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L'Âge du Bronze

L’âge du Bronze, qui s'étend de 2100 à 750 avant J.-C., marque une évolution plus qu’une rupture avec le Néolithique. On assiste à une diversification voire à une hiérarchisation sociale accrue, en grande partie dues à l’apparition puis au développement de la métallurgie du bronze.

Les objets

Vaisselle
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© RMN_GP. Loïc Hamon
Dépôt d'ors de Villeneuve-Saint-Vistre-et-Villevotte

Villeneuve-Saint-Vistre-et-Villevotte, (Marne) 1400/1300 avant J.-C.

ACQUISITION

Achat 1961

 

 

Si les premiers objets en or apparaissent en France dès le 4e millénaire, ils sont rares et se limitent à quelques appliques ou perles. Il faut en effet attendre l’âge du Bronze pour voir émerger en France et en Europe un véritable âge de l’or. Dès le Néolithique, les orpailleurs ont lavé les alluvions des rivières pour recueillir les paillettes et pépites du précieux métal, mais c’est à l’âge du Bronze que les objets en or deviennent abondants et souvent imposants. La plupart proviennent de dépôts considérés comme votifs. C’est le cas de l’ensemble découvert à Villeneuve-Saint-Vistre (Marne) en 1910, au lieu-dit « Champ des Grès ».

UNE ASSOCIATION DE BIJOUX ET DE VAISSELLE

Sous un énorme bloc de 2 m3, ont été mis au jour deux petits gobelets en or, deux bracelets ouverts en forme de rubans, seize fils doubles ainsi que trois bagues, dont une a aujourd’hui disparu. L’ensemble était probablement contenu dans un récipient en céramique, dont on a retrouvé quelques tessons. L’association de bijoux et de vaisselle d’apparat est une combinaison fréquente en Europe, où de nombreux dépôts d’objets métalliques comprennent des récipients comparables aux petites « bouteilles » de Saint-Vistre, comme au Danemark, les gobelets de Kohave ou Vimose Overdrev (National Museet de Copenhague), en Cornouailles celui de Rillaton (British Museum) ou bien en Espagne les bouteilles en or et en argent du trésor de Villena à Alicante (Musée archéologique national de Madrid). Les petits gobelets de Villeneuve-Saint-Vistre se distinguent cependant par leur décor très couvrant, composé de cercles concentriques et de lignes de filet. Ils sont notamment très proches d’un autre exemple français, la coupe de Rongères dans l’Allier, elle-même comparable aux productions nordiques de l’âge du Bronze final comme la tasse de Mjövik en Suède (Historiska Museum de Stockholm).

DES MOTIFS ET DES DÉCORATIONS VARIÉS

Les deux bouteilles de Villeneuve-Saint-Vistre sont de forme, de dimensions et de poids sensiblement identiques. Elles mesurent 12 cm de haut et pèsent chacune 49 g. Elles ont été fabriquées par martelage à partir d’une tôle d’or, et décorées avec les techniques du repoussé et de l’estampage. Les motifs et l’organisation des décors sur la panse sont quasiment identiques mais ils sont situés à des niveaux légèrement différents. On distingue une rangée médiane de larges cercles concentriques bordée de filets et de lignes cordées, encadrée par deux rangées d’ocelles plus petites. Le col d’un des gobelets présente un décor un peu plus complexe : il est orné d’une ligne de grands triangles, emplies de petites bossettes ordonnées sur trois rangées. Ce décor peut être mis en parallèle avec certains motifs du cône d’Avanton (Vienne) (photo page d’accueil), conservé au Musée des Antiquités nationales et attribuable à la fin de l’âge du Bronze moyen et au début du Bronze final (1400-1300 av. J.C.). Il faut noter que le fond de ces bouteilles était décoré de bossettes disposées en rangées autour d’un grand motif de cercles concentriques. De forme ronde, il ne permet pas à celles-ci de tenir debout. Les bouteilles devaient donc être obligatoirement portées et le décor être bien visible lorsque leur propriétaire buvait. Cette pratique renvoie au registre du cérémoniel et probablement à un rite solaire. Les différents motifs décoratifs des récipients en or de l'âge du bronze, notamment les diverses variations de motifs de cercles concentriques, sont interprétés comme des représentations solaires. La décoration des objets sacrés en or ou en bronze puise ainsi dans un répertoire commun dans lequel rien n'est laissé au hasard, et qui est partagé par toute l'Europe de l'âge du bronze.

