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L'archéologie comparée

La salle d'Archéologie comparée présente des objets archéologiques ou ethnographiques d’origine étrangère, du Paléolithique à la période contemporaine, permettant d’offrir un aperçu des cultures du monde entier à travers leurs productions matérielles

L’essentiel des collections est entré au musée avant la Première Guerre mondiale. Elles remettent en contexte les cultures matérielles du territoire français.

Sur la longueur de la pièce, on a choisi d’évoquer l’écoulement du temps, du Paléolithique à la période contemporaine, afin d’offrir un aperçu des cultures du monde entier à travers leurs productions matérielles.

Sur la largeur de la pièce, les zones géographiques (Afrique, Asie, Proche Orient, Europe, Amérique) sont présentées en vis-à-vis. Ce parcours permet de souligner les ressemblances ou les différences d’évolution entre les cultures des différentes régions du monde.

La salle d'archéologie comparée est conçue au début du XXe siècle par Henri Hubert et Marcel Mauss qui souhaitent illustrer "l'histoire ethnographique de l'Europe et de l'humanité" fondée sur l'étude du "fait social total" depuis les origines de l'homme jusqu'au tout début du Moyen Âge.

Article co-écrit par Marcel Mauss et Henri Hubert : "L’esquisse d’une théorie de la magie"

Les objets

Céramique
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© RMN-GP. Jean-Gilles Berizzi
Les vases de Suse (Iran)

Suse (Iran) IVe millénaire

Fondée à la fin du Ve millénaire, Suse a bénéficié de sa situation exceptionnelle à la charnière de la plaine fertile de Mésopotamie et du haut plateau iranien riche en matières premières, au croisement d'influences issues d'Asie occidentale et d'Orient. Occupant une dizaine d'hectares, la cité de Suse était organisée autour d'une terrasse surélevée qui supportait un sanctuaire entouré de bâtiments annexes.

Au sud-ouest de cet ensemble, les fouilles ont mis au jour une vaste nécropole datée de l’époque dite de Suse I. Elle comportait environ deux mille tombes pourvues d'un riche mobilier funéraire surtout constitué de vases de terre cuite fine d''une qualité exceptionnelle et offrant un large répertoire décoratif peint en noir ou en brun sur le fond ocre clair de la pâte et de l’engobe.

L’un des principaux types consiste en de grands vases à fond conique (parfois appelés : « boisseaux ») dont l’ornementation stylisée se répartit en frises superposées alternant souvent avec des panneaux délimités par des lignes et qui occupent la partie centrale de la panse des vases.

Les motifs décoratifs sont soit abstraits ( lignes verticales et horizontales, triangles pleins, losanges, carrés, chevrons plus ou moins emboîtés ), soit animaliers : oiseaux stylisés au long cou, bouquetins aux cornes démesurément développées ou encore sloughis ou longs chiens courant en frise sur le pourtour de certains vases...

Les coupes présentent un décor organisé à partir du centre et découpé, soit de manière centrifuge, soit en plusieurs parties symétriques. Le décor fait appel au même répertoire de motifs abstraits mais parfois plus élaborés : chevrons, lignes imbriquées, ondulations, losanges et carrés... ou à d’autres motifs d’origine animalière tels que les fameux « animaux-peignes » dont l’origine n’a pu être identifiée.

Statuette
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© RMN-GP. Franck Raux
Statuette féminine d’Égypte prédynastique

Hiérakonpolis (?) (Kôm el-Akhmar, Haute-Égypte). Époque de Nagada II (entre 3 500 et 3 200 environ avant J.-C.).

Parmi les plus anciennes représentations plastiques de l'art égyptien, ces statuettes semblent généralement provenir de tombes bien que, la plupart du temps, leur contexte de découverte ne puisse être très clairement établi.

UN CANON DE REPRÉSENTATION ATYPIQUE

Bien que la figurine du MAN ait été modelée de manière schématique, elle est identifiable grâce à ses caractères sexuels marqués, notamment les seins et la cambrure. La tête est, à l’inverse, schématisée à l’extrême au point d’évoquer pour certains auteurs un bec d’oiseau.

Par comparaison avec d'autres exemplaires, la position des bras paraît exceptionnelle. En effet, ils sont cassés sous l’arrondi des épaules et il est donc difficile d’admettre qu’ils aient été modelés relevés, en formant un arrondi au-dessus de la tête, comme pour de nombreuses autres statuettes que les auteurs anciens qualifiaient parfois de « danseuses » ; il semble plus vraisemblable que les bras aient été posés le long du corps ou peut-être infléchis à la hauteur des coudes pour se joindre à la hauteur du ventre. En tout cas, il ne semble pas, en l’état actuel des études, qu’il y ait eu un véritable canon de représentation à cette époque reculée.

Cette statuette semble vêtue d’une longue « jupe » blanche peinte sur l’argile à l'aide d'un matériau, sans doute à base de chaux. Ses jambes ne sont pas individualisées et forment une sorte de tenon. Il est possible qu'à l'origine cette statuette ait pu être fichée en terre ou dans un support quelconque.

UNE SIGNIFICATION ENCORE MYSTÉRIEUSE

La signification d'une telle figurine, qui faisait vraisemblablement partie d’un mobilier funéraire, est loin d’avoir été complètement éclaircie. On peut évoquer à son sujet une certaine correspondance avec une partie des décors figurés sur des vases peints de la même époque qui comportent parfois des représentations analogues mais avec les bras levés comme si elles effectuaient des mouvements de danse (ou d’invocation ?). Certains auteurs leur ont attribué un rôle en relation avec l'au-delà, voire un rôle de divinité ou de « gardienne du mort ».

Toutes les sépultures de la même période chronologique n’ont pas livré systématiquement de statuettes de ce genre : il est permis de penser qu’elles étaient attribuées en fonction de la position sociale reconnue à chaque défunt. Ainsi pouvaient-elles peut-être contribuer à singulariser certains individus au sein de tout un système rituel dont l’organisation et le sens nous échappent encore largement aujourd’hui.

UNE PROVENANCE INCERTAINE

Cette statuette fait partie de la donation Morgan (1909 – 1910) mais n’a été inscrite dans l’inventaire qu’en 1939, avec un lot d’objets identifiés comme provenant de Kôm el-Akhmar (ancienne Hierakonpolis).

Cependant, un doute subsiste à propos de sa provenance. Le retard dans l’enregistrement ne permet pas de déterminer si elle provient de la collection d’Henri ou Jacques de Morgan, qui ont tous deux exploré Hierakonpolis, a plusieurs années d’écart. Alors que Jacques de Morgan ne mentionne aucune découverte de ce type dans son ouvrage publié en 1896 ; les écrits d’Henri mentionnent « une énorme masse de débris, figurines en terre cuite d’animaux, de vaches, et de récipients », parmi lesquels il aurait pu trouver cette figurine, à Kôm el-Akhmar.

Cette figurine a pu être associée à d’autres exemplaires trouvés en contexte funéraire à Ma’amariya lors des mêmes explorations (notamment dans la collection prédynastique du musée de Brooklyn, New York, États-Unis). Cependant, des différences ont été notées dans la qualité de la terre cuite. P.Ucko a suggéré qu’une analyse de l’engobe blanc permettrait de regrouper les figurines des sites de Ma’amariya et de Kôm el-Akhmar, proches de quelques kilomètres, et ainsi déterminer une potentielle provenance.

BIBLIOGRAPHIE

Catalogue sommaire illustré des collections du musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye : Archéologie comparée, Tome 1, Afrique, Europe occidentale et centrale, Paris : Réunion des musées nationaux, 1983, p. 129.

Christine Lorre, « Notice 44, Female Figure », in ed. Annie Caubet, Idols, The Power of Images, Milan : Skira, 2018.

LIENS UTILES

Vers la figurine du musée de Brooklyn

Vers le profil d’Henri de Morgan

Vers le profil de Jacques de Morgan

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Statuette
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© RMN-GP.René-Gabriel Ojéda
Le char de Mérida (Espagne)

Mérida (Badajoz, Espagne) IIe-Ier siècle av. J.-C. ?

Composé d'une sorte de plate-forme rectangulaire fixée sur quatre roues, ce petit char supporte des figurines (cavalier, sanglier et chien) qui évoquent une scène de chasse au sanglier. Ces figurines ont été coulées à la cire perdue de même que trois des clochettes suspendues à l'arrière de la plate-forme.

La découverte de ce char étant ancienne, son contexte archéologique est inconnu mais plusieurs indices laissent à penser que cet objet a été enfoui volontairement fragmenté. L'analyse récente des alliages métalliques a montré que certaines des parties originales coulées pouvaient remonter aux Ve-IVe siècles av. J.-C. Se fondant sur une analyse stylistique, certains spécialistes pensent au contraire que la coexistence de caractères proprement ibériques avec le style plus réaliste des animaux autorise à abaisser la datation de cette œuvre qui pourrait être l'un des derniers exemplaires de la longue série des chars votifs protohistoriques d'Europe. Le cavalier porte une tunique et un justaucorps ajustés, des jambières (protections de jambes) laissant les mollets apparents et un casque à boucles ou à écailles. La lance qu'il brandit est une restitution moderne. Le sanglier, poursuivi par un cavalier, est caractérisé par un pelage traité en chevrons.  

Instrument de musique
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© Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Archéologie nationale) / Loïc Hamon
Lur du Danemark

Blidstrup (Danemark)

VIIIe-IXe siècles av. J.-C.

Découvert par un fermier danois dans un marécage, cet objet courbe en alliage cuivreux est d’abord conservé dans les collections royales du roi Frederik VII du Danemark avant que ce dernier ne l’offre à l’empereur Napoléon III, qui projetait alors de créer un musée gallo-romain à Saint-Germain-en-Laye.  

UN PARCOURS MOUVEMENTE

Cet objet connaît un parcours mouvementé avant d’entrer au musée d’Archéologie nationale. Découvert en compagnie d’un autre exemplaire à Blidstrup, au Danemark, il est donné au roi Frederik II du Danemark (1808-1863), qui l’expose alors avec le reste de sa collection d’antiquités au palais Frederiksborg, à Hillerød, au nord de Copenhague. En 1859, un incendie endommage les collections royales, mais des fragments d’un des deux objets sont sauvés des flammes. Un exemplaire est reconstitué et offert à l’empereur Napoléon III, au moment où ce dernier projette la création d’un musée des antiquités celtiques et gallo-romaines, le futur musée d’Archéologie nationale.

