Aller au contenu principal

Plaque-boucle reliquaire : Daniel dans la fosse aux lions

Media Name: MOY_MAN17698_R_Franche-Comte1.jpg
© ©RMN-Grand Palais / Gérard Blot
Media Name: MOY_MAN17698_Dessin_R_Plaque_Reliquaire.jpg
© ©MAN / Daniel Perrier
Media Name: MOY_MAN17698_D_Franche-Comte.jpg
© ©MAN / Loïc Hamon
Media Name: MOY_MAN17698_Dessin_R_Plaque_Reliquaire.jpg
© ©MAN / Daniel Perrier
1 / 4

 

Cette plaque-boucle, provenant de l’ancienne collection de Madame Febvre, à Mâcon, représente l’épisode biblique de Daniel dans la fosse aux lions. Arrivée anciennement au MAN, elle intrigue tant par son décor, dont l’interprétation mérite qu’on s’y attarde, que par sa forme et sa fonction, qui nous transportent dans l’univers de la piété personnelle.

UNE PLAQUE-BOUCLE RELIQUAIRE

Des objets livrés par les fouilles des cimetières mérovingiens, les plaques-boucles de ceintures sont parmi les plus fréquents. Ces plaques parfois volumineuses servent à attacher des ceintures de cuir. Nombre d’entre elles n’ont qu’un intérêt purement décoratif, mais certaines arborent des motifs chrétiens très instructifs quant aux mentalités religieuses de cette époque, où traditions païennes, superstitions et christianisme cohabitent parfois encore. Fabriquées dans toute la Gaule mérovingienne, elles ont différentes formes et iconographies, distinguant des styles régionaux. Les plaques-boucles dites « burgondes » en sont l'une série des plus remarquables. Provenant essentiellement d’un territoire qui couvre une partie de la Suisse orientale, des régions de Bourgogne-Franche-Comté et d’Auvergne-Rhône-Alpes, correspondant à l’ancien royaume des Burgondes, elles portent pour la plupart un décor de croix, ou, ajourées, représentent un animal composite, l’hippogriffe (créature hybride, mi-cheval et mi-aigle). Les scènes issues des Saintes Écritures sont plus rares.

Au revers de ces plaques, comme c’est le cas ici, on trouve parfois des compartiments délimités par une cloison, dans lesquels étaient placés, par exemple, des fragments de cire provenant de cierges, ou des capsules de coton, probablement rapportés de pèlerinages par leur possesseur. À l’époque médiévale, on voit en effet se développer chez les particuliers la possession de reliques, généralement des matériaux mis en contact avec la tombe d’un saint ou prélevés à proximité. Pour se protéger, les pèlerins portent volontiers ces « reliques de contact » (tissus, huile, cire ou végétaux) au plus près de leur personne. Les plaques-boucles peuvent alors être transformées en petits reliquaires portatifs, comme c’était certainement le cas ici.

DANIEL DANS LA FOSSE AUX LIONS 

De forme légèrement trapézoïdale, cette plaque permet au décor de s’étaler sur deux registres. Dans l’encadrement se lisent les inscriptions « Daniel, le prophète » et « Habacuc, le prophète ». Dans le registre principal figure en effet Daniel, les bras levés vers le ciel et les pieds léchés par deux lions. Le prophète Habacuc est représenté dans la scène de droite, également en orant (attitude de prière). Sous ses bras, deux paniers de vivres qui, selon le récit, avaient été préparés par Habacuc afin de nourrir Daniel.

Les chapitres VI et XIV du livre de Daniel racontent deux épisodes fameux où sa piété lui vaut d’être jeté dans la fosse aux lions, et d’en ressortir vivant. Dans le chapitre VI, le roi des Mèdes et des Perses, Darius, met à la tête de son empire trois « satrapes » (gouverneurs des provinces de l’Empire perse) ; Daniel est l’un d’eux. Sa loyauté et son intelligence lui valent d’être promu par le roi au-dessus des deux autres. Sachant Daniel très pieux, ces derniers demandent au roi de promulguer un édit défendant d’adresser des prières à d’autres dieux, si ce n’est au roi. Accusé de transgresser l’autorité royale, le prophète est donc jeté dans la fosse aux lions. Le lendemain, jugé pur devant son dieu et devant son roi, il est épargné par les animaux. Dans le chapitre XIV, c’est après avoir empoisonné le dragon sacré des Babyloniens pour montrer que ce dernier n’est pas un dieu qu’il est livré aux lions. Une fois de plus, il est sauvé des animaux affamés, qui referment leurs mâchoires. Une semaine durant, les lions s’inclinent devant lui et il est ravitaillé grâce au prophète Habacuc.

UNE FERVEUR ET UNE ACTION REDOUBLÉE

Les plaques-boucles à décor chrétien sont des témoignages importants des mentalités religieuses durant l’époque mérovingienne. Très fréquente à l’époque paléochrétienne, la figure du prophète Daniel évoque le salut de l’âme. Seulement, le Daniel des premières peintures chrétiennes et des sarcophages est le plus souvent représenté jeune et tout à fait nu, ou presque, au milieu des lions. Le Daniel des Francs est quant à lui barbu et vêtu d’une tunique, tandis que les lions sont des monstres quasi fantastiques qui ressemblent davantage à des crocodiles, avec leurs mâchoires allongées et leurs pattes courtes et larges.

L’ardillon (partie mobile servant à fixer la ceinture) comporte un entrelacs quadrilobé, motif décoratif évoquant un nœud de Salomon. Les deux prophètes portent une croix sur leur poitrine, tandis que les lions sont marqués d’une même croix, sur leurs épaules, probable signe de leur complète soumission. On retrouve également des croix sur le terrain que foulent les lions et dans les inscriptions de la bordure de la plaque. La symbolique chrétienne est donc renforcée par l’omniprésence de cette image jusque dans les moindres détails de l’objet.

Cette plaque-boucle témoigne ainsi de la ferveur de son possesseur, à la fois par son usage comme reliquaire et par son iconographie. Dans ce cas particulier, il paraît évident que le propriétaire devait partager cette foi, ce qui n’est pas nécessairement le cas de tous les objets portant des motifs chrétiens. En effet, très prisées dans les décors, les images chrétiennes présentes sur des objets quotidiens ne répondaient pas toujours à des croyances religieuses, mais aussi à un effet de mode.

BIBLIOGRAPHIE

GAILLARD de SÉMAINVILLE, Henri. et VALLET, Françoise. Fibules et plaques-boucles de la collection Febvre conservées au Musée des Antiquités nationales. In : Antiquités Nationales, 1979, n°11, p. 57-77.

GAILLARD de SÉMAINVILLE, Henri. Les plaques-boucles mérovingiennes ornées d’une croix encadrée par deux griffons : à propos d’une découverte date à Fleurey-sur-Ouche (Côte-d’Or) . In : Revue archéologique de l’Est, 2010, n°59-2, p. 585-602.

de SURIGNY, Alfred. Agrafes chrétiennes mérovingiennes. In : Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Chalon-sur-Saône, 1856, p. 335-344, pl. 18, fig. 3.