Céramique

Le dépôt céramique de la grotte funéraire de Rancogne

La récente découverte d’une cavité sépulcrale occupée durant tout l’âge du Bronze au lieu-dit la Licorne sur la commune de La Rochefoucauld-en-Angoumois en Charente éclaire sous un nouveau jour le site de Rancogne, d’où provient ce grand plat peint. Situés dans une zone karstique particulièrement riche en gisements de l’âge du Bronze, ces deux grottes ont livré des séries céramiques considérables et de très grande qualité, dans un état souvent époustouflant, associés à des restes humains. Lieux manifestement très fréquentés mais non habités, elles semblent rendre compte de pratiques symboliques, rituelles et funéraires d’une grande richesse et d’une extrême complexité qu’ils nous appartient encore d’analyser.


UN VASTE RÉSEAU KARSTIQUE

La grotte de Rancogne est située sur la commune du même nom, à 20 kms au nord-est d’Angoulême. Elle fait partie d’un vaste réseau karstique (zone de plateaux calcaires) qui a connu des occupations répétées durant les âges des Métaux. L’occupation des cavernes n’est en effet pas le seul fait des femmes et des hommes de la Préhistoire. Comme beaucoup d’autres cavités en France, la grotte de Rancogne a été utilisée ponctuellement par les populations de l’âge du Bronze et de l’âge du Fer mais elle a aussi été occupée, de manière épisodique, jusqu’au Moyen Âge et aux Temps modernes. A partir de 1961 elle a fait l’objet de nombres investigations archéologiques menée par Claude Burnez et Michel Gruet. Les archéologues y ont notamment mis au jour un matériel céramique considérable constitué de plus de 50 000 tessons, souvent issus de vases de prestige délicatement décorés.

On distingue ainsi des céramiques au décor excisé-estampé datées du Bronze moyen (XVIe-XIVe siècle av. J.-C.), auxquelles succèdent, au Bronze Final, des céramiques cannelées, puis une grande série d’assiettes à guirlandes décorées au peigne, des plats à registres concentriques, des vases en bulbe d’oignon, des coupes polychromes rouges et noires... Parallèlement à ces céramiques fines, une centaine de grandes jarres de stockage a été découverte. Cet ensemble exceptionnel permet de mieux cerner la réalité de l’âge du Bronze en Centre-Ouest, jusque-là surtout connue par des dépôts métalliques;
 

L'INTERPRÉTATION DE LA GROTTE RESTÉE LONGTEMPS UNE ÉNIGME

L’interprétation de la grotte, dont les vestiges ont été très perturbés par les occupations épisodiques ultérieures, est restée longtemps énigmatique : s’agissait-il d’une grotte-temple où les populations de l’âge du Bronze sacrifiaient leurs plus belles céramiques à quelque culte chthonien ? S’agissait-il d’une grotte-tombeau, comme le fait soupçonner la présence de quelques ossements humains ? S’agissait-il encore d’un habitat-refuge ou de l’annexe d’un habitat voisin ? La récente découverte du site exceptionnellement conservé de La Licorne, semble aujourd’hui donner raison à l’hypothèse cultuelle.
 

CÉRAMIQUES PEINTES DE LA FIN DE L'ÂGE DU BRONZE

Très présente à Rancogne, la peinture rouge à l’hématite, apparaît aux alentours de 1000 ans avant notre ère pour décorer ou rehausser le décor des vases. Les motifs peints sont simples : grands aplats de couleurs, ponctuations ou lignes, ils sont généralement utilisés en association avec le décor plastique, cannelures, incisions ou estampage. A Rancogne, seuls deux plats portaient un décor bichrome rouge et noir. Ils appartiennent tous les deux à la phase finale de l’âge du Bronze, vers le 9e siècle avant notre ère. Le plat présenté ici porte un décor original de larges ronds rouges sur fond noir.
 

LE VASE AUX PICTOGRAMMES

Cette urne de couleur beige clair, aux parois bien lissées est sans doute le vase le plus célèbre de Rancogne. Sur le haut de sa panse se déroule une frise décorative particulièrement originale, composée de 16 panneaux quadrangulaires. La plupart présentent des signes géométriques : croix de Saint André, damiers, rangées d’ocelles, triangles hachurés… Un seul se distingue par son motif figuratif : trois silhouettes anthropomorphes schématiques. La tête prend la forme d’une ocelle estampée, le corps est constitué d’un simple double trait incisé. Bras et jambes écartés, ces trois petits bonshommes semblent se tenir la main. Ce vase a suscité d’abondants commentaires. Ses représentations gravées n’ont-elles qu’une valeur ornementale, ou peut-on parler à leur propos de pictogrammes, c’est-à-dire de dessins stylisés fonctionnant comme un code, une pré-écriture ? L’agencement entre les panneaux semble en effet obéir à des règles plus complexes qu’un simple jeu décoratif. On connaît d’autres exemples de vases à pictogrammes en France, comme à Sublaines (Indre-et-Loire), à Moras-en-Valloire (Drôme) et à Corent (Puy-de-Dôme), sur la façade languedocienne et le long de la vallée du Rhône, c’est-à-dire dans des zones largement ouvertes aux influences méditerranéennes. Or, vers 1200 avant J.-C. l’alphabet phénicien se constitue, les systèmes d’écriture grecque et étrusque se mettent en place à partir de la fin du 9e siècle ou au 8e siècle… Autant de phénomènes qui semblent apparaître de manière concomitantes et qui ont pu marquer les esprits des populations qui vivaient sur notre territoire à la même époque.