Hache danoise
Découverte au fond de la Seine près des Andelys (Eure) à la fin du XIXe siècle, cette hache est un témoin des expéditions vikings et de l’intégration progressive de ces populations scandinaves, avec plus ou moins de succès, dans les sociétés d’Europe occidentale.
PLUS DE MILLE ANS DANS LES EAUX DE LA SEINE
Acquise par le musée en 1901, cette hache fait partie d’un ensemble de 75 objets métalliques, pour la plupart médiévaux et modernes, provenant de dragages de la Seine aux environs de Vernon (Eure). Il s’agit du don de Mme Caméré, veuve d’un des ingénieurs en charge de travaux d’aménagement sur la Seine dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les conditions de découvertes sont floues, mais l’objet a peut-être été trouvé en 1882, près de la petite commune normande des Andelys, dans le département de l’Eure. À l’exception des quelques arrachements, la bonne conservation de l’arme s’explique par son séjour prolongé de plus de mille ans dans les eaux de la Seine.
Cette hache fait partie des objets postérieurs à l’époque mérovingienne, peu nombreux, qui sont conservés au musée d’Archéologie nationale. En effet, une grande majorité des collections du musée sont issues de fouilles en contexte funéraire, inévitablement privilégiées par les chercheurs du XIXe et du début du XXe siècles pour la quantité et la qualité du mobilier exhumé. Or, dès le début du VIIIe siècle, les traditions funéraires évoluent, et l’on renonce à déposer des objets auprès des défunts, probablement dans une recherche d’humilité face à Dieu. De fait, les collections sont donc beaucoup moins riches en mobilier archéologique pour la fin du premier Moyen Âge. Bien qu’ils nous privent de contexte archéologique, les dragages de fleuves offrent donc au moins un aperçu du mobilier en usage à l’époque carolingienne.
UNE ARME VIKING
Si la plupart des haches ont une fonction d’outil, on ne peut douter que celle-ci est une arme de guerre. L’archéologue norvégien Jan Petersen (De Norske Vikingesverd, 1919) définit cette catégorie d’objets comme des "haches danoises", et celle du musée d’Archéologie nationale appartient plus précisément au type G, en usage d’après lui entre le milieu du IXe et la fin du Xe siècle et qu’il décrit comme des « haches à tranchants et lobes d’emmanchement symétriques ».
La lame de la hache des Andelys a l’aspect d’un triangle isocèle qui se resserre vers la douille dans laquelle s’encastre le manche. Sa forme hexagonale est due aux deux lobes qui se développent perpendiculairement au manche afin d’améliorer sa fixation. La symétrie des tranchants des haches du type G permet de les distinguer du type L, qui apparaît peu de temps après. Les « haches danoises » de type L présentent un angle de fer nettement plus aigu dans leur partie haute. Apparues vers 900, elles concurrencent dans un premier temps les haches du type G, avant de les supplanter un siècle plus tard.
Le manche en bois n’est pas conservé, mais les descriptions faites dans les textes carolingiens laissent croire qu’il aurait pu mesurer plus d’un mètre et demi. La hache des Andelys se tient donc à deux mains et sa relative légèreté permet de frapper avec autant de force que de rapidité. Les lames du type L, plus aiguës, confèrent quant à elles une plus grande puissance à l’impact. À titre de comparaison, les mercenaires danois du roi Harold représentés sur la Tapisserie de Bayeux sont équipés de haches les plus récentes, celles du type L.
DES DANOIS EN FRANCE ?
Découverte en 1886, la « hache danoise » la plus célèbre du monde scandinave provient de la tombe de Mammen, près de Viborg (Danemark). Il s’agit d’une sépulture particulièrement riche, appartenant à un personnage de haut rang, qui y était enterré avec de la vaisselle précieuse et deux haches. La plus belle des deux sert de référence pour le « style de Mammen », l’une des phases de l’art des vikings, caractérisé notamment par des décors végétaux et des motifs animaliers particulièrement développés. Rattachée au type G de Jan Pertersen, elle porte un décor d’incrustations d’argent figurant un oiseau dans un entrelacs de végétaux.
La forme triangulaire de son fer est caractéristique de la production scandinave d’époque viking et se distingue des haches carolingiennes, dont le fer est en T. De nombreuses haches sont découvertes sur des sites norvégiens, russes ou irlandais, et des mercenaires suédois, appelés les « porteurs de haches », sont au service des empereurs romains d’Orient. Si elle n’est pas aussi luxueuse que celle de Mammen, la hache des Andelys est une arme du même type, et probablement contemporaine. Vraisemblablement forgée en Scandinavie, elle est introduite dans le monde carolingien à l’occasion des incursions vikings, entre la fin du VIIIe et le milieu du XIe siècle. Leur vitesse et leur mobilité leur permettent de pénétrer profondément dans les terres en naviguant le long des fleuves, notamment la Seine et la Loire.
En échange de la reconnaissance de son autorité, le roi carolingien Charles III le Simple décide en 911, en concluant le traité de Saint-Clair-sur-Epte, de confier l’administration et la défense de la basse vallée de la Seine, l’actuelle Normandie, à un chef viking nommé Rollon. Datée entre le milieu du IXe et la fin du XIe siècle, la hache des Andelys appartient donc peut-être à l’un de ces « hommes du Nord » venus s’installer définitivement en territoire franc, et dont la Normandie tire encore son nom.
BIBLIOGRAPHIE
PERRIER, Daniel. Une hache danoise. In : Archéologia, juin 2016, n°544, p. 22-23.
PETERSEN, Jan. De Norske Vikingesverd : En Typologisk-Kronologisk Studie Over Vikingetidens Vaaben, Kristiania : I komission hos Jacob Dybwad, 1919.