Le premier objet de ce type avait été découvert en 1797, dans le marais de Brudevælte, au Danemark. Le fermier Ole Pertersen met alors au jour six tubes courbes en alliage cuivreux, avant de trouver, une semaine plus tard, six embouchures. Les objets, semble-t-il, ont été soigneusement démontés et déposés dans la tourbe. D’autres pièces ont ensuite contribué ensuite à enrichir les collections des grands États européens et ces objets ont suscité un véritable engouement. Sur la place de l’hôtel de ville de Copenhague, le monument présentant deux joueurs de lur, sculpté par l’artiste S. Wagner entre 1911 et 1914, fait de cet objet un élément emblématique de la culture danoise.

LE LUR : UN OBJET EXEPTIONNEL

Un grand tube courbe et un pavillon circulaire orné de bossettes en relief composent cet objet spectaculaire daté de l’âge du Bronze, entre le VIIIe et le IXe siècle av. J.-C. Si cet instrument ressemble à une trompe, le pavillon n’est pas réellement fonctionnel. D’abord orné de motifs circulaires puis, plus tardivement, de six à dix bossettes en relief, ce dernier constitue peut-être un symbole solaire. Témoignant d’une maîtrise parfaite de la technique de la fonte du bronze à la cire perdue, l’instrument est fabriqué par coulage et soudage successif de plusieurs cylindres, emboîtés les uns dans les autres. Le cylindre inférieur est mobile, afin de faciliter la manipulation de cet objet très volumineux. L’appellation de lur, prononcé « lour », est donnée par les archéologues du XIXe siècle d’après certaines sagas islandaises (récits historiques ou légendaires en prose). La plupart des lurs sont découverts en contexte humide et marécageux, et parmi la cinquantaine d’exemplaires recensés, 31 proviennent du Danemark.

UN INSTRUMENT DE MUSIQUE MYSTERIEUX

La forme du lur s’inspire peut-être des premiers instruments fabriqués avec des cornes de bovins. Les gravures rupestres scandinaves et l’archéologie expérimentale permettent de comprendre la manière dont se jouait cet instrument de musique. Il se portait probablement à bout de bras, le pavillon situé en position haute. Nécessitant une grande puissance de souffle, les exemplaires utilisés lors des expérimentations ont produit des sons retentissants, à la tonalité étendue. Néanmoins, le pavillon de l’exemplaire conservé au musée d’Archéologie nationale n’étant pas fonctionnel, peut-être n’avait-il alors qu’une fonction symbolique. Peut-être cet instrument accompagnait les guerriers scandinaves au combat, ou pour certains, accompagné d’autres instruments rythmiques, permettait d’accéder à un état de transe. Les gravures rupestres suédoises, qui datent de la même époque, montrent des joueurs de lur accompagnant un cortège funèbre ou religieux. Étant donnée leur rareté, ils sont sans aucun doute des objets de prestige.

BIBLIOGRAPHIE

LORRE, Christine. Aux sources de la musique scandinave de l’âge du Bronze : le lur danois. In : Archéologia, mai 2017, n°554, p. 24-25.

LIENS UTILES

Vers l'objet du mois

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Hache votive
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© RMN-GP/MAN
Hache parée de Nouvelle-Guinée

Baliem ou Dani de l'Ouest, Kp Jayawijaya, Papua Barat (Papouasie occidentale, Indonésie), groupe dani

Cette grande hache d’échange de type ye-yao, achetée à Wamena, illustre de multiples pratiques du groupe Dani, de la recherche des matériaux à son usage social.  

UNE APPROCHE ETHNOARCHÉOLOGIQUE

Pierre Pétrequin, directeur de recherche au CNRS., a donné en 1995 au musée d’Archéologie nationale sa collection d’objets ethnographiques collectés avec son épouse Anne-Marie à l’occasion de missions scientifiques au Papua Barat (Indonésie).

Rassemblée au cours de plus de vingt missions depuis 1984, elle reflète les recherches menées par ces préhistoriens au sein de plusieurs communautés humaines de Nouvelle-Guinée. De leur point de vue d’archéologues, les chercheurs ont étudié les modes de fabrication et d’échange des productions matérielles de ces groupes, ainsi que leur rôle respectif dans leur organisation sociale.

Cet ensemble de première importance est une source précieuse de réflexion et de comparaison pour tous les préhistoriens qui s’intéressent à la vie des populations néolithiques de notre territoire. Il s’agit en effet d’observer des situations actuelles pour élargir le domaine des hypothèses de travail et mieux comprendre les contextes archéologiques en Occident, où le plus souvent, seuls les vestiges en matériaux indestructibles sont conservés. Cette démarche, dite ethnoarchéologique, est très différente du simple comparatisme ethnographique. Elle s’efforce de prendre en compte les contraintes liées aux fonctionnement sociaux et à la matérialité des objets, tout en essayant de comprendre les étapes du parcours historique de chacune des communautés.

DE L'OUTIL AU SIGNE SOCIAL : DES LAMES EN PIERRE

Cette grande hache d'échange de type ye-yao est décorée d’une jupe en fibres d’orchidée tressées jaunes, des pendentifs formés de défenses de porc refendues, polies et perforées, de lanières de peau de marsupial arboricole et d’enveloppes épineuses de larves.

Pour fabriquer la lame de hache, une plaque de roche est détachée par le choc thermique produit au moyen d’un foyer perché sur un échafaudage. Dans cette plaque, une première pré-forme est taillée et dégrossie au percuteur dur. De retour au village, l’ébauche est lentement bouchardée au petit percuteur de pierre. Elle a dès lors acquis une grande valeur et peut être échangée contre des porcs ou des pains de sels. Le polissage sur des blocs de grès représente la phase finale : il permet d’affûter le tranchant et d’obtenir une forme parfaitement régulière. Le polissage d’une grande lame de hache de travail nécessite une vingtaine d’heures de travail.

Il faut beaucoup plus de temps pour polir une grande lame de hache d’échange d’Ormu Wari, afin de la rendre parfaitement régulière, lisse et brillante en appliquant de la graisse de porc sur sa surface. Devenue extrêmement luisante, elle représente alors l’un des signes distinctifs utilisés par les élites de la côte nord pour afficher leur statut héréditaire.

LES LAMES DE HACHE YE-YAO : DES FEMMES DE PIERRE

Les roches assez résistantes pour fabriquer de bonnes lames de hache sont rares et très inégalement réparties dans la nature. De temps en temps, les hommes partent en groupe en direction des carrières parfois éloignées d’une dizaine de jours de marche.

Ils sont guidés par un homme d’expérience connaissant les rituels pour « faire sortir les haches ». En effet, les lames de haches sont, d’après le mythe, préexistantes dans la roche et c’est la Mère des Haches qui va les donner aux hommes.

Les Dani échangent de grandes lames polies considérées comme des femmes que le groupe donne ou reçoit, et qui sont donc vêtues de jupes courtes et de ceintures en fibres d’orchidée. Lors des paiements de mariage ou de funérailles, ces haches femelles sont explicitement des substituts anthropomorphes (d’apparence humaine), manipulés et présentés en public après avoir été passées à la graisse de porc pour les rendre brillantes. Ces lames ye-yao sont fabriquées dans la haute vallée de l’Awigobi, où les carrières de roche verte sont exploitées en montagne et où des dalles peuvent aussi être ramassées dans le lit de la rivière. Dès la sortie de la carrière, les ébauches de lame sont groupées par paire et présentées verticalement, comme les deux premiers hommes du mythe de l’origine du monde.

BIBLIOGRAPHIE

Anne-Marie et Pierre Pétrequin, Objets de pouvoir en Nouvelle-Guinée, approche ethnoarchéologique d’un système de signes sociaux, Catalogue de la donation Anne-Marie et Pierre Pétrequin, Paris : Réunion des musées nationaux, 2006, p. 238 – 239

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Casque
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© RMN-Grand Palais
Casque apulo-corinthien (Italie)

Apulie (Italie) IVe siècle av. J.-C.

Exposé à l’origine dans la salle consacrée à l’archéologie, ce casque a bénéficié en 2011 d’une restauration qui a révélé un décor gravé totalement inédit.

CORINTHIEN ? APULO-CORINTHIEN ?

Ce casque a probablement été donné en 1910 par Jacques de Morgan, ingénieur des mines, archéologue et explorateur qui voyagea et effectua des fouilles aussi bien en Egypte ou en Malaisie que dans l’actuel Azerbaïdjan. Cependant, il n’a été inscrit à l’inventaire qu’en 1935, bien après sa mort. Malheureusement, rien dans l’inventaire ne permet de préciser la provenance de cet objet. D’après sa forme, il avait été enregistré comme un casque grec de type corinthien et daté du VIe au IVe siècle avant J.-C. mais sa typologie et son décor s'apparentent aux casques découverts dans le sud de l'Italie, notamment en Apulie.

Une soixantaine de casques apulo-corinthiens sont connus dans le monde, dont les trois quarts comportent un décor gravé mais très peu d’entre eux ont été retrouvés en contexte. L’identification de ce type de casque au Musée d’archéologie nationale est donc scientifiquement importante

SOUS LA CORROSION TOUT UN BESTIAIRE

Ce casque n’est pas du tout corinthien : il est plus sphérique et compact, son protège-nuque est assez large, les « couvre-joues » sont plus courts et se rejoignent quasiment, les ouvertures pour les yeux ne sont plus qu’une unique fente et il n’y a plus d’élément spécifique pour protéger le nez.

Enfin on remarque de petits rivets en haut de la calotte du casque : ils permettaient de fixer des éléments tubulaires pour des plumes ou un panache en crin de cheval. D’autres rivets, en partie basse, servaient vraisemblablement à maintenir la courroie en cuir qui permettait de fixer le casque.

Ce casque a connu deux restaurations, une première fois entre 1983 et 1984, puis en 2011, à l’occasion d’un constat d’état qui a révélé une reprise de corrosion. Un examen plus attentif a alors permis de repérer les traces d’un décor animalier. De plus, le casque, parcouru de larges fissures, avait été « réparé » à de multiples endroits par des comblements en plâtre ; une restauration plus adaptée était désormais possible.

Cette restauration a permis de distinguer à gauche un premier sanglier, avec un sphinx derrière lui, puis, sur le côté droit, un second qui lui faisait face, et derrière celui-ci, un petit marcassin. Des oiseaux sont figurés autour des arcades sourcilières, tandis que la fente horizontale était accompagnée, de part et d’autre, de la représentation d’un œil. Ce décor reste toutefois difficile à voir à l’œil nu sans lumière rasante.

