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La Gaule romaine

La conquête de la Gaule chevelue par Jules César en 27 avant J.-C. est considérée comme le point de départ de la période gallo-romaine qui s'étend jusque 476 après J.-C. La structure politique, administrative, sociale et religieuse de la Gaule est totalement bouleversée.

Les objets

Statuette
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© GPRMN/MAN/Gérard Blot
Divinité de Bouray-sur-Juine

Bouray-sur-Juine (Essonne)
Fin du Ier s. av. J.-C. - début du Ier s. après J.-C. ?

Le panthéon gréco-romain s’impose aux Gaulois après la conquête de leur territoire, entre - 58 et - 52 av. J.-C. Cependant, certaines représentations reprennent des modèles antérieurs, comme c’est le cas de ce dieu assis en tailleur et portant un torque gaulois.

UNE DÉCOUVERTE QUI REMONDE AUX ANNÉES 1845

C’est à l’occasion du curage de la rivière traversant le domaine du château du Mesnil-Voysin (Essonne) qu’est mise au jour cette statue. Bien des années plus tard, Antoine Héron de Villefosse (1845-1919) - éminent membre de la Commission Topographique des Gaules - prend connaissance de cette découverte qu’il rapporte en 1911 à la Société nationale des antiquaires de France. L’archéologue évoque dans sa description de l’objet la couleur jaune du cuivre, ce qui correspond bien à un objet ayant effectué un séjour prolongé dans l’eau. En 1933, les héritiers de la marquise d'Argentré en permettent l'acquisition par le musée des Antiquités nationales.

UN ASSEMBLAGE DE TÔLES DE MÉTAL

La description de l’objet réalisée par Héron de Villefosse fournit de précieuses informations sur l’état de conservation de l’objet au début du XXe siècle. La partie supérieure, correspondant à la tête et au cou, est formée de deux feuilles de métal moulées et donc plus épaisses que les autres parties du corps fabriquées en tôle de bronze martelées. La face arrière est dessoudée. Le torse et les jambes repliées du personnage sont constitués de deux tôles soudées entre elles, la jonction étant dissimulée par des petites baguettes de cuivre. Celles-ci ont été arrachées sur le côté droit et une agrafe de cuivre semble constituer une tentative de réparation. La tête, disproportionnée par rapport au reste du corps, est dotée d'orifices pour les yeux. Celui de gauche conserve un œil en pâte de verre blanche et bleu foncé pour la pupille. Quant aux mains aujourd’hui disparues, il est probable qu’elles reposaient sur les genoux du personnage, si on considère les traces encore bien visibles. L'absence de trace sur le torse suggère que les bras pouvaient être écartés, à l'image de la statuette du Glauberg en Allemagne (Guillaumet 2023).

DES GAULOIS AUX GALLO-ROMAINS, L'AFFIRMATION D'UN MODÈLE

Quand cette statue est publiée pour la première fois, très peu de comparaisons existent et Héron de Villefosse établit d'emblée un parallèle avec le personnage coiffé de bois de cerf figurant sur le chaudron de Gundestrup. Ce bassin en argent représente un homme assis en tailleur et tenant dans ses mains un torque ainsi qu'un serpent. Contrairement à cet exemple et à la majorité des sculptures de ce type en pierre, le dieu de Bouray est représenté nu. Les pectoraux sont soulignés ainsi que les omoplates et le haut des cuisses. Le visage se distingue par la finesse des traits évoquant un jeune homme. La chevelure est traitée sous la forme de mèches en relief. Quant aux jambes, elles sont mal proportionnées et se terminent par des pattes de cervidé. Ces personnages, assis en tailleur, dont les plus anciens exemplaires remontent à l'âge du Fer, possèdent presque toujours un torque autour du cou. Caractéristique du guerrier celte, cette parure devient progressivement un attribut divin. La présence d'une ramure de cerf permet d'interpréter certaines de ces sculptures comme le dieu Cernunnos. À l'époque gallo-romaine, les dieux assis sont présents dans de nombreuses cités et notamment dans le centre de la Gaule. La présence de fruits ou de corbeille sur certaines sculptures incite à les considérer comme des pourvoyeurs de richesses.