Armes
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© MAN. Valorie Gô
Cuirasses anatomique de Marmesse

Châteauvillain, au lieu-dit Marmesse (Haute-Marne), Le Petit Marais

11e-10e siècles avant J.-C.

 

Ces cuirasses en tôle de bronze découvertes à Marmesse près de Châteauvillain en Haute-Marne, constituent un ensemble unique en Europe. C’est en 1974 que furent mises au jour les trois premières cuirasses, de façon fortuite, lors de travaux de terrassement conduits dans une sablière, au lieu-dit « le Petit Marais ». Elles étaient emboîtées les unes dans les autres, comme rangées là pour l’éternité. Des fragments furent récupérés par la suite et plusieurs sondages archéologiques, réalisés de 1980 à 1987, permirent de compléter l’ensemble. Aujourd’hui on estime que le dépôt était initialement composé de sept à neuf cuirasses, toutes presque identiques.  

DES CUIRASSES SOLIDEMENT FAÇONNÉES

Elles sont composées de deux coques en tôle de bronze assemblées par des rivets et ont été travaillées par déformation plastique, en frappant le bronze avec un marteau afin de l’étirer et de l’amincir. Certaines portent des patchs de réparation, conséquences de leur utilisation ou, plus probablement en raison de la rupture du métal pendant leur fabrication. Pour éviter les fissures en cours de façonnage, la feuille de bronze était périodiquement chauffée et subissait un « recuit » permettant d’homogénéiser et de consolider la structure du métal. L’une des coques correspondait au plastron, l’autre à la dossière. Ces deux éléments étaient solidement rivetés sur le côté de l’épaule gauche. Les cuirasses s’enfilaient par le côté droit, sans doute avec l’aide d’un « assistant », en écartant les deux coques, grâce à la malléabilité du métal. On pouvait alors assujettir et fermer la cuirasse en fixant les crochets situés du côté de l'épaule droite.

UN DÉCOR CONSTITUÉ DE BOSSETTES

Toutes les cuirasses de Marmesse sont rehaussées d’un même décor stéréotypé constitué d’une ligne principale de grosses bossettes d’un centimètre de diamètre, encadrée de part et d’autre d’une ligne de bossettes beaucoup plus petites. Ces décors sont obtenus à l’aide d’une matrice, c’est-à-dire d’une pièce évidée reprenant en creux la forme du décor souhaité. La matrice hémisphérique est placée à l’extérieur de la cuirasse puis la tôle y est emboutie à l’aide d’un poinçon et d’un marteau. La tôle prend ainsi la forme de l’empreinte, permettant l’obtention d’un décor standardisé composé de bossettes régulières. Ces triples lignes de bossettes soulignent les contours de la cuirasse : l’encolure, les manches, les côtés et la ceinture. Elles magnifiaient ainsi l’anatomie du guerrier, particulièrement les zones sensibles, la poitrine et le sternum (à l’avant), la colonne vertébrale et la cage thoracique (à l’arrière), qui sont indiqués de manière stylisée, selon un procédé que l’on retrouve par la suite sur les cuirasses grecques dites « musclées », à une époque plus tardive.

Ce décor de bossettes réalisées au repoussé est caractéristique de la fin de l’âge du Bronze et se retrouve sur de très nombreux objets de prestige comme les casques, les cnémides, les ceintures et les éléments de vaisselles métalliques produits en Europe centrale et orientale, ainsi que dans une large zone Nord-Alpine entre le 12e et le 8e siècles avant notre ère. Notons que ce type de décor se retrouve par la suite à l’identique sur les casques villanoviens (étrusques) ou encore sur les vaisselles italiques.

dépôt
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© RMN_GP. Jean-Gilles Berizzi
Le dépôt de Vaudrevange

Vaudrevange / Wallerfangen (Sarre, Allemagne)

IXe av. J.-C.

Le Warndt  est une région particulièrement riche en minerai de cuivre (l’un des deux composants du bronze avec l’étain) d’où sans doute le nombre important de dépôts d’objets métalliques en bronze mis au jour en Sarre, en Alsace et en Lorraine depuis la fin du XIXe siècle.