UN CASQUE DE GRANDE GRÈCE (SUD DE L'ITALIE)

Il s’apparente aux casques découverts dans le sud de l’Italie et portés par les guerriers à partir du VIe siècle av. J.-C. en Grande Grèce. On les appelle apulo-corinthiens, en raison de leur lieu de découverte et de probable production, l’Apulie colonisée par les Grecs. Ces casques étaient portés enfoncés sur la tête mais donnaient l’impression d’un casque corinthien relevé, avec leurs impressionnantes arcades sourcilières en relief. C’est la raison pour laquelle les ouvertures pour les yeux ou le nez sont seulement décoratives.

De plus, ce n’est que vers le IVe siècle que le frontal commence à se couvrir d’un décor gravé et que de nouveaux motifs apparaissent, parfois liés à des scènes mythologiques. La présence de sphinx derrière les sangliers est attestée sur plusieurs casques de cette époque, mais la représentation d’un marcassin paraît totalement inédite, tout comme celle des oiseaux placés de part et d’autre des arcades sourcilières.

La mode de ces casques a duré jusqu’au Ier siècle av. J.-C. en Italie : les Romains, avides de se rattacher à des traditions, s’en sont équipé comme casques d’apparat.

BIBLIOGRAPHIE

Catalogue sommaire illustré des collections du musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye : Archéologie comparée, Tome 1, Afrique, Europe occidentale et centrale, Paris : Réunion des musées nationaux, 1983, p. 220

Anaïs Boucher, « L’objet du mois : Les surprises d’un casque apulo-corinthien », Archeologia, 2014, p. 15 – 17

LIENS UTILES

Vers l'objet du mois

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Armes
Media Name: Poignard en bronze
© Photo MAN - V. Go
Poignard de Djönü (Azerbaïdjan)

Djönü (Talyche, Azerbaïdjan)

Âge du Bronze récent, vers 1350-1200 av. J.-C.

Collection Jacques de Morgan

Découvert dans une sépulture de la nécropole de Djönü, dans la région montagneuse de la vallée du Lenkôran, en Azerbaïdjan, ce poignard en bronze se distingue par son pommeau en forme de croissant, typique de certaines armes de la région du Caucase méridional.  

L'EXPLORATION DU CAUCASE PAR JACQUES DE MORGAN

Ce poignard appartient à la collection d’objets archéologiques constituée lors du voyage d’exploration de Jacques de Morgan dans le sud du Caucase. Après une expérience en Arménie, l’archéologue voyage entre 1889 et 1892 en Asie occidentale grâce au soutien financier du ministère de l’Instruction publique. En raison d’interdictions, Morgan modifie son itinéraire et parcourt les régions de la rive méridionale de la mer Caspienne, peu connues à l’époque. Il parvient dans la région du Lenkôran (en actuel Azerbaïdjan et anciennement Talyche russe) et fouille en compagnie de sa femme, entre avril et juin 1890, pas moins de 191 sépultures à Djönü. Les découvertes du Lenkôran sont exposées au musée Guimet (Paris) de l’automne 1892 à l’été 1893, avant que le matériel archéologique ne soit affecté au musée d’Archéologie nationale.

UNE FONCTION PLUS SYMBOLIQUE QU'UTILITAIRE

Trouvé dans l’une des tombes de la nécropole haute, ce poignard présente une épaisse lame triangulaire plate et biseautée aux bords concaves et une garde rectangulaire soulignée de trois nervures. La fusée de la poignée, quant à elle, comprend cinq anneaux en bourrelet. Cet objet se distingue par son pommeau en forme de croissant très large et évasé. Les rebords inférieurs de l’arc servaient peut-être de point d’appui à un élément aujourd’hui disparu, taillé en pierre ou en matière organique. La forme de la lame et la fusée pleine sont typiques des armes de la région du nord de l’Iran à la fin du IIe millénaire av. J.-C., dont certaines conservent des éléments d’incrustations (poignards d’Agha Evlar et de Véri, dans la même région). Le poignard de Djönü se rattache aux productions métallurgiques identifiées dès l’époque de la dynastie d’Ur (première moitié du IIIe millénaire av. J.-C.), présentant des similitudes à la fois morphologiques et esthétiques. Le type du pommeau en arc de cercle ou croissant est adopté entre le Bronze moyen et le Bronze récent dans l’ensemble du Levant et même en Égypte. Daté entre 1350 et 1200 av. J.-C., il serait plutôt un poignard cérémoniel, et il y a peu de doute quant à son caractère symbolique.

LA NÉCROPOLE DE DJÖNÜ (ACTUEL ÇONU)

La nécropole de Djönü est située au sud du village du même nom. Constituée d’une nécropole basse à 1720 m d’altitude et d’une nécropole haute à 1830 m d’altitude, elle est intensivement explorée par Jacques de Morgan en 1890. Malgré des pillages successifs, elle figure parmi les sites archéologiques représentatifs du Caucase du Sud. La majorité des sépultures de la nécropole haute ont livré un riche mobilier. Morgan en a décrit trois parmi les quarante fouillées. Il s’agit de sépultures mégalithiques pour la plupart construites avec de grandes dalles de pierre et recouvertes d’un tumulus en terre. Parfois, elles sont entourées d’un cercle de pierres. La nécropole basse est organisée comme un véritable cimetière. Elle est constituée de sépultures plus petites, datées de la fin de l’âge du Bronze et du premier âge du Fer. Dans sa publication, Morgan ne décrit que trois tombes, jugées les plus caractéristiques à ses yeux. La nécropole a livré des parures, des récipients en terre cuite, de l’armement et de l’outillage, notamment beaucoup d’objets cuivreux et en fer. L’archéologue Claude Schaeffer a daté le mobilier de la période de transition entre les âges du Bronze et du Fer (entre la fin du IIe millénaire et le début du Ier millénaire av. J.-C.). Si la région dispose de gisements de cuivre, l’étain n’est utilisé que pour quelques objets en bronze et peut-être importé d’Asie. Ce site témoigne en particulier des échanges commerciaux avec le Nord de l’Iran, mais également avec des régions plus éloignées telles que la Mésopotamie et le sous-continent indien.

BIBLIOGRAPHIE

HAZE, Mathias. La nécropole de Djönü et les pratiques funéraires à la fin de l’âge du Bronze et au début de l’âge du Fer dans la vallée du Lenkôran (République d’Azerbaïdjan). In : Antiquités Nationales, 2012, n°43, p. 163-182.

LORRE, Christine. Poignard en bronze de Djönü. In : Archéologia, décembre 2015, n°538, p. 14-15.

LIENS UTILES

Lien vers Sur les pas de Jacques de Morgan

Lien vers l'objet du mois

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Statuette
Media Name: Groupe représentant une scène d’accouchement
© MAN - V. GO
Statuettes (Chypre)

Chypre

VIe siècle av. J.-C.

Collection Colonna-Ceccaldi

Ces figurines ont été découvertes en assez grand nombre dans le monde méditerranéen car elles étaient faciles à transporter. Cette abondance reflète également une pratique du modelage particulièrement développée et originale à Chypre.  

UNE TRÈS RARE D'ACCOUCHEMENT

Acheté au collectionneur Colonna-Ceccaldi, ce groupe modelé en argile se distingue particulièrement. Seules deux femmes sur les trois qui composaient originellement le groupe sont conservées. La première est debout et de ses bras croisés soutient la seconde, qui est assise à même le sol. La femme assise est en réalité sur le point d’accoucher, encouragée dans ses efforts par celle qui se tient derrière elle, tandis qu’une autre femme, sans doute la sage-femme, devait se tenir en face d’elles, prête à recevoir le nouveau-né. Ce groupe est très semblable à un autre exemplaire conservé au musée du Louvre (acquis auprès du même collectionneur) où les trois personnages sont représentés, ainsi qu’à d’autres exemplaires du musée de Nicosie (Chypre). En raison de cette scène, on suppose qu’il s’agit d’un ex-voto, dédié à une déesse protectrice des femmes enceintes, à une époque où de nombreuses femmes mourraient encore en couches.

LA GRANDE DÉESSE DE CHYPRE, PROTECTRICE DE LA VIE

À l’origine, ces figurines étaient déposées dans des sanctuaires ou des nécropoles lors de rites liés à la vie ou à la mort. Sur l’île où Aphrodite serait née, la vénération d’une Grande Déesse de la fécondité est avérée depuis la fin de la période néolithique et cette divinité est restée la plus importante de l’île jusqu’au Ve siècle av. J.-C. Plusieurs images la présentent comme une femme féconde ou une mère nourricière. On a retrouvé dans plusieurs sites des figurines moulées dont le modèle est d’origine phénicienne : ces deae gravidae, déesses enceintes à la coiffure caractéristique à deux chignons, sont à peine assises et portent la main droite sur leur ventre proéminent. Mais les artistes chypriotes, en plus des colliers et cache-oreille peints qu’ils adjoignaient à ce modèle oriental, lui ont aussi souvent ajouté sur le bras gauche un nouveau-né directement modelé, comme sur la figurine du MAN. Cette représentation d’une fécondité surnaturelle de la Grande Déesse était censée protéger plus efficacement les naissances.

BIBLIOGRAPHIE

Catalogue sommaire illustré des collections du musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye : Archéologie comparée, Tome 1, Afrique, Europe occidentale et centrale, Paris : Réunion des musées nationaux, 1982

LIENS UTILES

Lien vers l'objet du mois

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
plaques funéraires
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© MAN - Valorie Gô
Plaques funéraires peintes provenant d’Alexandrie (Egypte)

Alexandrie (Egypte), Hadra, tombe dite « des Mercenaires » (?)

Période hellénistique, IIIe siècle av. J.-C.

La récente restauration de trois plaques peintes provenant d’Alexandrie a permis de leur rendre un éclat perdu depuis le début du XXe siècle.  

LA COLLECTION PUGIOLI ET DANINOS PACHA

Ces plaques proviennent de fouilles qui ont précédé la mise en place d’un service de fouilles et de conservation officiels à Alexandrie par Giuseppe Botti. Elles ont été acquises par Pietro Pugioli, dont la collection a ensuite été vendue à divers musées d’Europe et d’Amérique. Les objets d’un même site étant éparpillés, beaucoup d’informations sur le contexte de découverte ont été perdues. C’est Daninos Pacha, un archéologue égyptien, qui a vendu ces quatre « stèles » au musée d’Archéologie nationale le 15 octobre 1887. De passage à Paris, il avait écrit au directeur du MAN, qu’il possédait des objets susceptibles de l’intéresser car ils «représent[aient] paraît-il des soldats gaulois, morts à Alexandrie, dans la légion ptolémaïque». L’année précédente, il avait déjà vendu des stèles de même provenance au musée du Louvre. Certaines représentaient aussi des « Gaulois », qualifiés de « Keltos » ou de « Galaths ». Daninos Pacha prétendait qu’elles provenaient d’une nécropole située au sud-est d’Alexandrie, à Hadra, l’antique Éleusis. Grâce aux inscriptions, il a été possible à Adolphe Reinach, alors jeune épigraphiste, de rapprocher les stèles du MAN de celles découvertes dans la tombe dite « des Mercenaires », mise au jour en 1885. En effet, deux des stèles conservées au MAN (31234 et 31235) ont été publiées avec cette provenance dans la Revue Archéologique en 1887. Les plaques 31232 et 31233 en proviennent certainement aussi.

