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Les collections

Le premier Moyen Âge
autel

Table d'autel paléochrétienne

Cette table d’autel à l’histoire mouvementée est une pièce rare et l’un des fleurons de la collection du musée d’Archéologie nationale. Le décor de ses deux grands côtés met en scène des processions d’animaux, réalisées en méplat (faible relief). Un certain désintérêt pour le naturalisme dans le décor sculpté permet de dater cet autel du Ve ou du VIe siècle.

QUATRE FRAGMENTS DISPERSÉS

Les quatre fragments qui composent cette table d’autel entrent dans les collections du musée d’Archéologie nationale entre 1872 et 1966. Le premier fragment est un don du vicomte Ludovic Napoléon Lepic, qui offre au musée sa collection d'objets archéologiques provenant de Soyons (Ardèche) en 1872. Malgré son décor, le bloc est alors simplement qualifié de « fragment de marbre blanc » et sa provenance exacte est inconnue.

En 1873, Gabriel de Mortillet, attaché à la conservation au musée depuis 1868, rapporte d’Ardèche deux autres fragments : un bloc acheté au mois de mai à un paysan de Saint-Marcel-de-Crussol, et un autre acquis à la gare de Valence, auprès d’une mystérieuse vendeuse apparentée à un barbier. L’ayant utilisé comme évier, ce dernier confirme que le fragment provient de Saint-Marcel-de-Crussol. Gabriel de Mortillet les identifie comme étant des « fragments d’un autel chrétien du Ve siècle » et charge Abel Maître (1830-1899), qui dirige alors l'atelier de restauration et de moulage du musée, de reconstituer la table en comblant les lacunes avec du plâtre et en complétant une partie du décor. Ce dernier s’exécute, en s’inspirant notamment d’une mosaïque de Ravenne (Italie).

Figurant deux colombes, le troisième et dernier fragment est offert au musée par J. Biosse-Duplan en 1966, presque cent ans après l’acquisition du premier bloc. L’incorporation de ce nouvel élément entraîne alors une dé-restauration et l’ajout d’une dalle en comblanchien (pierre calcaire), destinée à rigidifier l’ensemble. L’œuvre est donc, encore aujourd’hui, composée à plus de 50% de plâtre, et son support original, probablement constitué de quatre ou six colonnettes, manque toujours.

UN MEUBLE LITURGIQUE PALÉOCHRÉTIEN AU DÉCOR CRYPTIQUE

Entre l’autorisation du culte chrétien par l’empereur Constantin en 313 et les réformes carolingiennes de la fin du VIIIe siècle, beaucoup de meubles liturgiques sont sculptés, mais très peu sont conservés. Situé dans le chœur de l’église et présentant généralement une croix de consécration, l’autel est un aménagement indispensable à la messe. Si elle rompt avec l’autel gréco-romain, la forme de la table conservée au musée d’Archéologie nationale annonce celle des églises actuelles. Elle hérite de la table où prenaient place les repas funéraires de l’époque préchrétienne, mais évoque surtout la Cène, dernier repas du Christ durant lequel eut lieu la première eucharistie (partage du corps et du sang du Christ sous la forme de pain et de vin).

La surface du plateau de la table de l’autel de Saint-Marcel-de-Crussol est légèrement creusée et les bordures sont ornées de moulures. Douze colombes formant une procession d’animaux occupent un grand côté, quand l’autre est décoré de douze brebis, pareillement organisées. Ces animaux sont répartis en groupe de six, de part et d’autre d’un alpha et d’un oméga flanquant une croix monogrammatique (obtenue par la fusion d’une croix et d’un chrisme, le monogramme du Christ). La croix et les deux lettres grecques sont des symboles chrétiens bien connus. L’alpha est le commencement quand l’oméga est la fin de l’alphabet, et cette association de lettres évoque l’univers entier, la Création, Dieu lui-même, d’après l’Apocalypse selon saint Jean. Les brebis évoquent les douze Apôtres, tandis que les colombes ont une signification plus complexe, symbolisant peut-être les âmes des fidèles ou des saints personnages dont les reliques sont disposées sous l’autel. Quand aux deux bâtiments d’où sortent les brebis, ils représentent probablement les villes saintes de Jérusalem et de Bethléem.

Ce décor, destiné à être vu des fidèles et pourtant hautement symbolique, requiert afin d’être compris un certain degré de connaissances théologiques. Sculpté en faible relief, sans recherche particulière de naturalisme, il rappelle les productions artistiques des Ve-VIe siècles. Pourtant, le christianisme n’est plus une religion clandestine à cette époque, et même s’il n’est remplacé que progressivement, le choix du répertoire dit « cryptique » peut surprendre. Ce type de décor se maintient néanmoins jusqu’au VIIIe siècle, bien qu’il intègre de nouveaux éléments comme les entrelacs, importés en Gaule par des missionnaires irlandais à la fin du VIe siècle.

UNE FRAGMENTATION VOLONTAIRE ?

Les Burgondes, qui dominent ce territoire à la chute de Rome, sont de fervents chrétiens, tout comme les Francs qui s’emparent de leur royaume en 530. Contrairement à leurs successeurs carolingiens, les Mérovingiens ne cherchent pas à imposer de réformes liturgiques et s’épargnent les querelles religieuses qui déchirent par la suite l’Empire romain d’Orient, aux VIIIe et IXe siècles.

En revanche, il est possible que la table d’autel de Saint-Marcel-de-Crussol ait été intentionnellement brisée, et ses fragments dispersés, pendant les Guerres de Religion du XVIe siècle, particulièrement violentes dans cette région. Malheureusement, on ne peut pas savoir de quelle église exactement elle provient. L’hypothèse la plus vraisemblable est qu’elle appartenait à une église de Valence, la plus grande agglomération de la province, plutôt qu’à celle du petit village de Saint-Marcel-de-Crussol.

BIBLIOGRAPHIE

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NARASAWA, Yumi. Les autels chrétiens du sud de la Gaule (Ve-XIIe siècles), Turnhout : Brepols, 2015, p. 380-381.

METZGER, Catherine. Installations liturgiques en Gaule. In : Hortus artium medievalum, 1999, n°5, p. 41-44.

SIRAT, Jacques. VIEILLARD-TROIEKOUROFF, May. et CHATEL, Élisabeth. Recueil général des monuments sculptés en France pendant le haut Moyen Âge (IVe-Xe siècles). Tome III, Paris : CTHS, 1984, p. 98-100, pl. 264.

 

 

 

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