 

UN CONTEXTE DE DÉPOSITION BIEN PARTICULIER

La découverte a lieu en 1851, lors de travaux agricoles pratiqués sur une butte entourée de marécages située près de la commune de Vaudrevange, aujourd’hui Wallerfangen, en Allemagne. L’ensemble est acquis en 1852 par Victor Simon, membre de l’Académie nationale de Metz, fondateur de la Société d’Histoire et d’Archéologie de la Moselle. Après sa mort en 1865, sa collection est dispersée aux enchères et le dépôt de Vaudrevange est acquis par le MAN en 1868. C’est le premier et le plus remarquable des quatre ensembles découverts sur le site, tous datés de l’âge du Bronze final. Proches les uns des autres, ils sont sans doute déposés dans un unique rituel, probablement lié à la présence du marais, d’où la patine bleu turquoise des 65 éléments, due à un séjour prolongé dans l’eau.  

UNE PANOPLIE PERSONNELLE

Les objets étaient empilés au fond d’une fosse, dans un ordre précis : d’abord avaient été déposés les éléments de parure dont 14 lourds bracelets, quelques gros boutons et des pendentifs, puis les quatre haches avec leur moule bivalve. Ensuite venaient les divers éléments de char et de harnachement : une paire de mors, deux phalères (disques de bronze), douze boucles filiformes, quatre tubuccins, deux appliques, deux spirales, huit boutons à bélière, deux groupes de quatre anneaux et une plaque ajourée. Au-dessus de cet ensemble était disposé un grand disque en bronze, le tintinnabulum. Enfin, surmontant le tout, était posée une très belle épée de type Möringen, brisée en deux lors de la découverte. Les épées découvertes en milieu humide sont en effet généralement retrouvées entières, au contraire des épées retrouvées dans les dépôts terrestres, souvent fragmentées. Ce rituel de déposition particulièrement élaboré permet de distinguer une logique et la composition d’une véritable “panoplie” (Verger, 1992) se rapportant à une même personne. Ici, une panoplie masculine identifiée notamment par l’épée, dont la position, en haut du dépôt, pourrait être symbolique et suggérer le pouvoir alors qu’exerçait l’aristocratie militaire sur la société et son contrôle sur la circulation du métal, devenu crucial dans tous les domaines d’activité (artisanat, transport, guerre…). Le moule de hache marque-t-il la “présence” d’un artisan, ou a-t-on simplement considéré que cet objet à la fois arme et outil ne pouvait être déposé sans sa matrice? Quoi qu’il en soit, nous avons sans doute affaire à un personnage assez puissant pour disposer d’un cheval avec son harnachement complet.  

LE CHEVAL À L'ÂGE DU BRONZE

Domestiqué dès 3500 avant notre ère dans les plaines d’Asie centrale, le cheval n’est réellement utilisé en Europe occidentale qu’à partir du Bronze final (dès 1300 av. J.-C.). Il est alors employé comme animal de trait, pour tirer des chariots ou des chars processionnels. En témoignent les petits éléments arqués qui pourraient correspondre à des montants de mors. Placés à l’encoignure de la bouche du cheval, ils étaient assemblés aux mors par l’intermédiaire de leur fente médiane. À leurs extrémités, se trouvent des anneaux par lesquels passaient les brides permettant de conduire et diriger le cheval. Fentes et passants sont consolidés, de part et d’autre, par des bourrelets métalliques. À l’âge du Bronze, le cheval, symbole de l’aristocratie guerrière, semble devenir l’acteur privilégié de certaines cérémonies en tant que symbole de l’aristocratie guerrière, d’où la présence de ces éléments dans le dépôt de Vaudrevange. Sur toutes les représentations connues datant de l’âge du Bronze, le cheval n’est jamais monté : de récentes études ADN (Orlando, 2021) semblent attester que les chevaux de cette époque ne disposaient peut-être pas d’un dos assez puissant pour supporter le poids d’un humain. L’ère des cavaliers ne s’amorcera véritablement qu’à l’âge du Fer.  