DES STÈLES FUNÉRAIRES POUR MERCENAIRES, LÉGIONNAIRES ET LEURS PROCHES

Ces quatre stèles ou plaques de type fausse porte ont toutes une forme similaire. La partie haute comprend systématiquement un fronton triangulaire, peint sur la plupart des exemplaires du MAN. En dessous de celui-ci, un espace est réservé à des inscriptions, en rouge. La partie centrale de l’objet est occupée par une section carrée ou rectangulaire, qui comprend une fresque sur enduit de plâtre, avec un cadre sculpté dans la stèle, sans décor. Un exemplaire comprend un large espace laissé au-dessous de l’encadrement, peut-être destiné à recevoir une inscription. Cet objet peut être considéré comme une stèle à proprement parler, les autres s’apparentant plus à des fausses portes, destinées à fermer les alcôves funéraires des défunts représentés. Les inscriptions en rouge, parfois très effacées, sont présentes sur trois plaques. Elles indiquent la provenance ethnique de la personne représentée : « ΓΑΛΑΘΣ » (trad. « Galates »). Les représentations peintes dans les encadrements représentent vraisemblablement les défunts de la tombe ou leurs proches. On trouve ainsi des mercenaires, des légionnaires ou leurs épouses, etc.

LA TOMBE DES MERCENAIRES

Cette tombe contenait des centaines de niches fermées par une dalle en calcaire en forme de stèle à fronton. Dans les niches, des vases en terre cuite conservaient les cendres des défunts. D’après les inscriptions retrouvées, tous étaient des militaires d’origine étrangère, Grecs de Grèce continentale, Crétois, Thraces et Galates, qui vivaient à l’est d’Alexandrie dans la seconde moitié du IIIe siècle avant J.-C. Les Galates, Celtes originaires de la Gaule cisalpine, avaient pris la route des Balkans puis avaient migré en Asie mineure en 279 avant notre ère, à l’invitation du roi de Bithynie en manque de mercenaires. Bien qu’installés ensuite dans l’actuelle région d’Ankara, des milliers d’entre eux offrirent encore leurs services aux souverains hellénistiques. Mais c’est vraisemblablement sous Ptolémée IV Philopator que les Galates furent de manière constante engagés dans l’armée lagide en tant que mercenaires et installés en tant que colons militaires en Égypte.

BIBLIOGRAPHIE

Agnès Rouveret, Peintures grecques antiques, la collection hellénistique du musée du Louvre, Librairie Arthème Fayard, Paris : 2004, p. 29 – 92

LIENS UTILES

Liens vers l'objet du mois "Des Gaulois à Alexandrie"

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Outils
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© RMN-GP (MAN) / Tony Querrec
Outils de mineurs (Laurion, Grèce)

Mines de plomb et d’argent du Laurion (Grèce)

VIe au IIe siècle av. J.-C.

ACQUISITION

Don d’Alfred Huet en 1879

Cette collection unique en France, provient des mines de plomb et d’argent du Laurion, en Grèce, exploitées jusqu’à l’époque byzantine par Athènes. Ces objets offrent un aperçu de la réalité du métier de mineur en Grèce durant cette période.

DES OBJETS ARCHÉOLOGIQUES POUR UNE STRATÉGIE COMMERCIALE

L'origine de cet ensemble est longtemps restée mystérieuse, mais la découverte dans les archives du musée d'une ancienne étiquette en grec a permis d'en retracer l'historique. D'après ce document, les outils de mineurs étaient, en 1875, la possession d'un certain Jean-Baptiste Serpieri, directeur de la Compagnie française des mines du Laurion, qui extrayait des minerais à partir des galeries des mines antiques. L’ingénieur Alfred Huet arriva dans le Laurion dès 1873 pour seconder J.-B. Serpieri car il était spécialisé dans la préparation mécanique des minerais. En 1878, Huet se retira des affaires et se consacra à l'étude du Laurion mais il resta administrateur de la Compagnie française des mines jusqu'à son décès. Les travaux menés par la compagnie mirent au jour des objets archéologiques, que la compagnie sut utiliser pour servir ses intérêts commerciaux. L’étiquette révèle ainsi que les outils de mineurs du MAN ont été présentés lors des « Olympiades de 1875 » organisées à Athènes, qui aboutirent à l'organisation des premiers Jeux Olympiques modernes en 1896. La Compagnie Française des Mines du Laurion y exposa des objets antiques : ses lingots de plomb du Laurion étaient quasi identiques à ceux produit dans l'Antiquité. Cela pouvait séduire les acheteurs, soucieux d'acquérir un métal réputé depuis l'Antiquité. Cette stratégie commerciale fut reprise par l'État Grec lors de l'Exposition universelle de 1878 à Paris.

UNE COLLECTION RESTAURÉE DÈS SON ARRIVÉE AU MUSÉE

L’ensemble se compose d’outils de mineurs en fer, d’objets en plomb et en bronze, de poids en terre cuite, de lampes et de vases en céramique, datés du VIe au IIe siècle avant J.-C. Cette collection est excellent état car dès son arrivée au musée en 1879, les « fers » sont restés « assez longtemps » à l’atelier de restauration, comme l’indique l’inventaire. On y trouve notamment des outils caractéristiques du mineur : de petites lampes pour s’éclairer dans les galeries, des marteaux, des pics et des barres à mine. Une paire d’entraves rappelle que les mineurs du Laurion étaient des esclaves qui travaillaient dans de terribles conditions.

BIBLIOGRAPHIE

Anaïs Boucher, « Outils de mineurs et outils publicitaires : La destinée d’objets archéologiques découverts dans le Laurion », Archéologia, 2017, p. 48 – 49

LIENS UTILES

L'objet du mois

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
vases
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© MAN / Loïc Hamon
Vases en pierre

Haute Egypte

5000-3500 av. J.-C.

Les artisans de l’Égypte prédynastique montrent une très grande et très précoce maîtrise de la fabrication d’objets en pierre. À des époques aussi lointaines que le Badarien (5000-3900 av. J.-C.) ou celle de Nagada I (3900-3500 av. J.-C.) en Haute-Egypte, des vases en pierre tendre ou dure font déjà partie de la panoplie funéraire.

Ceux-ci sont vraisemblablement considérés comme des dépôts de grand prix, au regard de l’investissement en terme d’effort et de temps passé pour l’extraction du matériau brut et sa transformation.

Selon un procédé métonymique fréquent dans la langue égyptienne ancienne, la production d’objets en pierre est tellement importante que l’image du foret finit par représenter au cours de la IIIe dynastie, le mot et l’idée de « création » et d’ « artisanat ».

Les travaux de recherche, entrepris depuis une vingtaine d’années, ont permis la reconnaissance des gisements de roches exploitables, l’identification des procédés de fabrication et l’établissement d’une typologie à partir des formes connues à ce jour.

Le musée d’Archéologie nationale a récemment eu la chance d’acquérir sur le marché de l’art trois de ces vases en pierre dure qui enrichissent substantiellement l’un des principaux pans de sa collection d’archéologie extra-nationale.

 

Pour en savoir plus, consultez la présentation dans le cadre de l'objet du mois

 

 

Instrument de musique
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© MAN/Valorie Gô
Tambour en bronze

Vietnam ou Birmanie ?

XIXe siècle

Les tambours de bronze font partie des objets les plus populaires d’une vaste zone qui comprend le Vietnam, la Chine du Sud, la Birmanie et l’Indonésie.  

UNE HISTOIRE ÉNIGMATIQUE

Cet objet témoigne des débuts de l’histoire coloniale française en Asie au XIXe siècle. En effet, les premiers documents attestant de son arrivée en France, indiquent qu’il proviendrait de l’expédition franco-anglaise menée par l’amiral Rigault de Genouilly (1807-1873) en Chine à la fin du mois de décembre 1857. Rapporté en France, le tambour aurait été offert à Napoléon III qui l’aurait donné à son tour au musée de Marine du Louvre en 1862. Le tambour y aurait été étudié par Franz Heger qui le considérait apparemment comme le plus ancien des spécimens connus en Europe à cette époque. Les indications retrouvées dans les archives ne permettent pas de décider à laquelle des deux campagnes de la flotte française en Asie il convient de rattacher l’objet. En effet, après la prise de Canton, l’amiral fit la conquête de Saigon, avant de rentrer en France en 1859. En raison de ses dimensions, de sa forme et de son décor, ce tambour appartient au type III qui date au plus tôt du XIe siècle et connaît une vaste dispersion entre le XVe et le XXe siècle dans toute l’Asie du Sud-Est. La comparaison avec un exemplaire très proche conservé au musée du quai Branly-Jacques Chirac confirme qu’il s’agit vraisemblablement d’une production vietnamienne ou birmane du XIXe siècle. L’incertitude qui subsiste est aussi due à la perte d’informations liées aux conditions du transfert des collections du musée de Marine au MAN entre 1908 et 1911 lors de la création de la nouvelle salle d’archéologie comparée.  

UN TÉMOIGNAGE DE L'HABILETÉ DES MÉTALLURGISTES DU SUD-EST ASIATIQUE

Du type III de la classification établie par l’ethnologue Franz Heger à la fin du XIXe siècle, le tambour du MAN est composé de deux parties : une caisse de résonance légèrement évasée vers le bas et une partie renflée qui supporte un plateau débordant (tympan). Bien visibles, les coutures –renflements verticaux- indiquent les raccords entre les deux parties du moule ayant servi à fondre la caisse à la cire perdue. Une étoile à douze branches occupe le centre du plateau. Le reste du décor, organisé en zones concentriques présente des motifs géométriques ou des représentations d’animaux schématiques. Quatre groupes de trois grenouilles stylisées superposées ornent le bord du tympan souligné d’un motif de tresse. Dans sa partie supérieure, la caisse de résonance est dotée symétriquement de deux paires d’anses plates à décor de stries. Sur sa hauteur, elle est ornée d’une alternance de bandeaux de motifs incisés et de zones vierges de tout décor qui portent encore des vestiges de peinture noire. À la base et sur un seul côté de la caisse sont alignés verticalement trois colimaçons et trois éléphants miniatures. Témoignant d’un vaste réseau d’influences culturelles et d’échanges nord-sud dans tout le Sud-Est asiatique, les tambours du type III ont été produits en grand nombre au Vietnam et en Birmanie jusqu’au XXe siècle et étaient encore utilisés jusqu’à une époque récente par les Karens lors de cérémonies agraires.  