Notice rédigée par Thierry Dechezleprêtre

 

BIBLIOGRAPHIE

DEYTS, Simone. Images des dieux de la Gaule. Paris : Errance, 1992, p. 14.

GUILLAUMET, Jean-Paul. Les personnages accroupis : essai de classement. BUCHSENSCHUTZ Olivier ; BULARD Alain ; CHARDENOUX Marie-Bernadette ; GINOUX Nathalie. Décors, images et signes de l’âge du Fer européen. Actes du XXVIe colloque de l’Association française pour l’étude de l’âge du Fer (Paris et Saint-Denis, 9-12 mai 2002), Supplément à la Revue archéologique du Centre de la France (24), FERACF, 2003, p.171-182.

HÉRON DE VILLEFOSSE, Antoine. Le dieu gaulois accroupi de Bouray (Seine-et-Oise). Mémoires de la Société Nationale des Antiquaires de France, Série 8, vol. 2 (1912) p. 244-275.

LANTIER, Raymond. Le dieu celtique de Bouray. Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, tome 34, fascicule 1-2, 1934. p. 35-58.

LIENS UTILES

https://archives.musee-archeologienationale.fr/index.php/informationobject/browse?topLod=0&sort=relevance&query=Bouray&repos=

 

Sculpture
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© RMN-GP. Jean Schormans
Pilier orné sur quatre faces : Rosmerta

Paris, Pont-au-Change Ier s. ap. J.-C.

En 1784, un pilier à quatre faces fut découvert derrière la Sainte-Chapelle. Il porte, sculptée en bas-relief, la représentation de quatre dieux : Apollon, un Génie ailé, Mercure et Rosmerta, compagne de Mercure. Il est possible qu’à l’origine, le pilier ait été surmonté d’une colonne portant un groupe statuaire, cavalier tuant un monstre, ou encore statue d’une divinité.

L’ensemble était sans doute érigé à l’air libre à Lutèce, chef-lieu de la cité des Parisii. Ce type de monument est assez répandu dans l’est de la Gaule et en Rhénanie, surtout à partir du IIe siècle après J.-C.. Placé au centre d’un enclos, il constitue un petit sanctuaire.

En Italie, Mercure n’a pas de parèdre (épouse ou compagne). En Gaule, en revanche, il est parfois représenté avec sa mère, la déesse latine Maïa, ou avec une déesse indigène, Rosmerta. Mais ici, en l’absence d’inscription gravée, on ne sait de laquelle il s’agit, car toutes deux sont en général représentées sous les traits banals d’une déesse romaine, vêtue, avec un voile et un diadème. La compagne indigène de Mercure prend donc, comme c’est si souvent le cas, l’aspect d’une déesse gréco-romaine. Rosmerta, qui semble plus populaire que Maïa, est surtout honorée dans le centre-est de la Gaule.

La divinité porte dans la main droite un caducée, l’objet symbolique de Mercure. C’est ce seul indice qui permet d’associer la déesse à Mercure, présent sur une autre face du pilier. Sur d’autres images, elle tient une bourse, autre attribut du dieu.

Apollon est représenté de façon classique, sous les traits d’un beau jeune homme nu aux cheveux longs. L’arc, à sa droite, et le carquois, dans son dos, sont ses attributs habituels, de même que la lyre, posée à sa gauche. Le dieu tient sur sa poitrine un petit animal, un dauphin. Lors de l’une de ses aventures, Apollon, se métamorphosa en dauphin. Ce dernier détail, assez inhabituel, semble prouver que le sculpteur à l’origine du pilier possédait une connaissance assez approfondie de la mythologie gréco-romaine, ou qu’il disposait d’un modèle, même s’il n’avait jamais vu un vrai dauphin. Apollon est particulièrement populaire en Gaule, où il est plus honoré comme dieu guérisseur que comme protecteur des arts.