LE TINTINNABULUM

Cet objet original, que l’on pourrait classer dans la catégorie des instruments de musique, se trouvait sur le dessus du dépôt de Vaudrevange 1. Composé d’un grand disque, il est muni d’une barre de suspension à laquelle sont accrochés, de part et d’autre, deux petits disques similaires, mobiles, qui viennent s’entrechoquer à chaque mouvement du tintinnabulum. L’analyse de l’usure des pièces, toutes coulées grâce à la technique de la cire perdue, a confirmé ce mouvement de balancier. Peut-être également objets sonores suspendus, les “tubuccins”, petits cylindres de bronze cannelés, tintaient de la même manière. On les retrouve souvent déposés par groupes de quatre. Le support de ces deux types d’objets reste pourtant hypothétique : si on les imagine assez bien décorant la caisse d’un char, il n’en subsiste aucune preuve directe. Comment imaginer la disposition du tintinnabulum, qui tournait sans doute sur lui-même, dans cet ensemble d’apparat ? En plus de l’autre tintinnabulum découvert à Vaudrevange en 1872, une vingtaine d’objets de ce type est connue, provenant de France, d’Allemagne et de Suisse, mais très rarement complets ou en si bon état. Ces objets, par leur conception très soignée et leur forme circulaire, étaient probablement des instruments utilisés pour un culte, évoquant le soleil  par leur forme et leur couleur dorée.

 

OBJETS ASSOCIES

Cuirasse de Marmesse

 

BIBLIOGRAPHIE

ORLANDO Ludovic et.al. The origins and spread of domestic horses from the western Eurasian steppes. Nature, 2021, vol. 598, p. 634–640.

SIMON, Victor. Mémoire sur des antiquités trouvées près de Vaudrevange. Mémoires de l’académie nationale de Metz, 1852, vol. 33, p. 231-259.

VEBER, Cécile. MILLE, Benoît. et PERNOT, Michel. Le dépôt de Vaudrevange : études techniques et éléments d’interprétation. Antiquités Nationales, 2005, n°37, p. 69-101.

VEBER, Cécile. Métallurgie des dépôts de bronzes à la fin de l’âge du Bronze final (IXe-VIIIe av. J.-C.) dans le domaine Sarre-Lorraine : essai de caractérisation d’une production bronzière au travers des études techniques : formage et analyses élémentaires. Oxford : Archaeopress, 2009, 340 p. (BAR international series 2024).

VERGER Stéphane. L’épée du guerrier et le stock de métal : de la fin du Bronze ancien à l’âge du Fer. In : Gilbert Kaenel et Philippe Curdy (éd.). L’âge du Fer dans le Jura. Actes du XVe colloque international de l’Association française pour l’étude de l’âge du Fer (Pontarlier et Yverdon-les-Bains, 9-12 mai 1991). Bibliothèque historique vaudoise, 1992, (Cahiers d’archéologie romande) p. 135‑151.

 

Céramique
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© RMN-GP. Jean-Gilles Berizzi
Le dépôt céramique de la grotte funéraire de Rancogne

Grotte de Rancogne (Charente)

Âge du Bronze final - 10e - 9e siècle av. J.-C.

La récente découverte d’une cavité sépulcrale occupée durant tout l’âge du Bronze au lieu-dit la Licorne sur la commune de La Rochefoucauld-en-Angoumois en Charente éclaire sous un nouveau jour le site de Rancogne, d’où provient ce grand plat peint. Situés dans une zone karstique particulièrement riche en gisements de l’âge du Bronze, ces deux grottes ont livré des séries céramiques considérables et de très grande qualité, dans un état souvent époustouflant, associés à des restes humains. Lieux manifestement très fréquentés mais non habités, elles semblent rendre compte de pratiques symboliques, rituelles et funéraires d’une grande richesse et d’une extrême complexité qu’ils nous appartient encore d’analyser.

UN VASTE RÉSEAU KARSTIQUE

La grotte de Rancogne est située sur la commune du même nom, à 20 kms au nord-est d’Angoulême. Elle fait partie d’un vaste réseau karstique (zone de plateaux calcaires) qui a connu des occupations répétées durant les âges des Métaux. L’occupation des cavernes n’est en effet pas le seul fait des femmes et des hommes de la Préhistoire. Comme beaucoup d’autres cavités en France, la grotte de Rancogne a été utilisée ponctuellement par les populations de l’âge du Bronze et de l’âge du Fer mais elle a aussi été occupée, de manière épisodique, jusqu’au Moyen Âge et aux Temps modernes. A partir de 1961 elle a fait l’objet de nombres investigations archéologiques menée par Claude Burnez et Michel Gruet. Les archéologues y ont notamment mis au jour un matériel céramique considérable constitué de plus de 50 000 tessons, souvent issus de vases de prestige délicatement décorés.