LA SIGNIFICATION DU TAMBOUR EN ASIE DU SUD-EST

Apparus aux environs de 500 avant notre ère dans le bassin du fleuve Rouge, les tambours de bronze ont souvent été découverts dans les tombes de personnages de haut rang, notamment au sein de la culture de Dong Son (Vietnam). Attributs du pouvoir, ces instruments indiquaient la richesse de leur propriétaire.

D’innombrables exemplaires ainsi que des contes et légendes, mettant en scène ces instruments de musique, montrent quel rôle important ils ont joué et jouent encore de nos jours dans l’histoire et l’imaginaire des populations du Sud-Est asiatique.

Selon les spécialistes, ces instruments pouvaient servir dans de multiples circonstances : en contexte guerrier, pour rythmer le déroulement de rites communautaires de naissance et de mariage mais également lors de cérémonies d’invocation à la pluie. Ainsi, les représentations stylisées de grenouilles sont sans doute en rapport avec la fertilité des sols et des récoltes, également évoquée dans des contes et légendes.  

BIBLIOGRAPHIE

Christine Lorre, « Enquête sur les origines d’un tambour de bronze », Archéologia, 2019, p. 22 – 23

Guerny Jacques (de), Les tambours de bronze de l’Asie du Sud-Est, Paris, Maisonneuve et Larose-Hémisphères Éditions, 2017  

LIENS UTILES

Pour en savoir plus, consultez la présentation dans le cadre de l'objet du mois

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Statuette
Statuette d'hippopotame
© RMNGP/MAN/Gérard Blot
Statuette d’hippopotame en terre cuite. Pâte végétale

Toukh (site de Nagada)

Egypte prédynastique, Période Nagada (3900 - 3150 av. J.-C.)

Appartenant à la collection prédynastique égyptienne donnée au MAN par Jacques de Morgan, la statuette d’hippopotame découverte dans les environs de Toukh (Nagada, Haute-Egypte) mérite d’être reconsidérée à la lumière de récentes découvertes.  

JACQUES DE MORGAN ET LA PRÉHISTOIRE ÉGYPTIENNE

Jacques de Morgan est un archéologue français de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe siècle ayant exploré de nombreuses régions, depuis le Caucase jusqu’à la Perse en passant par l’Égypte. Il est en effet nommé directeur du Service des antiquités de l’Égypte alors qu’il n’est pas égyptologue, à la suite de ses fructueuses explorations en Arménie et en Perse.

Il réorganise le service, ouvre de nombreuses salles dans le musée de Gizeh qu’il rénove. En collaboration avec l’École française du Caire, il rédige le Catalogue des monuments et inscriptions de l’Egypte ancienne. Au cours de ses travaux, il fait des découvertes phares : le scribe accroupi (Ve dynastie, musée égyptien du Caire), les mastabas de Kagemni et de Mérérouka (VIe dynastie) et les tombes du roi Hor et des princesses Méryt et Khnoumit (XIIIe dynastie) à proximité des pyramides de Dahchour. Il entreprend des fouilles afin de mieux comprendre la préhistoire égyptienne. Recoupant les résultats des travaux de ses contemporains, notamment ceux de W.M.F. Petrie et d’É. Amélineau, avec ses propres observations stratigraphiques de la vallée du Nil, il identifie formellement des structures funéraires prédynastiques dans plusieurs sites de Haute-Egypte.

C’est dans ce contexte que Jacques de Morgan a publié cet objet, après l’avoir acheté à un marchand de Qeneh (actuelle Qena, Haute-Egypte) comme provenant de Toukh, importante nécropole du site de Nagada.

UN HIPPOPOTAME PAS COMME LES AUTRES

L’époque prédynastique a fourni une documentation iconographique abondante et variée à propos de cet animal. Les tombes de l’époque de Nagada I (3900-3650 av. notre ère environ) et du début de Nagada II ( 3650-3300 av. notre ère environ) ont livré un grand nombre de vases de type White Cross-lined (à engobe rouge et décor de croisillons peints en blanc) ornés d’un ou plusieurs de ces animaux parmi des végétaux stylisés ou de scènes de chasse au harpon. Ces dernières symbolisent la nécessaire maîtrise des forces chaotiques, incarnées par l’hippopotame.

La statuette d’hippopotame du MAN appartient à une série plus rare en raison de sa grande taille. Fabriquée en limon du Nil avec un dégraissant végétal, elle offre une version très reconnaissable, bien que stylisée, de l’animal : les pattes sont épaisses et la tête présente à la fois le large mufle si caractéristique avec des naseaux en surépaisseur, des yeux proéminents et de petites oreilles dont l’une est brisée. Au lieu d’une forme rebondie, le corps ressemble à une sorte de tablette horizontale épaisse dont la surface semble avoir été soigneusement régularisée.

UNE DÉCOUVERTE QUI REBAT LES CARTES

Longtemps sans comparaison directe, cette statuette a suscité des doutes sur son authenticité mais la découverte en 2018 à Hierakonpolis des vestiges d’une étonnante statue incite à la réexaminer.

Entièrement fabriquée dans du limon du Nil mêlé à des inclusions de paille et des fragments minéraux, cette statue très fragmentée, est exceptionnelle par sa taille, estimée à 1,50 m ou 2 m, qui pourrait correspondre à celle d’un jeune hippopotame. Cette création a demandé une remarquable maîtrise technique dont il est encore difficile de préciser la datation, puisque des sculptures analogues sont connues tout au long de l’époque prédynastique et jusqu’aux premières dynasties. La taille et le mode de fabrication de cette statue peuvent être rapprochés de ceux d’une tête d’hippopotame de 50 cm de long environ, en terre cuite grossière, trouvée à Qustul en Nubie (Egypte), en association avec des tombes datées de l’époque de Naqada III. La zone de la nécropole HK6 de Hierakonpolis ayant livré les restes d’une installation à usage rituel à l’époque prédynastique, remaniée au Naqada III, il est possible que cette grande statue ait pu être exposée sur une terrasse surélevée, tel un gardien du monde des morts.

Vu sa qualité d’exécution, son état de conservation et ses proportions, la statuette du MAN pourrait être rattachée à cette série d’objets hors du commun et avoir rempli un rôle analogue au sein de l’une des tombes de la nécropole de Toukh (Nagada).

BIBLIOGRAPHIE

Catalogue sommaire illustré des collections du musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye : Archéologie comparée, Tome 1, Afrique, Europe occidentale et centrale, Paris : Réunion des musées nationaux, 1983, p.143

Droux, Xavier, Hierakonpolis Hippo Round Up !, Nekhen News, 27, 2015, p.8-9, disponible en ligne

Friedman, Renée, The Hippo Next Door : Further Discoveries Around Tomb 111, Nekhen News, 30, 2018, p. 13-14, disponible en ligne

LIENS UTILES

Vers l'objet du mois

Vers le portrait de Jacques de Morgan

 

Statuette d'hippopotame by archeonationale on Sketchfab

  Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
figurine
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© RMN GP (MAN) - Thierry Le Mage
Figurine néolithique japonaise

Entre 3 500 et 2 500 avant notre ère environ Utsunomiya (Japon)

Dénommée d’après un type de décor par impression de cordelette, très répandu dans sa panoplie de vases en terre cuite, la période Jōmon s’étend de 12 000 à 300 avant notre ère environ et comprend six phases successives.

À cette époque (équivalant au Néolithique), les chasseurs-cueilleurs de l’archipel se fixent progressivement dans des villages aux maisons semi-enterrées. Ils continuent de vivre en étroite symbiose avec leur environnement associant forêt tempérée (ressources végétales et animales) et milieu maritime (consommation de coquillages marins).

Cet exemplaire représente un buste féminin plutôt trapu, aux épaules brisées, à la tête traitée « en sifflet », la face plate encadrée de légères protubérances (oreilles ?) et marquée d’incisions sommaires pour indiquer les yeux, le nez et la bouche. Au-dessus des seins sont incisés des motifs en forme de croissant. D’autres lignes incisées se recoupent au revers de la pièce ainsi que sur le dessus aplati de la tête.

Pour en savoir plus, consultez la présentation dans le cadre de l'objet du mois

 

Armes
Carquois en bambou de Malaisie
© Jean-Gilles Berizzi
Carquois de Malaisie

Malaisie

XIXe siècle

Cet instrument typique de la panoplie d’une partie des chasseurs aborigènes de la péninsule malaise, montre l’ingéniosité des peuples indigènes qui tirent parti des ressources de leur milieu naturel.

LES EXPÉDITIONS DE JACQUES DE MORGAN

Au cours du XIXe siècle se multiplient les voyages d’exploration de savants occidentaux à travers le monde. En 1884, Jacques de Morgan (1857-1924) met ses compétences de géologue au service d’une société d’exploitation minière implantée en Malaisie. Il est l’un des premiers Européens à pénétrer aussi loin dans les montagnes du royaume de Pérak (Malaisie) et établit la première carte topographique de la région. Le jeune explorateur s’intéresse aux populations qu’il rencontre. Tout en collectant des objets de la vie quotidienne, il relève avec précision les costumes, tatouages et parures et observe les modes de chasse et de pêche, la construction des habitations, l’usage des remèdes médicinaux et les fêtes auxquelles il assiste... Il est l’un des premiers à avoir noté certaines différences entre les groupes de population sakaye (aujourd’hui senoi) et semang (aujourd’hui négritos, distincts des autres aborigènes). Négritos (semang) désigne un groupe de population rattaché aux Hoabinhiens (du nom d’un site du nord du Viêt Nam) ayant occupé la péninsule malaise entre le VIIIe et le Ier millénaire avant notre ère. Senoi désigne un groupe composé pour moitié de descendants de Négritos (semang) et pour moitié de populations d’ascendance indochinoise.