Statuette
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© RMN-GP.Jean-Gilles Berizzi
Statuette de Mercure

Dragages de la Saône, à la pointe de l’île Barbe, en amont de Lyon (Rhône) Ier-IIIe s. ap. J.-C.

Cette statuette en bronze de Mercure le montre sous son aspect le plus classique : un jeune homme nu, portant sur l’épaule la chlamyde, le manteau des voyageurs, sur la tête le pétase ailé, des ailettes aux talons et le caducée. Les animaux qui l’accompagnent habituellement, le coq, le bélier et la tortue, manquent.

Mercure est un dieu romain particulièrement apprécié en Gaule romaine, surtout dans le centre, le nord et l'est du pays. Il protège marchands, voyageurs et étrangers, mais aussi, et c’est une originalité propre à la Gaule, les artisans.

Les pouvoirs du Mercure gallo-romain sont donc étendus, et reflètent peut-être l''assimilation partielle de la divinité gréco-romaine à une ou plusieurs déités celtiques. La statuette, comme d’autres en terre cuite ou en argent, appartenait sans doute à une petite chapelle domestique, devant laquelle étaient accomplis les rites religieux, mais Mercure était aussi honoré dans des grands sanctuaires, parfois situés sur des hauteurs, comme sur le Puy de Dôme.

Sur la tête, Mercure porte un pétase. Ce mot grec désigne un chapeau plat à larges bords porté par les voyageurs. Le pétase de Mercure était muni à l’origine de deux ailettes, dont seule une subsiste. Si Mercure porte le pétase, c’est qu’il protège (entre autres) les voyageurs, les ailettes rappelant sa célérité comme messager des dieux. Sur certaines statuettes, les ailettes émergent directement de la chevelure. On a supposé que cette anomalie pouvait indiquer que ces objets étaient fabriqués en Gaule, où le motif du pétase à ailettes n’aurait pas été compris par certains bronziers. De façon générale, l’image de Mercure romain ne donne lieu qu’à quelques rares interprétations indigènes. Il est ainsi parfois doté d’une barbe, revêtu d’un gros manteau à capuchon, doté de trois têtes ou montré assis en tailleur. Ces interprétations reflètent peut-être l’assimilation partielle du dieu gréco-romain à une ou plusieurs déités celtiques.

Dans la main droite, Mercure tient une bourse. Elle symbolise le gain issu des transactions commerciales, et, de façon globale, la prospérité. En Gaule romaine, des inscriptions révèlent que Mercure patronne les marchands, les marchés et le négoce, entre autres choses. Sur certaines statuettes en bronze, le dieu présente la bourse sur sa main ouverte, au lieu de la tenir suspendue. Cette particularité, absente des représentations gréco-romaines, pourrait être l’indice d’une fabrication en Gaule romaine.

Dans sa main gauche, Mercure porte un caducée. C’est un bâton de berger sur lequel s''enroulent deux serpents. Selon la mythologie grecque, cette houlette, en or, fut offerte par Apollon à Mercure (Hermès) en échange de la flûte inventée par ce dernier. À l’aide de ce bâton, il sépara deux serpents qui s’affrontaient ; l’objet devint alors symbole de concorde, de paix et emblème des hérauts. C’est donc le rôle de héraut divin, de messager des dieux, de Mercure qui est évoqué par le caducée. Il est peu probable que l’origine de cet attribut ait été connue de tous les nombreux Gallo-romains qui honoraient Mercure.  

Stèle
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© GPRMN/MAN/Gérard Blot
Stèle funéraire d'Apinosus Iclius

Entrains (Nièvre)
IIe siècle

Ce monument, particulièrement bien conservé, est caractéristique des monuments funéraires d’artisans ou de commerçants en Gaule romaine aux premiers siècles de notre ère.