On distingue ainsi des céramiques au décor excisé-estampé datées du Bronze moyen (XVIe-XIVe siècle av. J.-C.), auxquelles succèdent, au Bronze Final, des céramiques cannelées, puis une grande série d’assiettes à guirlandes décorées au peigne, des plats à registres concentriques, des vases en bulbe d’oignon, des coupes polychromes rouges et noires... Parallèlement à ces céramiques fines, une centaine de grandes jarres de stockage a été découverte. Cet ensemble exceptionnel permet de mieux cerner la réalité de l’âge du Bronze en Centre-Ouest, jusque-là surtout connue par des dépôts métalliques;  

L'INTERPRÉTATION DE LA GROTTE RESTÉE LONGTEMPS UNE ÉNIGME

L’interprétation de la grotte, dont les vestiges ont été très perturbés par les occupations épisodiques ultérieures, est restée longtemps énigmatique : s’agissait-il d’une grotte-temple où les populations de l’âge du Bronze sacrifiaient leurs plus belles céramiques à quelque culte chthonien ? S’agissait-il d’une grotte-tombeau, comme le fait soupçonner la présence de quelques ossements humains ? S’agissait-il encore d’un habitat-refuge ou de l’annexe d’un habitat voisin ? La récente découverte du site exceptionnellement conservé de La Licorne, semble aujourd’hui donner raison à l’hypothèse cultuelle.  

CÉRAMIQUES PEINTES DE LA FIN DE L'ÂGE DU BRONZE

Très présente à Rancogne, la peinture rouge à l’hématite, apparaît aux alentours de 1000 ans avant notre ère pour décorer ou rehausser le décor des vases. Les motifs peints sont simples : grands aplats de couleurs, ponctuations ou lignes, ils sont généralement utilisés en association avec le décor plastique, cannelures, incisions ou estampage. A Rancogne, seuls deux plats portaient un décor bichrome rouge et noir. Ils appartiennent tous les deux à la phase finale de l’âge du Bronze, vers le 9e siècle avant notre ère. Le plat présenté ici porte un décor original de larges ronds rouges sur fond noir.  

LE VASE AUX PICTOGRAMMES

Cette urne de couleur beige clair, aux parois bien lissées est sans doute le vase le plus célèbre de Rancogne. Sur le haut de sa panse se déroule une frise décorative particulièrement originale, composée de 16 panneaux quadrangulaires. La plupart présentent des signes géométriques : croix de Saint André, damiers, rangées d’ocelles, triangles hachurés… Un seul se distingue par son motif figuratif : trois silhouettes anthropomorphes schématiques. La tête prend la forme d’une ocelle estampée, le corps est constitué d’un simple double trait incisé. Bras et jambes écartés, ces trois petits bonshommes semblent se tenir la main. Ce vase a suscité d’abondants commentaires. Ses représentations gravées n’ont-elles qu’une valeur ornementale, ou peut-on parler à leur propos de pictogrammes, c’est-à-dire de dessins stylisés fonctionnant comme un code, une pré-écriture ? L’agencement entre les panneaux semble en effet obéir à des règles plus complexes qu’un simple jeu décoratif. On connaît d’autres exemples de vases à pictogrammes en France, comme à Sublaines (Indre-et-Loire), à Moras-en-Valloire (Drôme) et à Corent (Puy-de-Dôme), sur la façade languedocienne et le long de la vallée du Rhône, c’est-à-dire dans des zones largement ouvertes aux influences méditerranéennes. Or, vers 1200 avant J.-C. l’alphabet phénicien se constitue, les systèmes d’écriture grecque et étrusque se mettent en place à partir de la fin du 9e siècle ou au 8e siècle… Autant de phénomènes qui semblent apparaître de manière concomitantes et qui ont pu marquer les esprits des populations qui vivaient sur notre territoire à la même époque.

parure
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© RMNGP/MAN
Canine de sanglier

Champlay, la Colombine (Yonne)

XIIIe siècle avant notre ère

Ce mystérieux objet est issu d’une nécropole découverte en 1850, lors de la construction de la voie ferrée Paris-Lyon. L’histoire du site est complexe, maillée de pillages, et il faut attendre les trois fouilles (1929, 1938 et 1939) de Georges Bolnat, vétérinaire et érudit local, pour que le contexte en soit mieux connu.  