CONÇU POUR UNE CHASSE ABONDANTE

Les carquois senoi, dont l’exemplaire du MAN est emblématique, sont aménagés dans un entre-nœud de bambou de gros diamètre (6 à 10 cm) et possèdent un capuchon de vannerie spiralée en rotin, témoignant souvent d’une parfaite maîtrise de l’art de la sparterie. L’intérieur du couvercle comporte souvent un petit cercle de rotin retenant des fragments d’étoupe, parfois utilisés pour augmenter la puissance de tir de la sarbacane. Le décor de ces carquois est assez couvrant et composé de motifs géométriques gravés, parfois opposés les uns aux autres : triangles, lignes festonnées, croisillons… Un os animal, servant de charme magique pour une chasse abondante, est souvent accroché à la courroie de fixation du carquois à la ceinture. La plupart de ces étuis contiennent encore des fléchettes à empennage conique calées par des fragments de feuilles ou dans des compartiments formés de petits tubes de bambou juxtaposés.

DE L'ARC À LA SARBACANE

Les Négritos nomades collectent des produits forestiers et vivent surtout de la chasse et de la pêche. À l’époque du voyage de Morgan, ils utilisaient encore l’arc avec des flèches parfois empoisonnées. Dès cette époque et par la suite, ils ont progressivement abandonné l’arc au profit de la sarbacane dont ils ont appris la fabrication auprès des Senoi, à partir de deux tubes minces en bambou rentrant à force l’un dans l’autre. Le carquois est l’ustensile complémentaire de la sarbacane. Destinés à transporter les fléchettes, ces étuis se répartissent en deux grandes catégories.

BIBLIOGRAPHIE

JAUNAY (A.) (dir.), Exploration dans la presqu’île malaise par Jacques de Morgan (1884), Paris, CNRS, Éditions, 2003.

Christine Lorre, « Chasser dans la forêt tropicale malaise : un carquois de fabrication aborigène », Archéologia, 2021, p. 20 – 21

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Armes
Casse-tête huron
© Loïc Hamon
Casse-tête huron

Région des Grands Lacs, Canada

18e siècle ap. J.-C.

UNE PERSPECTIVE ETHNOARCHÉOLOGIE AVANT L'HEURE

La provenance exacte de cette massue est inconnue. Son inscription dans l’inventaire du milieu du XIXe siècle du musée de Marine du Louvre est la confirmation d’une origine ancienne que des spécialistes font remonter au XVIIIe siècle. Publié en 1917 dans le catalogue du musée rédigé par Salomon Reinach, l’objet est intégré à la présentation muséographique des vitrines consacrées à la culture matérielle américaine. Dans une perspective « d’ethnoarchéologie » avant la lettre, il permettait d’évoquer l’équipement traditionnel des groupes autochtones d’Amérique du Nord, de montrer la variété des objets en matériaux organiques souvent détruits en contexte archéologique et d’illustrer l’adaptation de la forme de ces objets à leur usage.

UN OBJET AU DÉCOR ÉLABORÉ

Fabriquée dans le bois extrêmement dur et dense d’un nœud de souche de hêtre ou d’érable, cette massue a été sculptée d’un seul bloc. Le sculpteur a utilisé la déformation naturelle de la pièce de bois pour tailler le long manche et la sphère ovoïde massive. Une sorte de lézard, dont la tête a été cassée, est soigneusement exécuté en haut-relief au sommet de la courbure du manche, marquant le raccord avec l’extrémité sphérique de l’objet. De minuscules perles de verre blanches incrustées dans le bois soulignent l’arête du manche et ornent la boule sous la forme de motifs en croix. Sur l’une des faces du manche ont été incisés des signes ou une sorte d’inscription tandis que quatre personnages filiformes et sans tête sont schématiquement gravés sur le dessus du manche. Les dessins incisés le long du manche représentent les hauts faits du guerrier. Les figures humaines schématiques sans tête symbolisent les ennemis tués et ceux représentés avec une tête, les prisonniers. Parfois, une série de lignes verticales indique le nombre de combats engagés. Certains casse-têtes offrent un décor plus élaboré, en relation avec la compréhension de l’univers et des forces qui y sont à l’œuvre, propre aux hommes de ces premières nations.

UNE "CARTE DE VISITE"

Ce type d’objet était l’une des armes emblématiques des groupes de la famille iroquoienne habitant les forêts (Woodlands) du nord-est des États-Unis et du sud du Canada tels que les Hurons. Ce nom leur a été attribué par les colons français débarqués au Canada au XVIIe siècle et sans doute un peu effrayés par leur apparence et leur coiffure qui évoquait une hure de sanglier. Le casse-tête était l’arme la plus utilisée pour le combat au corps à corps dans les forêts du nord-est américain aux XVIIe et XVIIIe siècles. Plutôt que lancé à distance, il était utilisé pour frapper directement et fracasser le crâne ou la mâchoire des ennemis Selon les récits de témoins contemporains, les guerriers indiens pouvaient utiliser leurs massues à décor gravé comme une sorte de « carte de visite » : ils abandonnaient le casse-tête auprès du mort, afin que leurs ennemis sachent qui avait tué et à quelle nation il appartenait.

BIBLIOGRAPHIE

Christine Lorre, « Un témoin des premières nations de la région des Grands Lacs au Canada », Archéologia, 2022, p. 22 – 23  

LIENS UTILES

Pour en savoir plus sur les Wendats (Hurons)

Pour en voir plus sur les Wendats

Les collections du Musée huron-wendat

Pour en savoir plus sur les différents groupes natifs américains

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Céramique
Jarre Banshan 76436
© Thierry Le Mage
Deux jarres Banshan

Néolithique, Culture dite de Majiayao (vers 3300 à 2000 av. notre ère), phase Banshan (2700 – 2000 av. notre ère)

Chine, Nord-Ouest, cours supérieur du Fleuve Jaune

 

JOHAN GUNNAR ANDERSSON ET LA PRÉHISTOIRE

La culture de Majiayao est connue dès les années 1920, lors de recherches géologiques en Chine, notamment en lien avec le travail comme conseiller du gouvernement Chinois pour les mines de Johan Gunnar Andersson (1874 – 1960). En collaborations avec des collègues chinois, il est à l’origine des premiers travaux sur la culture de Yangshao qui précède la culture de Majiayao sur le même territoire. C’est un moment crucial de l’archéologie chinoise, puisque c’est la première fois que sont réalisées des études scientifiques à propos de ces périodes en Chine. Elles n’avaient en effet jamais été mentionnées dans les documents historiques consacrés à l’histoire chinoise, bien que des objets du néolithique aient été collectionnés sous les dynasties Song (960 – 1279) et Qing (1644 – 1911). Andersson est à l’origine deces recherches, ainsi que du Musée des antiquités de l’Orient de Stockholm (Suède).

DES VASES À MOITIÉ PEINTS

Ces deux jarres sont caractéristiques de la culture de Majiayao, plus précisément de sa seconde phase, la phase Banshan. La fabrication de leur panse très arrondie, mais légèrement écrasée sur un pied étroit, et leur goulot resserré a été facilitée par l’utilisation de l’argile très plastique du nord du Fleuve Jaune, plus malléable et donc adaptée aux formes arrondies. Une autre caractéristique réside dans leur décor, seulement appliqué sur le haut de la panse, la moitié inférieure du vase étant laissée vierge. Pour la première jarre, le décor est constitué de spirales qui s’articulent autour de formes rondes ou « noyaux » ; pour la seconde, il comprend des rayures horizontales. Sur les deux, le décor se termine par une bande constituée de demi-cercles. Les motifs sont peints en noir et rouge, comme sur toutes les productions de ce type. La spirale est un thème essentiel de la culture de Majiayao. Son origine est encore débattue actuellement ; elle pourrait provenir de l’Est, de la région du Henan, notamment de la culture Miaodigou, mais elle pourrait tout aussi bien avoir été transmise par des cultures d’Asie Centrale. Ces jarres étaient déposées dans des fosses, soit fichées dans le sol, soit empilées les unes sur les autres. Cette façon de les stocker expliquerait l’absence de décor en partie basse. Une autre hypothèse voudrait que ces motifs aient pu permettre de les reconnaitre individuellement, en fonction de leur contenu.

LE SIGNE DE RÉSEAUX COMMERCIAUX COMPLEXES

La céramique est un indicateur essentiel de la culture de Majiayao. Elle permet d’en définir plusieurs phases en se fondant sur les évolutions plastiques et iconographiques. La production de vases Majiayao perd progressivement en qualité de phase en phase, les formes étant moins stables, les motifs moins soignés au cours du temps. Selon certains spécialistes, ce phénomène pourrait être expliqué par une production intensive en réponse à une demande toujours plus grande à des fins funéraires, deuxième fonction de ces récipients après le stockage. Cette évolution pourrait être liée à la démographie de la Chine du Nord au Néolithique. Certains auteurs affirment aussi que cette demande a suscité l’émergence de réseaux d’échanges interrégionaux, certains groupes parvenant à garder une production qualitative. Cela prouverait l’existence de systèmes socio-économiques complexes, avec de véritables réseaux commerciaux, ces céramiques devenant des produits de large diffusion, et non plus une production locale réalisée par chaque village en fonction de ses besoins.

BIBLIOGRAPHIE

Catalogue sommaire illustré des collections du musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye : Archéologie comparée, tome 2 : Europe orientaler, Asie, Océanie, Amérique ; Paris : Réunion des musées nationaux, 1989, p. 176.

Hung, Ling-yu, "Pottery Production, Mortuary Practice, and Social Complexity in the Majiayao Culture, NW China (ca. 5300-4000 BP)" (2011). All Theses and Dissertations (ETDs). 589. https://openscholarship.wustl.edu/etd/589

Danielle Elisseeff, Art et archéologie : la Chine du néolithique à la fin des Cinq Dynasties (960 de notre ère), Paris, École du Louvre, Éditions de la Réunion des Musées Nationaux (Manuels de l'École du Louvre), 2008.

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Casque
Grand masque en sparterie
© GrandPalais RMN / Jean-Gilles Berizzi
Masque baba ou baapa

Baba-Kumbu, Wosera, sud de Maprik,

Province du Sepik oriental (East Sepik Province), Papouasie-Nouvelle-Guinée

En sparterie régulière et serrée, ce masque-heaume est caractéristique de la culture Abelam des régions d’Ambunti, de Wosera et de Maprik, au nord de la Province du Sepik oriental, dans l’état indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée.  

LES MISSIONS DE PIERRE ET ANNE-MARIE PÉTREQUIN

Cet objet est issu des missions scientifiques menées par Anne-Marie et Pierre Pétrequin entre 1984 et 2002 dans la province actuelle de Papua Barat (ancien Irian Jaya, Indonésie). Ancienne colonie des Pays-Bas, ce territoire n’a pas fait l’objet d’explorations françaises, si bien que les productions matérielles de sa population sont très peu représentées dans les collections françaises. La collection donnée au MAN est donc une documentation de référence et non seulement une collection d’objets choisis pour leurs qualités esthétiques, même si certains d’entre eux sont d’une grande beauté. Issue de la pratique ethno-archéologique, cette collection permet de proposer de nouvelles hypothèses de travail, pour tenter de mieux comprendre les conditions de formation des contextes archéologiques où seuls sont conservés certains témoins matériels (outils, parures, céramiques, armes...), le plus souvent en matériaux non ou peu périssables.