UNE DÉCOUVERTE DANS UNE TUILERIE

C'est à l'occasion de travaux dans une tuilerie, en 1860, que cette stèle est dégagée du sol. Son très bon état de conservation démontre qu'elle n'a pas été, comme c'est souvent le cas, retaillée pour être remployée, mais qu'il s'agit de son lieu d'origine. Elle signalait la tombe elle-même qui devait prendre la forme d'une simple fosse dans laquelle étaient placées l'urne cinéraire ainsi que des offrandes. Ces dernières doivent être constituées notamment par des cruches et des jattes découvertes à cette occasion. D’autres stèles ont été mises au jour dans cette nécropole implantée à l’ouest d'Entrain-sur-Nohain (Nièvre) dont le nom antique est Intaranum. Comme c'est souvent le cas, cette nécropole se développe à proximité de voies, en l’occurrence celles qui relient Intaranum à Cenabum - Orléans et Avaricum - Bourges.

UN DÉFUNT DU NOM D'APINOSUS ICLIUS

Ce monument funéraire était planté directement dans la terre, ce qui explique la forme irrégulière de la base du bloc en calcaire. Son décor général évoque très schématiquement une architecture à fronton triangulaire encadré par deux pilastres. Le nom du défunt - APINOSUS ICLIUS - a été gravé sur le fronton entre les initiales D. M. correspondant à l’abréviation de la formule consacrée DIIS MANIBUS « Aux Dieux Mânes », c'est à dire en quelques sortes « aux âmes des ancêtres ». Les lettres se caractérisent par leur irrégularité. Le défunt est représenté dans une niche en cul-de-four, vêtu d'une tunique à manches larges qui retombe au-dessus de ses genoux. Mais l'originalité de son costume réside dans la présence d'une large écharpe dont les extrémités se finissent par des franges. Il est chaussé de bottes. Le personnage tient un marteau à long manche dans la main droite, et un pot ou un gobelet dans la main gauche. À ses pieds, un chien et un oiseau sont figurés dans une attitude très naturelle contrastant avec l’aspect figé de l’homme - ou de l’enfant ? - représenté.

LE PORTRAIT D'UN ARTISAN ?

Implanté au nord de la cité des Éduens, Intaranum est dans l’Antiquité une agglomération secondaire dont la prospérité provient vraisemblablement de sa position de carrefour routier (Devauges 1988). Sa parure urbaine semble avoir été particulièrement importante, si l’on en juge par la taille de son théâtre, la présence de plusieurs temples et les sculptures mises au jour. Parmi celles-ci, figure l’une des plus importantes statues d’Apollon découvertes en Gaule . Si l’on peut supposer l’existence d’artisanats variés, le travail du fer semble avoir été particulièrement développé. Bien que le métier du défunt ne puisse être déduit de la simple présence d’un marteau, cette stèle figure vraisemblablement un artisan ayant les capacités financières de faire réaliser un monument funéraire à son image.

Notice rédigée par Thierry Dechezleprêtre  

BIBLIOGRAPHIE

SARRIAU, Henri. Les inscriptions romaines d’Entrains (Nièvre), Bulletin de la Société nivernaise des lettres, sciences et arts, t. XVIII, 1896, p. 145-157.

DEVAUGES Jean-Baptiste. Entrains gallo-romain, 1988. Éditions Groupes de Recherches Archéologiques d’Entrains (Nièvre), p. 25-26. CIL, XIII, 2911.

ESPERANDIEU Émile, 1907-1938, III, n°2309, p. 272.

 

 

Vaisselle
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© RMN-GP. Hervé Lewandowski
Mobilier funéraire d'une sépulture d'officier romain

Chassenard (Allier) Vers 40 ap. J.-C.

En 1874, un cultivateur labourant son champ à Chassenard, dans l’Allier, près de Digoin, découvrit une sépulture à incinération d’époque gallo-romaine, et les objets destinés à accompagner le défunt dans l’au-delà, qui constituaient le « mobilier funéraire ». Ce mobilier, en dehors des objets précieux que l’on peut trouver dans certains tombes riches (vaisselle en bronze, strigiles, coffret) comprenait des pièces d’équipement militaire romain, ce qui est tout à fait exceptionnel, les soldats romains ne se faisant en général pas enterrer avec leurs armes.