UNE SEPULTURE RICHE

La sépulture n° 101, d’où provient cette canine, a été découverte lors de la campagne menée par Georges Bolnat en 1938. Une femme d’une cinquantaine d’années y était inhumée, allongée sur le dos et richement parée : 55 boutons et 47 perles tubulaires en bronze ainsi que dix perles de verre bleu ont été retrouvés au niveau des jambes. Deux jambières spiralées étaient enfilées sur ses tibias. Le poignet gauche portait quatre bracelets, dont un constitué de 21 perles d’ambre, près desquels était déposée une longue épingle de 50 cm, tandis que l’annulaire de la même main présentait deux anneaux de bronze. Citons également au moins un bracelet au poignet droit, une paire de boucles d’oreilles ainsi qu’un torque à extrémités spiralées. Vers l’avant-bras droit ont été découvert une céramique ainsi que deux côtes de sanglier, vestiges d’une probable offrande alimentaire.  

UN OBJET MYSTERIEUX

L’élément le plus marquant de cet ensemble était quant à lui disposé près de la main droite de la défunte, un peu en-dessous de la hanche : il s’agit d’une « défense » de sanglier (plus spécifiquement une canine de cochon domestique ou sauvage) longue de 23 cm, enchâssée dans une résille en fils de bronze torsadés, qui étaient autrefois d’une belle couleur dorée. Enroulés sur eux-mêmes et pour certains regroupés en rubans, ces fils entourent la canine et l’enserrent dans une maille lâche qui laisse voir la blancheur de l’émail. À chaque extrémité de la dent a été aménagée une sorte d’anse en fil de bronze, permettant de l’accrocher à la ceinture. De petites spirales se déploient au bout des fils bordant la partie inférieure de la canine formant comme un liseré. Enfin, la racine de la dent est protégée par une plaque en bronze décorée de pointillés exécutés au repoussé. Les spécialistes ont été longtemps divisés au sujet de son utilisation : pectoral, diadème ? Ces deux hypothèses se heurtent à son positionnement dans la tombe, au niveau de la hanche droite, et au fait que les rares exemples connus ont tous été retrouvés au bas du torse. C'est pourquoi on estime aujourd’hui qu’il pourrait plutôt s’agir de l’élément principal d’un support complexe, suspendu à une ceinture ou à un vêtement.

 

DES FEMMES DE POUVOIR A L'ÂGE DU BRONZE FINAL

La défunte de Champlay n’est pas la seule à présenter ce type de parure. La nécropole contemporaine de Barbuise-La Saulsotte (Aube) a livré pas moins de huit exemplaires, tous issus de tombes féminines. L’une des sépultures contenait trois individus dont une femme accompagnée de ce type de pendentif, associé à de nombreuses perles en ambre réparties sur tout le corps, sans doute cousues à un vêtement. Jusqu’à présent, pour la plupart, ces pièces ont été découvertes en France, dans la région de l’interfluve Seine-Yonne. Toutefois, en 1998, une pièce très similaire a été découverte en Allemagne, à Karlsruhe-Neureut. Elle est actuellement conservée au Archäologisches Landesmuseum Baden-Württemberg à Konstanz am Bodensee. Peut-être cet objet mystérieux signale-t-il la place croissante prise par les femmes au sein des élites. À partir de la fin du XVe siècle av. J.-C., on constate en effet l’apparition de véritables panoplies qui magnifient l’apparence féminine, avec des objets récurrents comme les longues épingles et les jambières très proches de Veuxhaulles (conservées au MAN), ou encore les “ceintures” articulées comme celle de Billy-le-Theil (également au MAN); et donc parfois des pendeloques en canine de sanglier.