UNE FIGURE D'ANCÊTRE

Ce type de masque représente une figure d’ancêtre et est tantôt interprété comme la représentation d’une tête d’oiseau, tantôt comme celle d’un cochon. D’une forme générale oblongue, il présente deux gros yeux en relief entourés de cercles concentriques alternant avec des zones ajourées. Ces cercles structurant la face sont enduits de pigments naturels blancs, ocre jaune et ocre rouge. Le nez est constitué d’une sorte de forte arête de vannerie surplombant une petite bouche exécutée en creux et soulignée de pigments rouges. À la différence d’autres modèles présentant des appendices très proéminents, deux cercles en creux marquent symétriquement l’emplacement des oreilles. Enfin, au sommet du masque, un toupet de plumes de casoar souligne une sorte de petit cimier transversal.

OBJET RITUEL

Traditionnellement associé à un clan, ce masque était porté avec une longue jupe de feuilles de pandanus et un collier de fruits colorés. Faisant partie du monde des esprits, il a un rôle particulier qui peut parfois s’exprimer violemment, dans le cadre des cérémonies du culte des ancêtres et des ignames (rites célébrant la fertilité). Chargé de faire respecter les lois du groupe qu’il représente, il écarte la foule à l’aide d’une lance lors des préparatifs pour les cérémonies d’initiation : il effraie ainsi les femmes, les enfants et les non-initiés et les tient éloignés de tous les lieux qui leur sont interdits.

En dehors des périodes de fêtes ritualisées, les masques baba sont conservés au sein des maisons cérémonielles des hommes, suspendus dans la fumée du foyer afin de limiter les risques de décomposition et les conserver en bon état.

BIBLIOGRAPHIE

Coiffier Christian. Rituels et identité culturelle iatmul (Vallée du Sépik - Papouasie Nouvelle-Guinée). In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 79 N°2, 1992. pp. 131-148.

Pétrequin Anne-Marie et Pierre, Objets de pouvoir en Nouvelle-Guinée, Approche ethnoarchéologique d’un système de signes sociaux, Catalogue de la donation Anne-Marie et Pierre Pétrequin, Réunion des Musées Nationaux, Paris : 2006, p.50

LIENS UTILES

Liens vers les collections du musée du quai Branly-Jacques Chirac

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Armes
Media Name: Poignard en bronze
© Photo MAN - V. Go
Poignard de Djönü (Azerbaïdjan)

Djönü (Talyche, Azerbaïdjan)

Âge du Bronze récent, vers 1350-1200 av. J.-C.

Collection Jacques de Morgan

Découvert dans une sépulture de la nécropole de Djönü, dans la région montagneuse de la vallée du Lenkôran, en Azerbaïdjan, ce poignard en bronze se distingue par son pommeau en forme de croissant, typique de certaines armes de la région du Caucase méridional.  

L'EXPLORATION DU CAUCASE PAR JACQUES DE MORGAN

Ce poignard appartient à la collection d’objets archéologiques constituée lors du voyage d’exploration de Jacques de Morgan dans le sud du Caucase. Après une expérience en Arménie, l’archéologue voyage entre 1889 et 1892 en Asie occidentale grâce au soutien financier du ministère de l’Instruction publique. En raison d’interdictions, Morgan modifie son itinéraire et parcourt les régions de la rive méridionale de la mer Caspienne, peu connues à l’époque. Il parvient dans la région du Lenkôran (en actuel Azerbaïdjan et anciennement Talyche russe) et fouille en compagnie de sa femme, entre avril et juin 1890, pas moins de 191 sépultures à Djönü. Les découvertes du Lenkôran sont exposées au musée Guimet (Paris) de l’automne 1892 à l’été 1893, avant que le matériel archéologique ne soit affecté au musée d’Archéologie nationale.

UNE FONCTION PLUS SYMBOLIQUE QU'UTILITAIRE

Trouvé dans l’une des tombes de la nécropole haute, ce poignard présente une épaisse lame triangulaire plate et biseautée aux bords concaves et une garde rectangulaire soulignée de trois nervures. La fusée de la poignée, quant à elle, comprend cinq anneaux en bourrelet. Cet objet se distingue par son pommeau en forme de croissant très large et évasé. Les rebords inférieurs de l’arc servaient peut-être de point d’appui à un élément aujourd’hui disparu, taillé en pierre ou en matière organique. La forme de la lame et la fusée pleine sont typiques des armes de la région du nord de l’Iran à la fin du IIe millénaire av. J.-C., dont certaines conservent des éléments d’incrustations (poignards d’Agha Evlar et de Véri, dans la même région). Le poignard de Djönü se rattache aux productions métallurgiques identifiées dès l’époque de la dynastie d’Ur (première moitié du IIIe millénaire av. J.-C.), présentant des similitudes à la fois morphologiques et esthétiques. Le type du pommeau en arc de cercle ou croissant est adopté entre le Bronze moyen et le Bronze récent dans l’ensemble du Levant et même en Égypte. Daté entre 1350 et 1200 av. J.-C., il serait plutôt un poignard cérémoniel, et il y a peu de doute quant à son caractère symbolique.

LA NÉCROPOLE DE DJÖNÜ (ACTUEL ÇONU)

La nécropole de Djönü est située au sud du village du même nom. Constituée d’une nécropole basse à 1720 m d’altitude et d’une nécropole haute à 1830 m d’altitude, elle est intensivement explorée par Jacques de Morgan en 1890. Malgré des pillages successifs, elle figure parmi les sites archéologiques représentatifs du Caucase du Sud. La majorité des sépultures de la nécropole haute ont livré un riche mobilier. Morgan en a décrit trois parmi les quarante fouillées. Il s’agit de sépultures mégalithiques pour la plupart construites avec de grandes dalles de pierre et recouvertes d’un tumulus en terre. Parfois, elles sont entourées d’un cercle de pierres. La nécropole basse est organisée comme un véritable cimetière. Elle est constituée de sépultures plus petites, datées de la fin de l’âge du Bronze et du premier âge du Fer. Dans sa publication, Morgan ne décrit que trois tombes, jugées les plus caractéristiques à ses yeux. La nécropole a livré des parures, des récipients en terre cuite, de l’armement et de l’outillage, notamment beaucoup d’objets cuivreux et en fer. L’archéologue Claude Schaeffer a daté le mobilier de la période de transition entre les âges du Bronze et du Fer (entre la fin du IIe millénaire et le début du Ier millénaire av. J.-C.). Si la région dispose de gisements de cuivre, l’étain n’est utilisé que pour quelques objets en bronze et peut-être importé d’Asie. Ce site témoigne en particulier des échanges commerciaux avec le Nord de l’Iran, mais également avec des régions plus éloignées telles que la Mésopotamie et le sous-continent indien.

BIBLIOGRAPHIE

HAZE, Mathias. La nécropole de Djönü et les pratiques funéraires à la fin de l’âge du Bronze et au début de l’âge du Fer dans la vallée du Lenkôran (République d’Azerbaïdjan). In : Antiquités Nationales, 2012, n°43, p. 163-182.

LORRE, Christine. Poignard en bronze de Djönü. In : Archéologia, décembre 2015, n°538, p. 14-15.

LIENS UTILES

Lien vers Sur les pas de Jacques de Morgan

Lien vers l'objet du mois

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Peinture
Retour de la chasse à l'ours
Retour de la chasse à l'ours - Âge de la pierre polie © GrandPalais RMN / Jean-Gilles Berizzi
Retour d'une chasse à l'ours - Âge de la pierre polie

Saint-Germain-en-Laye, France

1884

Ce tableau fait partie des œuvres qui ont marqué leur époque, autant par ses dimensions colossales que par son sujet.  

UNE COMMANDE COLOSSALE

Il orne depuis le 24 juin 1890 l’ancienne salle de bal du château de Saint-Germain-en-Laye, actuelle salle d’archéologie comparée du musée d’Archéologie nationale. Hormis durant la période des travaux de rénovation de la salle de 1895 à 1905, le tableau n’a jamais quitté son emplacement d’origine. Il s’agit en effet d’une peinture à l’huile sur toile spécialement commandée en 1881 par l’administration des Beaux-arts pour le musée des Antiquités nationales. Cette œuvre spectaculaire, dont une esquisse de 1882 est conservée au musée des Beaux-Arts de Carcassonne, fut saluée au Salon de 1884 et présentée à l’Exposition universelle de Paris en 1889. L’œuvre de Cormon répondait aux attentes du public du XIXe siècle : découvrir à quoi pouvaient ressembler les hommes de la Préhistoire, leurs outils et leur environnement. Il s’agissait en effet de donner un sens à tous ces outils en pierre exposés au musée, raconter aux visiteurs une histoire avec des personnes qui leur ressemblaient pour pouvoir les captiver. Dans ce but, d’autres œuvres ont rejoint le tableau de Cormon dans la salle comme Funérailles sur les bords de Seine de Xénophon Hellouin acquis précédemment ou Deux mères peint par Maxime Faivre. La fonction pédagogique de ces toiles n’a plus été comprise au fil des découvertes scientifiques et, à la fin des années 1930, toutes furent rendues à l’administration des Beaux-Arts. Seul le colossal tableau de Cormon est resté exposé.

UN RETOUR DE CHASSE CHEZ UNE FAMILLE

Une troupe de cinq hommes revient d’une chasse à l’ours et rejoint le reste du clan, abrité auprès d’un grand arbre sur un promontoire. Sur la gauche, accompagné de deux chiens, apparaît le groupe des chasseurs, vêtus de peaux de bêtes, armés de lances, d’arcs et de haches en pierre polie. Ils portent parfois des coiffes mais ont généralement la chevelure longue et libre, et une barbe touffue. Celui qui les mène désigne leur proie jetée à terre : un ours. Placé au centre de la composition, ce dernier semble être offert à un vieillard à longue barbe blanche, assis au second plan sur une grande pierre, devant une hutte en branches. L’homme tient une lame en pierre qu’il est en train de polir sur son tablier de peau, à côté d’autres outils et des manches posés devant lui. Derrière le patriarche et sur sa droite, se trouve le groupe des femmes et des enfants. La plupart des femmes sont assises près du foyer et de vases à provision, portant des jupes en fourrure et en peau de bête. Une vieille femme assiste à la scène, bras croisés, une jeune femme allaite un enfant, une autre se tient debout près d’un poteau de la hutte.