D’autres objets tout aussi exceptionnels furent déposés dans la tombe : deux paires de coins monétaires en fer, destinés à frapper des monnaies en or de Tibère, empereur de 14 à 37. Ces instruments, monopoles de l’État romain, étaient sévèrement contrôlés pour éviter la fabrication de fausse monnaie. Très abîmés, peut-être ont-ils été martelés avant d’être placés près des cendres de l’officier qui avait la charge de leur surveillance, comme insignes de sa fonction.

Ce qui semble être un masque de fer est en réalité la visière d’un casque de parade. La calotte et le couvre-nuque ont disparu, de même que le placage en feuille de métal, cuivre ou argent, qui embellissait la visière. Au revers, les restes d’une cotte de mailles en fer soudés par l’oxydation remplit la cavité du casque, et obturent les yeux, ouverts à l’origine. Au milieu du front, le tube horizontal est un vestige de la charnière qui permettait de relever le casque. Ce type de casque luxueux, sans doute réservé à des officiers, était porté par des cavaliers de l’armée romaine, pas au combat, mais lors de joutes, de parades...

Le torque de section carrée, en bronze plein doré à la feuille, est fabriqué en deux parties s’articulant par un crochet et une tige cachés par le manchon en forme d’olive. Il pouvait donc être passé autour du cou. Mais il n’est pas certain qu’il ait été porté de cette façon.

Le torque, élément de parure pour les guerriers et les femmes gauloises, puis pour les divinités, à la fin de l’époque de l’indépendance, est, chez les Romains, au moins dès le début du Ier siècle avant Jésus-Christ, une décoration militaire, distribuée par paires. Quelques stèles funéraires de soldats ou d’officiers romains montrent que les torques sont alors portés attachés sur la cuirasse, ou l’un à l’autre par un lien souple suspendu au cou.

Du ceinturon militaire que portait l’officier mort à Chassenard, ne subsistent que trois plaques, à l’origine rivetées sur le cuir du ceinturon, et la boucle. Le ceinturon militaire symbolise l’appartenance de celui qui le porte à l’armée romaine. Neuf, il comportait sans doute six plaques. Les éléments métalliques, en tôle de laiton étamé, portent un décor estampé des plus prestigieux. Sur les plaques rectangulaires figure en effet le buste de Tibère, empereur de 14 à 37, encadré par des cornes d’Abondance. Ce motif témoigne du développement de la propagande impériale sous son règne, et de la volonté de diffuser partout l’effigie du maître de l’Empire, ce que font aussi les monnaies.

Vaisselle
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© RMN-GPGérard Blot
Reconstitution fictive d'une table gallo-romaine
Période gallo-romaine

Ce rassemblement arbitraire d’objets découverts dans différents lieux évoque une table gallo-romaine assez cossue. Les plus pauvres utilisaient sans doute quotidiennement une vaisselle en bois et en terre cuite plus modeste, même s’ils possédaient une pièce ou deux en verre ou en céramique fine. Au contraire, sur les tables plus riches, vaisselle d’argent et verres très décorés abondent.

La base de l’alimentation gallo-romaine reste la céréale, préparée en pain ou en bouille. On mange souvent assis à une table, la façon de manger couché des Romains étant sans doute le fait des plus riches. Aux ressources alimentaires anciennes (viandes, poissons, légumes, fruits...) s’ajoutent à l’époque gallo-romaine des mets ou des façons de préparer les plats d’origine romaine, comme le garum, sauce de poisson fermentée proche du nuoc-mam vietnamien, ou les épices et les sauces.

Image 2 :La grande bouteille carrée en verre n’était peut-être pas destinée à figurer sur la table où était servi le repas. Plutôt qu’une cruche de service des liquides, il s’agissait sans doute plutôt d’un récipient de stockage, un emballage perdu. Sa forme quadrangulaire, qui permet la juxtaposition aisée et sans perte de place de plusieurs bouteilles du même type, dans une caisse ou un casier, et l’absence totale de décor, vont dans ce sens. Les flacons de stockage en verre de forme géométrique sont particulièrement abondants en Gaule romaine à partir de la fin du Ier siècle et pendant tout le IIe siècle, et montrent bien que le matériau était devenu très commun et peu coûteux.

