri sûr s'achève

Où l'on est comme dans un fort.

Les loups tout attrapés font la plus triste mine,

On les fusille par-dessus.

De leur peau l'on se fait une veste d'hermine….

Et puis bientôt on n'en voit plus.

Alors, l'homme aguerri sortant de sa retraite,

Se met à courir le pays ;

Au terrain parcouru mesurant sa conquête

Il marchait les jours et les nuits.

Le lac du Bourget fut une de ces étapes

Où se reposa l'Aryen.

De ce lac de poète allez sonder les nappes,

Vous y trouverez du topin.

IV

0 topin magnifique,

Toi dont la forme antique,

Par sa grâce magique,

Rappelle l'âge d'or.

Oh ! qu'avec ta double anse,

– Sans aucune semblance –

Vous aviez belle panse

Dans ta famille, alors !...

Mais aujourd'hui, misère !

Tous nos topins de terre

Semblent tout près de faire

Leur dernier testament ;

Maigres, fourbus et hâves,

On dirait des esclaves

Nourris de jus de raves,

Sans orge et sans froment.

Ta race était plus forte,

Moins sonore, n'importe,

Pourvu qu'elle comporte

La grande quantité….

Dans ton ventre entre à l'aise

La pipe bordelaise,

Même la mâconnaise

De bonne qualité.

Aujourd'hui, plus fragile,

La malléable argile

Et s'allonge et s'effile

Sans déployer ses flancs ;

On en fait des soupières,

Et l'on voit les croupières

Qu'on taille à certains maires

Qui font voter dedans.

Vieux topin, ma mémoire

Déjà chante ta gloire ;

En triomphe l'histoire

Bientôt te portera.

Qu'au musée on te place,

Loin du peuple qui casse….

Là que Rabut t'embrasse

Autant qu'il lui plaira.

V

Dans le lac de Zurich, un jour que l'eau très basse

Laissait voir certains bois émergeant sa surface,

Un savant s'avisa d'étudier les lieux

Et s'arrogea le droit d'interroger ces pieux.

Répondant hardiment dans leur naïf langage,

Ils disent qu'ils sont vieux et viennent d'un autre âge

Où les hommes n'avaient ni le fer ni l'acier

Pour tailler ou couper, raboter ou scier.

A ce que l'on possède aisément on se borne ;

On fait la hache en pierre, on fait le manche en corné.

Puis, pour enjoliver tous ces divers objets,

Au bronze on empruntait ses magiques reflets.

Le principal outil n'est autre que la hache.

On eût payé bien cher un tout petit Eustache.

Un couteau de Saint-Claude, avec ou sans sifflet,

Eût charmé nos aïeux au fond de la forêt.

Le ménage devait subir la loi commune ;

Là, pas de ces buffets dont l'éclat importune ;

Une écuelle, un topin, où chacun tour à tour

Venait manger sa soupe une ou deux fois par jour….

Nous portions la maison, - car le pieu continue. -

Où toute la famille aisément contenue

Couchait sur une natte en branches de sapins,

Et sur un oreiller fait en pommes de pins.

Une lampe d'argile où fume la résine

Suffit à ce taudis, l'éclairé et l'illumine.

Eh bien, fouille le sol où notre pied se perd ;

On n'y trouve à coup sûr ni de l'or ni du fer,

Mais des vieux pots cassés, souvenirs de cet âge,

Où vos aïeux faisaient le dur apprentissage

De la vie... Allez donc, cherchez bien...

Et le pal Se tut. Alors, saisi d'un beau feu sans égal,

Keller, plongeant la main dans la vase mobile,

En rapporte aussitôt un calice d'argile,

Au ventre rebondi, crânement se campant,

De vingt siècles âgé sans un seul cheveu blanc.

0 miracle ! Victoire ! Alléluia ! Que sais-je

Ce qu'en bon allemand que le bonheur assiège Il s'écria...

- Tant est qu'un monde tout nouveau,

Vrai nouveau-né, venait d'entrer dans son berceau.

Keller fut la maman, Troyon fut la nourrice.

Car le lac d'Yverdon aux recherches propice

Fournit à la science un nouvel élément.

Troyon coordonna les topins, et vraiment

Construisit la science et lui donna des bases.

VI

Rabut vint, qui mettant un frein à ses extases,

Publie un petit livre assez bien imprimé,

Où le secret des lacs est fort bien exprimé.

A son texte il ajoute un keepsake d'images

Qu'on donne à feuilleter aux enfants qui sont sages.

Il eût fallu le voir, son panier sous le bras,

Son harpon sur le dos et sans autre embarras,

Monter sur un canot et, ramant à son aise,

De Puer à Brison fouiller la terre glaise.

Il plonge gravement son arme dans le lac,

Il fait un mouvement habile, adroit, et crac...