UNE VISION TRONQUÉE DU NÉOLITHIQUE

Lors de sa première présentation en 1884, on a vanté la magnificence de l’œuvre de Cormon qui, en s’aidant des données des savants et en reproduisant des outils de l’Âge de la pierre polie (c’est-à-dire du Néolithique), pensait offrir un portrait « véridique » d’une famille préhistorique. L’appréciation portée aujourd’hui est controversée car il s’agit d’une création à la fois imaginaire et clairement influencée par les mentalités du XIXe siècle. La hutte qui abrite la tribu, par exemple, a été inspirée à l’artiste par la cabane que possédait son ami Théophile Deyrolle à Concarneau. La chasse à l’ours n’était pas une activité fréquente au cours de la Préhistoire, mais l’artiste a sans doute choisi de représenter une chasse jugée prestigieuse par ses contemporains. De plus, les hommes reviennent de la chasse, activité virile par excellence, ou montent la garde pour protéger les femmes. Ces dernières semblent être dans l’attente, entretenant le foyer, conservant la nourriture, maternant les enfants ou donnant à boire aux vaillants héros revenus de la chasse. Alors que les hommes, la peau tannée par le grand air, sont armés, habillés, dotés d’une pilosité qui correspond aux canons du XIXe siècle, les femmes, au teint d’albâtre, parées d’un discret collier, sont dénudées comme des statues et érotisées. Cependant, tout n’est pas que fantaisie dans cette œuvre : les outils sont représentés de manière très réaliste et l’on sait que Cormon venait les étudier au musée.

BIBLIOGRAPHIE

Christine Lorre et Anaïs Boucher, « Retour d’une chasse à l’ours – Âge de la pierre polie de Fernand-Anne Piestre dit Cormon (1845 – 1924) », Archéologia, 2016, p. 22 – 23

LIENS UTILES

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Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Statuette
Statuette anthromorphe masculine
© GrandPalaisRmn (musée d'Archéologie nationale) / Franck Raux
Statuette anthropomorphe masculine

Sud de la Transcaucasie

Début de l’âge du Fer (vers 1200-1000 avant J.-C.)

UNE STATUETTE DU CAUCASE

Identifiée par l’archéologue Roman Ghirshman comme une statuette masculine originaire du Louristan, elle proviendrait plus probablement des contreforts méridionaux de la chaîne du Caucase, entre l’actuelle Arménie et le Talyche iranien.

UN PERSONNAGE TRÈS DÉTAILLÉ

Le personnage porte un petit pagne court fabriqué dans une peau de félin dont on voit la tête en relief très abrasé au niveau de son postérieur. Des représentations gravées quasi-symétriques de serpents sur la poitrine semblent s’achever par l’évocation d’une sorte de large ceinture à décor de zigzags sur le ventre du personnage.

La représentation gravée d’un cervidé dans le dos pourrait faire allusion à un tatouage comme le pressentait R. Ghirshman, par analogie avec certaines populations du Nord-Caucase ou d’Asie centrale qui en portaient jusqu’à une époque plus récente.

Le personnage présente une longue barbe probablement tressée (fines incisions en chevrons) et tient ses mains plutôt plaquées l’une sur l’autre dans un geste d’adoration, bien connu dans le monde mésopotamien et alentour.

D’une réalisation particulièrement soignée et en excellent état de conservation, ce type de statuette anthropomorphe est un objet extrêmement rare, notamment par ses dimensions, pour lequel il est très difficile de trouver des comparaisons directes.

UN "CHAÎNON" ENTRE CAUCASE ET MÉSOPOTAMIE

Par son style, influencé tant par la haute-Mésopotamie (hiératisme, pose des mains, barbe) que vraisemblablement aussi par l’art ourartéen (attributs, peau de félin) et par sa datation, estimée à la transition entre la fin du IIe millénaire et le début du Ier millénaire avant J.-C., cette statuette constitue pour le MAN un « chaînon » intermédiaire de toute première importance pour la présentation des populations antiques du Caucase.

L'intérêt de cette statuette est aussi d'évoquer le port des nombreux exemplaires de larges ceintures gravées provenant d’Arménie (dont certaines sont conservées au MAN). La représentation du cervidé serait également à mettre en relation avec les très nombreuses figurines animales évoquant l’environnement naturel montagnard ainsi qu’une partie des mythes et légendes caractéristiques du monde caucasien, souvent en rapport avec le cycle des saisons et donc de la vie.

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Sculpture
Tête de femme coiffée d'un kékryphale : chignon rejeté en arrière, bandeau, diadème à 7 rosettes en relief, cordon autour du cou (pendeloque non conservée), couvre-oreilles en forme de peignes à 4 dents, boucles d'oreilles circulaires à bouton central, restes de pigments rouges au niveau des boucles d'oreilles
© GrandPalaisRmn (MAN) / Tony Querrec
Tête féminine avec un kékryphale

Chypre

VIe siècle – Seconde moitié du Ve siècle avant J-C

LA COLLECTION LOUIS DE CLERCQ

Cette tête féminine particulièrement fine a autrefois fait partie de la collection de Louis de Clercq. Cette collection était l’une des plus anciennes au monde puisqu’il avait acheté une grande partie de la collection de Pérétié, chancelier du consulat de France à Beyrouth en 1859, qui fut l’un des premiers voyageurs français à s’intéresser à l’archéologie chypriote.

UNE COIFFURE ÉLABORÉE

Bien conservée, cette tête ne comporte qu’une balafre à la joue et la cassure de son cou est régulière. Les traits du visage sont délicats, caractéristiques de la production chypriote du VIe siècle. Les yeux en amande, la bouche finement ourlée, rappellent les productions ioniennes. Des détails comme le collier court orné d’un médaillon, le bandeau composé de rosettes ou les cheveux enveloppés dans un kékryphale sont des éléments de la parure féminine particulièrement intéressants. Son style de coiffure, emprunté à l’art grec, est un motif récurrent de la sculpture chypriote des VIe – Ve siècles. La figure représentée est difficile à identifier précisément, elle pourrait être une divinité, une musicienne, ou bien une orante. On peut remarquer des restes de polychromie, avec des traces de pigments rouges au niveau des boucles d’oreilles.

LA RECHERCHE D'IDENTITÉ DE CHYPRE SOUS LA DOMINATION PERSE

Chypre est passée sous domination perse à la fin du VIe siècle avant J.-C. Les Grecs, en pleins préparatifs pour les futures guerres médiques, ne peuvent que s’engager politiquement en faveur de Chypre, sans pour autant libérer l’île. Cet engagement a une résonnance culturelle pour les Chypriotes, puisqu’il ravive la conscience d’un sentiment d’appartenance à la même famille culturelle qui se traduit par un goût pour l’art grec. Ainsi, cette tête s’inscrit pleinement dans le contexte de domination perse et de recherche identitaire de Chypre à cette époque, puisqu’elle présente des caractéristiques de l’art grec archaïque.

BIBLIOGRAPHIE

Alfred de Ridder, Collection de Clercq, tome V, Paris, 1908, n° 95, pl. XIV

A. Caubet, A. Hermary et V. Karageorghis, Art antique de Chypre au musée du Louvre, du Chalcolithique à l’époque romaine, Paris : Réunion des musées nationaux, 1992

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes
Enluminure
Media Name: o_manuscrit tamoul_archeologie_comparée.jpg
Manuscrits tamouls

XVIIIe ou XIXe siècle

Deux manuscrits indiens sur feuilles de palme, témoins du développement de l’orientalisme français, ont récemment été restaurés et ont bénéficié d’une nouvelle étude.  

OBJETS DE CURIOSITÉ

Objets de curiosité, ces manuscrits ont été collectés successivement par deux chirurgiens de marine au cours de la première moitié du XIXe siècle. Au début des années 1830, ils furent donnés à l’ancien musée de Marine qui conservait au sein du Louvre des objets rapportés lors des explorations maritimes patronnées par le roi depuis le XVIIIe siècle. Au tournant du XXe siècle, la salle de comparaison du musée est installée par le conservateur Henri Hubert qui choisit d’exposer ces manuscrits singuliers parmi une sélection d’objets exotiques aux yeux du public européen. Ils pouvaient évoquer la variété des supports et des conceptions intellectuelles liés à l’apparition de l’écriture en différents endroits de la planète.

DES MANUSCRITS ÉCRITS SUR DES FEUILLES DE PALMIER

Ils sont constitués de plusieurs « ôles » (du tamoul ōlai signifiant feuille de palme) taillées dans des feuilles de palmier spécialement apprêtées. Depuis les premiers siècles de notre ère au moins, ce support d’écriture était traditionnel en Inde ainsi que dans les pays indianisés du Sud-Est asiatique. Les textes sont incisés à l’aide d’un stylet métallique. Le plus petit des manuscrits est composé de sept ôles et date du XVIIIe ou du XIXe siècle. Malgré l’absence de numérotation, l’ordre du texte a été conservé. Le premier feuillet comporte une invocation au dieu Śiva : « Nous rendons hommage en le priant et en le priant (encore) au dieu qui porte une couronne (de fleurs) d’ātti (c’est-à-dire Śiva) ». D’après ses imperfections, ce manuscrit pourrait être un exercice d’écolier. Le deuxième manuscrit comprend quarante-deux feuillets. Les ôles sont à peine moins grossièrement apprêtées que celles du précédent exemplaire. Elles sont numérotées dans la marge gauche, ce qui a permis de constater que ce manuscrit est incomplet. Le texte se déploie sur chaque ôle à raison de cinq lignes, sur toute la longueur, entre deux courtes marges servant à poser les doigts pour manipuler le manuscrit sans endommager le texte. Le texte est difficile à lire puisque, selon l’usage, il est écrit sans titre ni colophon (note finale donnant des indicatons sur l’ouvrage) et les mots ne sont pas séparés et ne comportent pas d’aides orthographiques (signes diacritiques).

BIBLIOGRAPHIE

Christine Lorre, « Deux manuscrits indiens sur feuilles de palme », Archéologia, 2020, p. 20 – 21

Riberaigua (Caroline), La restauration d’un trésor des bibliothèques du Collège de France. L’Aṣṭasāhasrikā-Prajñāpāramitā ou Perfection de sagesse en huit mille vers, Inde, XIe siècle, La lettre du Collège de France, n° 38, juin 2014, p. 66-67.

 

LIENS UTILES

L'objet du mois

 

Fiche rédigée par Christine Lorre et Audrey Lopes