Image 3 :L’assiette contient des œufs en terre cuite antiques. Si la volaille semble avoir été assez peu consommée en Gaule, ce n’est pas le cas des œufs, de poule, de cane ou de pigeon. Les Gallo-romains mangent avec leurs doigts, les mets devant être tranchés avant d’arriver sur la table, mais utilisent des cuillers, en bronze, en os ou en argent, comme ici, pour entamer un œuf, ou extraire un coquillage de sa coquille avec l’extrémité pointue de l’ustensile. Les huîtres, de Marseille, du Médoc ou de Vendée, sont en effet déjà fort appréciées. Les cuillers servent aussi à manger des aliments liquides. Ici, bien qu’elles soient en argent, elles ne constituent pas des objets de très haut luxe, puisque leur poids varie entre 10 et 40 g.

Image 4 :Ce bol d’un beau rouge brillant à décor en relief est un vase en céramique sigillé. Ce type de céramique fine, essentiellement utilisée comme vaisselle de table, fut d’abord produite en Italie, avant d’être fabriquée sur une très large échelle en Gaule, à partir de la fin du Ier siècle avant Jésus-Christ.Des ateliers, installés à la Graufesenque, dans l’Aveyron, et dans sa région, comme à Banassac en Lozère où ce vase a été fabriqué, produisent des vases ornés ou lisses, munis dans ce dernier cas d’une estampille indiquant le nom du potier. Une partie de cette production est exportée au loin, jusque sur le Rhin, où stationne l’armée romaine. Par la suite d’autres groupes d’ateliers se développeront dans le centre, à Lezoux (Puy-de-Dôme), et dans l’est.

Céramique
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© RMN-GP - Franck Raux
Couple sur un lit dit les Amants de Bordeaux
Bordeaux (Gironde) Fin IIe - début IIIe siècle ap. J.-C.

Ce couple amoureux, découvert en 1850 à Bordeaux, parfois appelé « amants de Bordeaux », reste exceptionnel dans l’abondante production de figurines en terre cuite gallo-romaine, où les représentations de divinités, Vénus et déesses-mères en tête, occupent une place prédominante.

Les figurines, produites en très grandes séries dans le centre de la Gaule, en Bourgogne et dans d’autres régions, sont des objets de piété bon marché, destinés aux dieux, mais qui peuvent aussi accompagner le défunt dans la tombe. D’autres, plus rares, sont des jouets ou encore des éléments de décor, peut-être est-ce le cas ici.

Les deux personnages, nus, mais recouverts en partie d’une couverture, sont tendrement enlacés. Traitée ici avec beaucoup de délicatesse, la scène n’a rien de commun avec les représentations érotiques très crues habituelles sur les lampes en terre cuite d’époque romaine. Mieux que sur les stèles funéraires un peu figées où figurent parfois deux époux, elle saisit de façon unique l’intimité d’un couple.

Aux pieds du couple enlacé, un chien roulé en boule dort paisiblement. Un chien accompagne de temps à autres ses maîtres, sur les stèles funéraires, mais il ne leur est jamais associé de façon aussi familière. D’assez nombreuses statuettes de chiens, en bronze et en terre cuite, permettent de reconnaître différents types de chiens, par ailleurs décrites par les textes littéraires antiques : lévriers, chiens courants, petits chiens du type « loulou »... En revanche, le chat, représenté sur quelques rares stèles funéraires, comme à Bordeaux sur celle d’un enfant, reste à l’époque gallo-romaine un animal exotique.

Au revers du lit, l’objet porte une marque de fabrique : PISTILLVS FECIT (Pistillus a fait). Le potier Pistillus, actif à Autun (Saône-et-Loire) vers la fin du IIe siècle et au début du IIIe siècle, signait une partie de sa production, contrairement à la plupart de ses collègues. Cette signature, apposée à l’intérieur du moule avant qu’il ne soit cuit, n’est pas assimilable à une signature d’artiste, elle est sans doute liée à l’organisation de la production. Celle de Pistillus se distingue par une exploitation assez raffinée de thèmes variés utilisés par la plupart des coroplathes (fabricants de figurines) : déesses protectrices, Abondance, Vénus dans un édicule, Epona, bustes d’enfants, chevaux…

 

Mosaïque
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© RMN-GP.Michel Urtado
Pavement de mosaïque

Saint-Romain-en-Gal (Rhône) Début du IIIe siècle ap. J.-C.

