Une collection de plus de 550 objets provenant de Chypre est conservée au musée et certains sont assez rares, comme les oeuvres que vous allez découvrir.
Dans les années 1870, il a été très facile de se procurer des objets chypriotes.
En 1872 par exemple, Georges Colonna-Ceccaldi (1840-1879), a vendu une quarantaine d’objets de sa collection au MAN. Frère de Tiburce Colonna -Ceccaldi, consul de France à Chypre de 1866 à 1869, il avait de nombreuses facilités pour mener ses propres fouilles, notamment dans les nécropoles d’Idalion où il a découvert des figurines, des vases et des statues monumentales.
Les figurines en terre cuite tiennent une place de choix dans la collection du MAN car on transportait facilement ces petites statuettes hors de l’île mais cette abondance reflète également une pratique du modelage particulièrement développée et originale à Chypre. À l’origine, ces figurines étaient déposées dans des sanctuaires ou des nécropoles lors de rites liés à la vie ou à la mort.
Une très rare scène d'accouchement
Un groupe modelé en argile, vendu par Colonna-Ceccaldi, se distingue particulièrement. Seules deux femmes sur les trois qui devaient originellement le composer sont conservées. La première est debout et de ses bras croisés soutient la seconde, qui est assise à même le sol. La femme assise est en réalité sur le point d’accoucher, encouragée dans ses efforts par celle qui se tient derrière elle, tandis qu’une autre femme, sans doute la sage-femme, devait se tenir en face d’elles, prête à recevoir le nouveau-né. Ce groupe est très semblable à un autre conservé au musée du Louvre (également acquis auprès de Colonna-Ceccaldi) où les trois personnages sont représentés, ou à ceux du musée de Nicosie, à Chypre. En raison de cette scène, on suppose qu’il s’agit d’un ex-voto, dédié à une déesse protectrice des femmes enceintes, à une époque où de nombreuses femmes mourraient encore en couches.
Cette terre cuite nous éclaire sur les positions adoptées par les femmes pour mettre au monde les enfants il y a 2500 ans à Chypre : la femme enceinte n’est pas allongée mais est maintenue assise, bien droite, les jambes écartées, une position qui, par gravité, entraîne le foetus vers le bas.
Cette position permet également aux femmes qui entourent la parturiente de lui masser le dos pour la soulager ou d'effectuer des pressions dans son dos pour faciliter le travail.
D’après ses caractéristiques stylistiques, ce groupe aurait été réalisé au VIe siècle avant J.-C., peut-être par des femmes (en raison du thème et de la technique du modelage), et on peut supposer qu’il a été fabriqué à Idalion ou à Kition, deux royaumes chypriotes connus pour leurs sanctuaires de la Grande Déesse.
La Grande Déesse de Chypre, protectrice de la vie
Sur l’île où Aphrodite serait née, la vénération d’une Grande Déesse de la fécondité est avérée depuis la fin de la période néolithique et cette divinité est restée la plus importante de l’île jusqu’au Ve siècle avant J.-C. Plusieurs images la présentent comme une femme féconde ou une mère nourricière.
On a retrouvé dans différents sites des figurines moulées dont le modèle est d’origine phénicienne: ces deae gravidae, déesses enceintes à la coiffure caractéristique à deux chignons, sont à peine assises et portent la main droite sur leur ventre proéminent. Mais les artistes chypriotes, en plus des colliers et cache-oreille peints qu’ils adjoignaient à ce modèle oriental, lui ont aussi souvent greffé sur le bras gauche un nouveau-né directement modelé, comme sur la figurine conservée au MAN. Il faut croire que cette représentation d’une fécondité surnaturelle de la Grande Déesse était censée protéger plus efficacement les naissances.
Objet présenté par Anaïs Boucher - Conservatrice responsable des collections d'Archéologie comparée