 

OBJETS ASSOCIES

Pendentif arciforme (Musée Camille Claudel)

Ceinture en bronze

 

BIBLIOGRAPHIE

DOHRMANN, Nicolas et RIQUIER, Vincent (dir.). Archéologie dans l'Aube : des premiers paysans au prince de Lavau. Snoeck, 2018. 543 p.

LACROIX, Bernard. La nécropole protohistorique de la Colombine à Champlay, Yonne : d'après les fouilles de Georges Bolnat. Paris : Clavreuil, Saint-Père-sous-Vézelay : Musée archéologique, 1957. 173 p. (Cahier d’histoire de l’art et d’archéologie de Paris, n° 2).

 

Objet emblématique
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© RMNGP/MAN
Cône d'Avanton

Avanton (Vienne) 1 500/1200 avant notre ère

Le cône d’or d’Avanton est une des plus importantes créations de l’âge du Bronze. C’est également une des plus énigmatiques. Il n’existe dans le monde que trois autres cônes du même type, tous conservés en Allemagne : à Berlin, Spire et Nuremberg. Peu d’autres objets produits dans les ateliers des artisans métallurgistes nord-alpins ont été autant chargés de significations et sujet à interprétations : emblème de pouvoir mais aussi objet de culte, calendrier astronomique et possible chapeau cérémoniel, le cône d’Avanton est d’abord un véritable prodige technique et un magnifique objet d’art.  

SES CARACTÉRISTIQUES

Découvert "tout aplati et replié sur lui-même" en 1844, le cône d’Avanton fut acquis par le Louvre en 1847, puis versé en 1956 au musée archéologique de Saint-Germain en Laye. Dans son état actuel, il pèse 321 gr et mesure 53 cm de hauteur pour 12 cm de diamètre. S’il s’agit d’un chapeau comme tendraient à le suggérer certaines recherches actuelles sur la base des cônes allemands, mieux conservés, alors il manque la calotte qui a entièrement disparu. Le sommet du cône, écrasé et partiellement détruit, a été reconstitué par les restaurateurs du laboratoire de Mayence en 1978. Le cône était à l’origine un peu plus grand et peut-être doublé de cuir.  

UN PRODIGE D'ORFÈVRERIE

Sa fabrication est remarquable. Le cône a été réalisé en une seule pièce mise en forme sans soudure, uniquement par martelage et emboutissage à froid à partir d’un petit lingot d’or, étirée sur une enclume jusqu’à ne plus former qu’une seule longue forme creuse dont l’épaisseur de la feuille est inférieure au millimètre. Cette opération longue et délicate a dû nécessiter de réchauffer régulièrement l’or afin de lui conserver toute sa ductilité et éviter ainsi des craquelures ou le déchirement du métal.  

SON DÉCOR

Son décor, très géométrique, est particulièrement fascinant. Il est composé de trois motifs principaux, disposés en différents registres très répétitifs et strictement horizontaux. Tous ont été réalisés au repoussé après sa mise en forme. Il se compose de treize rangées d’ocelles (bossettes ornées de cercles concentriques) évoquant le soleil, disposées en alternance avec des lignes de filets et des rangs de ponctuations qui accrochent la lumière. Le cône, dont la partie supérieure était très écrasée et emboutie à la découverte, porte sur son sommet une étoile à 11 branches dont seules les extrémités sont encore visibles aujourd’hui. On retrouve ces motifs solaires sur de nombreux objets prestigieux comme les vaisselles en or de Villeneuve-Saint-Vistre-et-Villevotte (Marne) et de Rongères (Allier) – également conservés au MAN. L’un des objets les plus emblématiques de l’âge du Bronze, le disque de Nebra, découvert en Allemagne en 1999, illustre bien la connaissance à laquelle étaient parvenues les populations de cette période : il est orné des symboles de la Lune, du Soleil et des Pléiades, organisés de manière à permettre le calcul des dates des solstices d’hiver et d’été. Tous ces objets précieux et remarquablement exécutés évoquent une société complexe, sans doute strictement hiérarchisée, aux savoirs techniques et astronomiques avancées, organisée autour des travaux des champs... bien loin de l’image du barbare inculte.  

LIENS UTILES

Le dépôt d'ors de Villeneuve-Saint-Vistre-et-Villevotte

 

 

Cône d'Avanton by Rmn-Grand Palais on Sketchfab