La mosaïque, dont plus du tiers manque, ornait le sol d’une grande demeure sub-urbaine de Saint-Romain-en-Gal, dans l’antiquité l’un des quartiers de Vienne. C’était l’une des villes les plus belles et les plus prospères de la Gaule. Des ateliers de mosaïstes installés à Vienne satisfaisaient la demande d’une clientèle aisée.

Les activités agricoles et les fêtes des quatre saisons sont représentées en 40 tableaux de 59 cm chacun, dont 27 subsistent, insérés dans une riche tresse décorative. Ce thème n’est pas souvent utilisé par les mosaïstes en général, et par les ateliers de Vienne en particulier, qui préfèrent représenter des scènes mythologiques ou des natures mortes. Ils se sont sans doute inspirés d’un ou plusieurs modèles romains, valables pour l’ensemble des pays méditerranéens, aussi ne faut-il pas considérer cette mosaïque comme un « reportage » sur les pratiques agricoles gallo-romaines.

Les différents tableaux s’articulent autour des quatre tableaux centraux où figurent des personnifications des Saisons : l’Hiver est une femme emmitouflée sur un sanglier, le Printemps un Amour nu sur un taureau, l’Été un Amour nu sur un lion, l’Automne un Amour nu sur un tigre.

C’est l’été. Le tableau ne montre pas les hommes au travail, mais en train d’accomplir un rite religieux, donc sans doute un jour chômé. Dans la campagne, une statue de dieu placée sur une colonne et un autel, à ses pieds, constituent un petit sanctuaire. Un homme et une femme font sans doute des offrandes à la divinité, pour s’attirer ses bonnes grâces. Le dieu est nu, il brandit de sa main droite la foudre, et tient, posé au sol, de sa main gauche, un objet qui pourrait être une roue. Il s’agirait donc d’une représentation de Taranis, dieu d’origine indigène représenté à l’époque gallo-romaine sous les traits d’un Jupiter à la roue. Dans tout ce qui nous est conservé de la mosaïque, cette scène serait la seule où transparaisse une influence locale.

C’est l’automne. Sous un petit édifice couvert de tuiles, deux hommes en tenue de travail, c’est-à-dire vêtus d’un simple pagne, actionnent un pressoir. Il s’agit d’un pressoir à levier, et non à vis. Le contenu de la grosse jarre placée sous l’appentis, compressé par le couvercle mu par le levier, transformé en liquide, se déverse par un trou dans un récipient posé au sol, à l’extérieur. Selon certains, le pressage est celui des olives, pour fabriquer l’huile, pour d’autres celui du raisin, pour faire du vin. Il n’est pas certain que la technologie décrite ait encore été en usage au IIIe siècle en Gaule du sud, car les mosaïstes ont sans doute repris des « cartons » ou modèles anciens, mais l’oléiculture et surtout la viticulture étaient bien des activités agricoles très importantes dans cette région.

C’est l’hiver. Deux personnages vêtus d’une tunique courte mais aussi d’une capeline à capuchon transportent sur un brancard ce qui doit être du fumier, destiné à enrichir les champs. À l’arrière-plan, un toit de chaume porté par deux poteaux en bois évoque les bâtiments utilitaires d’une exploitation agricole. Les textes antiques nous apprennent que le marnage et l’assolement étaient aussi pratiqués.

Bijoux
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© MAN/Loïc Hamon
Bagues d’un trésor du IIIe siècle

Nizy-le-Comte (Aisne)

Vers 211-212

Parmi les trésors enfouis durant l’Antiquité, celui de Nizy-le-Comte dénote par sa composition associant quatre vases en bronze, plus de 700 monnaies en argent et deux bagues d’une très grande qualité de réalisation.