On le voit amener un topin gigantesque...

Bravo ! Que les savants sont un monde grotesque !

Quand Rabut a trouvé quelque anse de topin,

De l'Empereur de Chine il n'est plus le cousin.

Tout gonflé de bonheur, tout ruisselant de joie,

Il consume ses nuits à contempler sa proie.

Entre temps, il allait tourner autour du pot

Où le Suisse tenait sa science en dépôt.

Eu fin de compte, il faut lui rendre la justice

Qu'à la science il a rendu ce grand service

De nous donner des pots en terre de crayon

Et de nous révéler les œuvres de Troyon.

Pour prix de ses travaux l'Université sainte

A titre d'officier l'admit dans son enceinte.

Avouez franchement qu'on ne peut faire moins.

Dès lors, un autre hérite et des pots et des soins

Qu'ils méritent. Perrin recueille l'héritage.

Quelques jours ont suffi pour son apprentissage.

Et déjà le voici, - je ne vous apprends rien, -

Tout comme Vaugelas, académicien.

Et notre Académie a cette différence

Avec toutes ses sœurs, surtout celle de France,

Qu'à ses réunions personne ne s'endort.

Et que, lorsqu'on en est, on y travaille fort.

Elle ouvre des concours, donne des récompenses,

Jusques à Montagnole étend ses influences ;

Couronne celui-là, condamne celui-ci,

Et du progrès des arts prend le plus grand souci.

Ses mémoires sont là qui constatent ses œuvres.

Pour en faire partie il n'est pas de manœuvres

Que je n'emploie un jour. Mais je vais jusqu'alors,

Tout comme St-Genis, me consoler dehors.

Or, notre Académie a pris depuis un lustre

Sous sa protection la science lacustre.

Elle finance même... et vous voyez Perrin

Qui, pour y pénétrer, se met dans un topin.

VII

Qu'avec cela ce soit utile,

On pourrait me le contester ;

Pour l'art de façonner l'argile

Quelque chose en peut résulter.

Mais je n'y vois rien qui m'éclaire

Sur la forme de mon berceau.

Alors déjà comme à notre ère

Ce meuble était fait en roseau.

On filait la rite et l'étoupe,

Et l'on savait planter des clous ;

Dans un pot on mangeait sa soupe,

Preuve qu'on cultivait les choux.

Depuis fort longtemps tout le monde

Sait bien que chez les pauvres gens

On ne trouve guère à la ronde

Qu'un vieux topin et rien dedans.

Bronze ou fer, toujours la marmite,

Pour fourchette, toujours les doigts ;

Prouver cela, le beau mérite,

Cela vraiment vaut-il la croix ?

Que nous serions autrement sages

Si, moins topins, - va pour le mot, –

Nous mettions dans tous les ménages

Une poule à côté du pot.

 

Antony DESSAIX (1825-1893)

Histoire des topins ou La lacustromanie

Concours régional agricole de Chambéry

 Exposition des lacustres

Chambéry, A. Pouchet imprimeur, 1870, 16 p.

 

 

 

Rabut et topins

Dès 1856, au bord du lac du Bourget, des centaines de pieux et de nombreux objets refont surface en baie de Grésine, sur la ligne de chemin de fer alors en construction entre Culoz et le Mont-Cenis.

Un communiqué est fait auprès de la Société Savoisienne d’histoire et d’archéologie, qui charge en 1862, Laurent Rabut (1825-1890)*, peintre, professeur de dessin au lycée de Chambéry et correspondant auprès de la Commission de Topographie des Gaules, d’effectuer des fouilles. Menées à partir de barques à l’aide de pinces, ces "fouilles" tiennent en réalité plus de la pêche aux antiquités que de la véritable investigation scientifique. Elles ont toutefois le mérite de remplir les musées de véritables prodiges archéologiques : couteaux de bronze à la lame encore dorée dotés de leur manche en bois, ustensiles et récipients en bois, … et surtout des centaines de pots en terre cuite, parfois encore entiers, les "topins*" évoqués par Antony Dessaix.

L’imaginaire populaire s’enflamme et les savants passionnés qui partent à la découverte de ces vestiges enfouis sous les eaux deviennent de véritables héros chantés par les poètes… célébrés parfois, comme ici Laurent Rabut, non sans humour.

Topin : ce mot emprunté au provençal toupin (1492), proviendrait d’un mot francique toppin signifiant "pot". Il désigne régionalement un pot de terre. Par analogie de forme, c’est aussi le nom d’un fromage à pâte cuite de Haute-Savoie. (Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, Paris, 1992)

Laurent Rabut : en savoir plus

 

Un musée dans un château
11h, 14h ou 15h - 1h30 - A partir de 13 ans
Objet du mois
Un chapeau d'essieu recouvert de tissus

Objet du mois d'avril 2024