DEUX BAGUES PRÉCIEUSES AU SEIN D'UN ENSEMBLE D'OBJETS HÉTÉROCLITES

Mis au jour vers 1975, ces objets proviennent d’une petite agglomération de la cité des Rèmes, sur la voie qui menait de Reims (Marne) à Bavay (Nord). Les deniers et antoniniens, datés entre les règnes de Trajan (98-117) et celui de Gallien (253-268), fournissent de précieux repères chronologiques pour l’enfouissement de ce trésor.

UNE CRÉATION ROMAINE : LA TECHNIQUE DE L'OPUS INTERRASILE

En argent, ces deux bagues se distinguent par une monture massive qui a été finement ajourée par percement du métal, d’où le terme d’interrasile (en latin : ouvert, d’après une expression due à Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle, XII, 94). Un fin burin a été utilisé pour ce décor très complexe de peltes (bouclier) et de motifs d’inspiration végétale (rinceaux et branches).

UNE PIERRE EN CORNALINE SUR LAQUELLE EST GRAVÉ LE DIEU JUPITER

Le chaton de l’une des bagues est une intaille ovale à surface plane, taillée dans la cornaline, l’une des pierres les plus souvent utilisées à l’époque romaine. Le dieu Jupiter trônant, accompagné à droite de son aigle, y est gravé. Il tient un sceptre et une patère (vase à libation). Si les dieux gréco-romains figurent parmi les principaux sujets représentés sur les intailles d’époque romaine, Jupiter n’est pas le motif le plus courant, en dépit de son statut de maître des dieux.

UNE MONNAIE EN OR À L'EFFIGIE DES PRINCES CARACALLA ET DE GÉTA

La seconde bague, plus massive, est d’un type beaucoup plus rare, car elle est ornée d’une monnaie en argent frappée à Rome en 201, recouverte d’une feuille d’or destinée à donner à ce denier l’apparence d’un aureus, une monnaie en or. De façon exceptionnelle pour ce type de bijou, dit monétaire, ce n’est pas la face montrant le portrait de l’empereur Septime Sévère (193-211) qui a été choisie par l’orfèvre, mais le revers de la monnaie. Il montre les bustes affrontés de ses fils, les princes Caracalla (211-217), cuirassé et lauré à gauche, et de Géta (211), tête nue à droite. Le chaton hexagonal a cependant été évidé à l’arrière, afin de laisser voir l’effigie de l’empereur.

UN TRAVAIL D'ORFÈVRE CARACTÉRISTIQUE DU IIIe SIÈCLE

Les bijoux ornés de monnaies, très à la mode à partir de la fin du IIe siècle, ainsi qu’aux époques suivantes, sont presque toujours en or. Des monnaies en or (aurei, solidi), sont alors retirées de la circulation monétaire pour être montées en pendentifs et, plus rarement, sur des bagues, des bracelets, des fibules, des diadèmes ou des pièces de vaisselle. La plupart des bagues connues ont une monture en or, mais il existe plusieurs exemplaires en argent comme celle-ci. Malgré leur aspect massif et un diamètre intérieur assez important, il est impossible de savoir si ces bagues étaient portées par un homme ou une femme, car les textes latins décrivent des façons de porter ces bijoux différentes des nôtres : sur tous les doigts, sauf l’index, y compris le pouce, et sur toutes les parties du doigt.

Notice rédigée par Thierry Dechezleprêtre, d'après Hélène Chew (2015)

 

BIBLIGORAPHIE

CHEW, Hélène et DROST, Vincent. Bagues romaines d'un trésor du IIIe siècle de Nizy-le-Comte (Aisne) au musée d'Archéologie nationale. Antiquités nationales, 2015, p. 65-102.

CHEW, Hélène. Les bagues de Nizy-le-Comte (Aisne). Archéologia, n°540, février 2013, p. 22-23.

YEROULANOU, Aimilia. Diatrita. Gold pierced-work jewellery from the 3rd to the 7th century. Athènes: Benaki museum, 1999.  

LIENS UTILES

Présentation dans le cadre de l'objet du mois